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2.1 « Masculinité hégémonique »

Chapitre 4 : Les méthodes à l’épreuve des corps

2. Assignation des individus ?

Il sera question ici d’établir le profil de la population cible de la démarche scientifique.

2.1. Population cible :

Cette étude se concentre sur les populations masculines cisgenres. Seuls deux facteurs induiront des subdivisions : l’âge et le(s) handicap(s).

Pourquoi l’âge ? L’étude se basant sur le rapport entre le « moi » et la « sexualité » des personnes sont susceptibles de former une division entre les « individus sexués » et les « individus asexués ». Cette distinction se base évidemment sur une représentation sociale et extérieure au ressenti de l’individu concerné. Elle pourra concerner les très jeunes enfants et à l’inverse les personnes âgées que je qualifie ici, d’« asexué », dans le sens où l’expression de leur sexualité peut être réduite à l’extrême par rapport au reste de la population.

Pourquoi le handicap ? Tout simplement parce que je considère ne pas posséder les clefs d’analyses géographiques et sociologiques pour les inclure avec pertinence dans cette étude. Ces potentielles divisions ne signifient rien d’autre, et je conçois l’absence de ces populations comme une perte pour l’objectif final de cette étude. Cependant, les observations de terrain pourront y faire référence, pour la raison suivante : si l’expression de leur sexualité serait réduite par rapport au reste de la population, leurs représentations et leurs pratiques socio- spatiales sexuées liées aux systèmes sexe/genre seront visibles.

Ajouter à cela l’absence généralisée de mentions particulières de ces populations dans les articles ou les ouvrages de référence. Pourtant, à l’instar des populations dites « queers », il est évident qu’une réflexion basée sur ces populations pourrait mettre en exergue des phénomènes socio-spatiaux sexués dilués ou peu perceptible au sein d’une population « type ».

Au sein de cette population « cible », masculine cisgenre, une attention particulière sera apportée à la dimension « raciale » des processus sociaux, afin de ne pas produire un reproduire le schéma d’un savoir situé « blanc ».

2.2. Population(s) enquêtée(s)

Pour le bien de l’enquête il est impensable de ne se réduire qu’à cette population masculine cisgenre. Il sera question alors de parler de l’élargissement de cette population dans la

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démarche d’enquête. Il se s’agira plus uniquement d’interroger les individus cibles mais aussi des individus de sexes et d’orientations sexuelles différentes.

Le genre, le sexe ou la sexualité sont des concepts relationnels. Faisant apparaître le plus souvent des jeux de pouvoirs entre des individus, ces rapports de forces s’inscrivent dans des relations généralement binaires. Or il n’est pas possible de bâtir une réflexion en ne se focalisant que sur l’un des pôles, c’est pourquoi il est absolument nécessaire de prendre en compte la parole et les expériences des individus non masculin cisgenre : quelque que soit leur sexualité, le sexe ou leur genre. Leurs représentations ou leurs pratiques liées à la population cible est aussi révélatrice de système sociaux spatiaux. Cette démarche est visible dans de très nombreuses productions scientifiques, où, malgré la difficulté d’être spécialiste des deux pôles (ex : féminin/masculin ; hétérosexualité/homosexualité ; straight/queer), les chercheur·e·s mobilisent des concepts propres au pôle antagoniste des populations étudiées. Une chercheuse féministe, dont les recherches portent sur les « capabilités » de femmes de couleur dans un contexte raciale tendues pourra faire référence aux capabilités des femmes blanches, des hommes en général, puis des hommes de couleur séparément des hommes blancs. Mais ceci n’est qu’un exemple, pour souligner l’utilisation d’une multitude de concepts et d’expériences assez éloignés de la population étudiée.

Dans notre cas, les expériences et les représentations des femmes hétérosexuelles est tout particulièrement important, puisqu’elles incarnent l’autre pôle de l’hétérosexualité étudiée. Leurs apports aux enquêtes seront sans aucun doute riches pour la réflexion. De plus, les populations autres qu’hétérosexuelles sans distinction de sexe seront aussi une ressource importante, puisque extérieures à la dualité du « couple », leur expérience sera aussi riche que supposément différente des femmes hétérosexuelles.

3. Quelle(s) échelle(s) ?

Les travaux scientifiques internationaux travaillant sur genre ou la sexualité ont un point commun indiscutable : tous portent une attention particulière à l’échelle à laquelle un espace est observé et analysé. Les géographes manient régulièrement des dimensions scalaires diverses tout en les mettant en lien les unes avec les autres. Les focales mondiale, nationale, régionale et locale représentent un type d’échelle bien connu.

Pourtant, le développement des études du genre entraîne à considérer un nouveau type d’échelle : macro- et micrographique. En géographie, les apparitions de ces dernières au sein des travaux scientifiques se multiplient à mesure des publications de chercheurs et chercheuses que l’on peut qualifier de féministes.

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Cette tendance à diminuer encore davantage l’échelle « locale » s’explique par la dimension des objets d’étude, de plus en plus petits, et la précision à laquelle tendent ces recherches, c’est-à-dire la volonté de capter des processus sociaux et spatiaux de plus en plus fins. L’espace dans lequel se déploie le corps humain tient d’une échelle encore plus fine que le « local ». Cette évolution s’explique notamment par les lieux d’expression des sexualités, toujours très balisés par ceux même qui les expriment. Ainsi les travaux des géographes focalisent leur attention sur des lieux particuliers : les plages (Emmanuel JAURAND), les toilettes publiques (Gill VALENTINE et David BELL), les pistes de danse des boites de nuit (Jade BOYD), des lieux de rencontre privés, des lieux de rencontre cachés dans l’espace public, etc…

Une méthode de recherche et de terrain que commente Sophie Louargant : « Actuellement, les observations sur le genre et la ville privilégient une approche micro-géographique et sensible de la ville. La diffusion de ces observations micro-géographiques auprès des collectivités territoriales a un effet positif auprès des professionnels, d’élu·e·s, des opérateurs publics pour développer cette observation « genre et ville ». » (Sophie LOUARGANT, 2017, p. 223). En ajoutant que cette dimension de recherche a ses propres failles, non négligeables : « Les recherches conduites sur les observatoires de territoires (Roux, Feyt, 2010) ont mis en évidence à la fois la non-neutralité de ces dispositifs (Escaffre, Roux, 2016) et les limites d’une observation urbaine, territoriales construites dans des catégories fonctionnelles excluant les approches de l’individu. Il est évident que la catégorisation des types de territoires, des pratiques de l’espace et des activités a donné lieu à la production de nomenclature s’inscrivant dans les normes standardisées de l’information territorialisée. Reléguant la question du genre à l’unique variable de sexe présente dans les données de population, les observations ont longtemps occulté l’intérêt de produire une information territorialisée genrée. Si des données existent, elles sont l’objet de traitements secondaires, de diagnostics localisés. Elles dévoilent pourtant les angles morts d’une information territoriale trop neutre et mettent à jour la difficile prise en compte d’indicateurs catégorisant autrement l’espace. » (Ibidem p. 224-225)

L’utilisation de cette échelle est donc à la fois très plébiscitée mais aussi piégeuse. Les études doivent faire attention à ne pas écarter le vécu de l’individu pour des observations dont la typologie est prévue à l’avance. L’auteure n’oublie pas de souligner un aspect problématique que provoque cette tendance au « micro ». « Cette conception suggère implicitement qu’il y a

une bonne échelle pour appréhender la question du genre, tout comme il existerait « une bonne maille » de gestion des territoires. Or les observations dans l’analyse multi-échelles du sens et sont porteuses d’explications sur les dynamiques territoriales à l’échelle d’une région urbaine. La question de l’observation des profils et des mobilités de genre dans la région

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urbaine de Grenoble a fait l’objet de recherches antérieures (Chardonnet, Louargant, 2005). ». (Ibid, p. 225).

Ce type d’analyse que l’auteur qualifie de « multi-échelle », très présent dans le champ disciplinaire géographique, est bien retranscrit dans l’article de Jade Boyd : « Jane Desmond raws attention to the amorphous nature of ethnographic research and its capacity to allow the researcher to see linkages between micro- and macro-systems necessary for comprehending how power functions through axes of difference.

“Because every field setting can be thought of as immersed in a larger social context, which itself is embedded in a larger social system, field settings can be amorphous. It is easy to understand how a feminist ethnographer can take information from everywhere, at all times. Although this attitude may be true of all ethnographers, it is significant for feminists who seek understanding of the links between the micro- and macrosystems of gender politics. “(Desmond 1999, 55) » (Jade BOYD, 2010, p. 105)

L’aspect multiscalaire des études géographiques se voit ajouter une nouvelle légitimité par cette recherche d’information que décrit Jade Boyd. De façon très similaire, Frédéric Dejean définit avec justesse l’imbrication de différentes échelles sociales et spatiales. Le fait que son objet d’étude soit la « justice spatiale » ne réduit pas son travail de définition pour notre travail, au contraire, puisque cette justice spatiale s’adapte aux mêmes objets d’étude : l’individu, le groupe et les institutions. C’est donc en analysant le rôle du multiscalaire pour les études de la justice spatiale que l’auteur énonce ces mots : « À cet égard, la ville s’offre comme un site d’étude privilégié puisqu’elle articule les échelles entre elles, du local au global, tout en conservant la référence de l’espace vécu des individus : des dynamiques mondiales, nationales et régionales se trouvent condensées dans l’espace urbain, et les phénomènes sociaux qui se produisent à ce niveau peuvent avoir des répercussions mondiales. » (Frédéric DEJEAN, 2013, 183).

Toutes ces échelles en viennent à créer des nomenclatures spatiales, pour reprendre le mot de Sophie Louargant, attribuant aux espaces des spécificités sociales.