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Et dans l’urbanisme ?

Chapitre 2 : Les masculinités

I. L’affirmation de cet objet scientifique

4. Conséquences dans les champs scientifiques

4.1. Un héritage ambigu

L’héritage tant scientifique que social de ce domaine d’étude lui a valu un parcours semé d’embûches. Ces difficultés – évoquées dans les parties précédentes – ne sont pas anodines car les conséquences de telles réticences face à cet objet de recherche peuvent être immenses. Les masculinités auraient-elles pu se développer au sein de la communauté scientifique si des chercheuses féministes n’avaient pas accordé une légitimité à ces études ? Face à cette situation parfois ambiguë, Mara Viveros Vigoya affirme que les études féministes ne peuvent rester inactives : « Or c'est un double virage que doivent négocier les études féministes de genre sur les hommes et les masculinités. Le premier, la reconnaissance de la masculinité comme thème d'étude légitime en tant qu'élément de la structure de genre. Le second, vers la reconnaissance du caractère actuel des questions qui vont du corps des hommes jusqu'à la critique de leur participation et de responsabilité dans l'ordre de genre. À défaut d'être suffisant lui-même, ce double virage préparera le terrain à d'autres types de luttes qui se livrent loin du cadre universitaire et auquel nous pouvons contribuer par nos travaux. » (Mara VIVEROS VIGOYA, 2018, p.17). La suite présentera les raisons ayant poussé cette auteure à faire une telle injonction. À noter que si des critiques concerneront des auteurs spécifiques, l’intérêt premier de cette partie restera d’analyser les diverses conceptions globales des masculinités.

Malgré des intérêts théoriques similaires – à savoir une meilleure compréhension des rapports sociaux de sexes – les entrelacements entre l’étude des masculinités et les courants

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féministes ne sont pas aisés, comme le montrent les propos de Mara Viveros Vigoya : « Le féminisme s'est énergiquement démarqué des masculinist men's studies et du gender menstreaming13 et a accueilli avec sympathie les efforts féministes des hommes (Gardiner, 2005, p.47). Les études des masculinités faites par des hommes qui cherchent à se distinguer des approches masculinistes des rapports sociaux de sexe doivent partir d'une prise de conscience radicale des implications épistémologiques, psychologiques et affectives leur position sociopolitique dominante dans l'ordre de genre (et de la sexualité) (Tiers-Vidal, 2002 et 2004). Elles doivent également assumer une perspective qui admette les prémices les théorico–politiques et éthiques à la base du féminisme contemporain : son approche du genre système hétéronormatif et binaire qui décrit les dominations ; sa conception du genre en tant que catégorie relationnelle rendant compte d'une vaste dynamique sociale ou des formes de domination interagissent à différentes échelles (macro et micro) ; enfin sa recherche d'alliances avec d'autres mouvements pour la justice sociale et pour la « pluriversalité » permettant à chacune et à chacun de déployer la multiplicité de nos vies possibles. » (Ibidem, p. 60-61)

Les études féministes ne sont donc pas les seules à devoir faire preuve d’un plus grand discernement. Cette mise en garde adressée aux hommes cisgenres est claire : être pro- féministe ne soustrait en aucun cas le chercheur à remise en question de ses connaissances sur les avancées féministes et sur les emprises de sa propre masculinité sur les enjeux des recherches. Ce temps de réflexion est mis à profit afin d’éviter les critiques féministes, ce que décrivent les auteurs Hagège Meoïn et Vuattoux Arthur : « Ainsi, l'une des critiques récurrentes adressées à l'étude des masculinités est qu'elle détournerait les études de genre de leurs objets principaux que sont les femmes et le féminisme. L'autre critique courante voit en elle un terreau fertile pour le masculinisme et donc l'anti féminisme. La réponse que Connell apporte à ces deux critiques consiste à refuser toute autonomisation de l'étude des masculinités au sein des études de genre. De même que l'on ne peut étudier l'histoire des hommes sans écrire celle des femmes, on ne peut penser les masculinités sans penser les rapports de genre dans leur ensemble, et sans les mettre à l'épreuve de la réflexion féministe. Sans cette règle de conduite, le risque est grand de se focaliser sur les singularités empiriques qui laissent croire à une « crise de la masculinité » sans prendre en compte la réalité des

13 L’intégration d’une réflexion et d’une analyse visant une meilleure compréhension des relations de

genre, dans les programmes de développement : « Il s’agissait de s’intéresser à la construction de la

masculinité pour mieux comprendre les interactions entre hommes et femmes à différents contextes historiques et dans des contextes sociaux et culturels variés, en pratique l’analyse critique de cette construction fut si rare qu’en matière d’intégration du genre aux programmes de développement, , la politique du « gender mainstreaming » s’est souvent transformée en « menstreaming ». (Mara VIVEROS VIGOYA, 2018, p. 60)

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rapports de domination et les privilèges dont bénéficient les hommes de manière structurelle14. » (2014, p.18)

Vus sous ce jour, les apports de Connell sont d’autant plus précieux et la référence à Judith Halberstam fait comprendre en quoi les dérives peuvent être problématiques. La méfiance des études féministes ne sont pas injustifiées et les études manquant cette réalité des rapports de dominations et de privilèges ne peuvent être soutenues par ces communautés féministes et pro-féministes. Un exemple francophone est assez parlant, celui des écrits de Pierre Bourdieu dans son ouvrage La Domination Masculine (1998). Si l’ouvrage a apporté une visibilité aux

masculinités, notamment due à la visibilité du sociologue, les apports sociologiques ont faits débats. Ces derniers se sont avérés pour une grande part critiquables dans leur ensemble : « A partir de l'analyse faite par Nicole-Claude Mathieu (1999), Léo Thiers-Vidal (2004) résume le « masculinisme théorique » de Bourdieu de la façon suivante : il ignore les apports fondateurs des théories féministes francophones ; il privilégie l'analyse de la dimension symbolique de la domination masculine au détriment des aspects matériels de l'oppression des femmes ; il présente, à de rares exceptions près, une vision désincarnée et dépolitisée des rapports sociaux de sexe ; ils optimisent et déresponsabilisent les hommes ; enfin, il refuse de considérer toute influence et sa constance matérielle sur la façon dont les hommes pensent les rapports sociaux de sexe. » (Mara VIVEROS VIGOYA, 2018, p.48).

Les manquements du « masculinisme théorique » du sociologue ne lui permettent pas d’intégrer le domaine des masculinités au sens de pro-féministe.