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L’épistémologie féministe

1. Qu’est-ce que le « genre » ?

La difficulté à employer le concept de « genre », sans susciter des ambigüités de compréhension, est symptomatique de son développement et des différents usages qu’ont pu en faire ses utilisateurs. C’est pourquoi un travail de définition est essentiel pour la suite de l’étude.

1.1. Gender ou genre ?

Dans ce premier développement il est essentiel de rendre compte de l’importance des langues dans lequel le terme « genre » est mobilisé. Car de façon contre-intuitive les termes « gender » et « genre » ne correspondent pas à une simple traduction linguistique, ces deux mots ne forment pas un même concept transposable selon les mondes scientifiques (anglophone et francophone pour cet exemple).

Cette information est donc capitale avant même d’entamer un travail de définition. Les différences entre ces termes découlent principalement des divergences des mouvements féministes eux-mêmes, entre les Etats-Unis et la France, comme le souligne les propos de Donna Haraway :

« Du moins savais-je que ce qui se passait avec les mots sex et gender en anglais n’était pas

la même chose que ce qui se passait avec género, genre, et Geschlecht. Les histoires spécifiques des mouvements de femmes dans les aires où ces langues participaient d’une politique vivante, voilà les raisons principales de ces différences. »2 (In Éric FASSIN, 2005, p.

243. Souligné par D. HARAWAY)

Il s’agit donc de se référer au « genre » en ayant à l’esprit ces impasses de traductions, sans toutefois se décourager, car si une transposition directe de ces concepts d’un pays à l’autre n’est pas envisageable, cela ne signifie pas non plus que toute traduction est impossible. Selon

2 D. Haraway, « “Gender” for a marxist dictionary. The sexual politics of a word », dans Simians,

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Éric Fassin, il est souhaitable d’établir l’historicité de ces concepts pour les comprendre, puisque chacun d’eux se développe dans des contextes historiques singuliers. Les précisions, qu’apporte l’auteur à cette démarche, sont tout aussi capitales :

« Non pas bien sûr qu’il suffise de retracer le débat théorique pour en saisir l’ancrage historique

: en réalité, la tâche qu’on s’assigne est beaucoup plus ample. Comprendre les enjeux qui définissent le genre en relation avec la sexualité, ce n’est pas seulement (mais c’est aussi) reprendre les textes théoriques définissant le genre ou la sexualité. C’est également (et surtout) suivre la constitution sociale des questions de genre et de sexualité autour d’enjeux politiques décisifs […] » (Éric FASSIN, 2005, p. 247)

La traduction des concepts de « genre » étrangers se révèle possible, malgré l’apparente difficulté de la tâche. Les travaux des chercheurs ont par ce fait rendu possible l’utilisation des concepts de « genre » exogènes au monde scientifique français. Et c’est pour cela que l’on pourra y faire référence par la suite.

1.2. Un concept

1.2.1. Le rôle de la médecine

Bien que l’usage du concept de genre soit aujourd’hui largement tributaire d’une réflexion féministe, il est notable de rappeler son origine. Le terme de genre ne naît pas de travaux féministes, mais médicaux.

« CE N’EST PAS au féminisme qu’on doit l’invention du concept de « genre ». Dès 1955,

inaugurant plusieurs décennies de travaux à l’Université Johns Hopkins, John Money reformule les approches héritées de l’anthropologue Margaret Mead sur la socialisation des garçons et des filles : pour sa part, plutôt que de sex roles, le psychologue médical parle de

gender roles. Il s’intéresse en effet à ce qu’on appelle alors d’ordinaire l’hermaphroditisme, et

qu’on qualifie davantage aujourd’hui d’intersexualité (Money & Ehrhardt 1972). » (Éric FASSIN, 2008, p. 375. Souligné par l’auteur)

C’est à travers la médecine, essentiellement psychanalytique, que le terme de genre apparaît et peut être repris quelques années plus tard par Ann Oakley, « en posant que « le genre n’a

pas d’origine biologique, que les connexions entre sexe et genre n’ont rien de vraiment “naturel” » ; elle introduit ainsi le terme dans un champ d’études féministes qui va se constituer à partir des années 1970 (Jami 2003 ; Fassin 2004). » (Éric FASSIN, 2008, p. 376)

Ce sont les individus ne « correspondant » à aucune des catégories homme/femme qui induisent les professionnels de la santé à la question de genre. Cette impasse définitionnelle promeut une réflexion autour des identités en rapport avec le sexe biologique, la sexualité et

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l’identité sexuée. A l’époque d’une société genrée de façon binaire – homme/femme – l’intersexualité avait la qualité de questionner cette binarité, malgré les « solutions » apportées par la médecine. En effet, il est primordial de considérer la médecine, certes en tant que savoir, mais aussi en tant que pouvoir. La médecine a le pouvoir de « contrôle des corps », au sens de vérification de la bonne santé, mais aussi dans le sens où elle peut être un vecteur de normalisation. Ce que démontrent de nombreux textes à propos de la gestion de l’intersexualité à la naissance, étant majoritairement supprimée par choix et par bienveillance comme souligne Éric Fassin :

« Jamais la norme de genre n’est remise en cause. De fait, et John Money à l’Université Johns

Hopkins, et Robert Stoller à UCLA, sont à l’origine de « cliniques d’identité de genre » : le travail médical n’y est nullement de remettre en cause la norme sexuelle, mais d’aider des individus, rejetés en raison de leur anomalie, à accéder à la normalité en se conformant aux attentes sociales, y compris sous leur forme la plus stéréotypée. » (Éric FASSIN, 2008, p. 377- 378)

L’idéologie dominante d’une société à propos des identités genrées est aisément lisible à travers les pratiques médicales chirurgicale et psychanalytique notamment.

1.2.2. Les définitions du « genre »