• Aucun résultat trouvé

2.1 « Sexe/Genre » mais aussi « Sexualité »

2.2. Réflexions sur les normes sociales genrées

2.2.1. Normes sexuelles

Par normes sexuelles il est possible d’entendre un jugement porté, soit sur des pratiques de la sexualité, soit sur l’orientation sexuelle des individus. Mais avant de se pencher sur ces deux acceptions, il est nécessaire de comprendre ce que signifie le terme de « norme ». Une norme s’apparente à une ligne de conduite ou un cadre auquel un individu doit se conformer. Toutefois une norme n’est pas une loi, c’est un impératif. S’écarter de la norme est tout à fait possible, mais c’est se confronter à des conséquences peu attrayantes. En effet, un cadre normatif est opérationnel dès lors que celui-ci se voit légitimé par une organisation sociale performante composée de systèmes de productions et de sanctions. À l’instar d’une loi, une norme sanctionne ceux qui dérogent à la ligne de conduite établie. Ces sanctions s’incarnent socialement et de façon extrêmement diverse, mais parfois aussi efficacement qu’un système judiciaire.

La sexualité et l’orientation sexuelle des individus n’échappent pas à ce système d’organisation sociale, au contraire, elles sont sujettes à des impératifs normatifs extrêmement présents dans la société occidentale.

Les normes sexuelles forment donc des catégories de populations, celles qui – selon ces normes – sont dans le droit chemin et celles qui s’écartent de la bonne ligne de conduite. Gayle Rubin résume les conséquences d’être d’un côté ou de l’autre de la barrière : « Les individus dont le comportement sexuel correspond au sommet de cette hiérarchie sont

44

récompensés par un certificat de bonne santé mentale, la respectabilité, la légalité, la mobilité sociale et physique, le soutien des institutions et des bénéfices d’ordre matériel. À mesure que les comportements ou les intérêts des individus se situent à un niveau inférieur de cette échelle, ces derniers sont l’objet d’une présomption de maladie mentale, d’absence de respectabilité, de criminalité, d’une liberté de mouvements physique et sociale restreinte, d’une perte du soutien institutionnel et de sanctions économiques. » (Op.cit., p. 157). Sans évoquer les comportements tenus en estime et les autres, l’auteure pointe et un système hiérarchique et des jugements sociaux, dont les conséquences sont extrêmement profondes.

De plus Gayle Rubin énonce ce sur quoi les normes sexuelles se fondent : « Il est difficile de créer une éthique sexuelle pluraliste si l’on ne conçoit pas la variété sexuelle comme anodine. La variété est une propriété fondamentale de toute vie, des organismes biologiques les plus simples jusqu’aux formations humaines les plus complexes. Cependant, la sexualité est censée se conformer à un modèle unique. Une des idées les plus tenaces en matière de sexe, c’est qu’il y a une et une seule bonne façon de faire l’amour, et que tous devraient le faire de la même manière. » (Op.cit, p. 163). Cette vision des pratiques sexuelles implique à la fois la sexualité et l’orientation sexuelle des individus, tout en fixant des règles sociales, auxquelles déroger est préjudiciable. De fait, l’auteure poursuit sa démarche et affirme : « Le sexe est un vecteur d’oppression. Le système d’oppression sexuelle est transversal par rapport aux autres modes d’inégalité sociale, c’est-à-dire qu’il sélectionne les individus et les groupes en fonction d’une dynamique qui lui propre. Les notions de classe sociale, de race d’ethnicité ou de sexe ne suffisent pas à rendre compte de cette oppression. » (Op.cit, p. 179-180).

Le cadre normatif en place dans la société occidentale est aisément décelable à travers le concept de genre. Le genre en tant que relation binaire entre deux sexes opposés représente ce cadrage par rapport auquel les individus sont jugés. De fait, cette conception genrée instaure l’orientation hétérosexuelle en tant que norme. « Le terme d’hétéronormativité indique la naturalisation de l’hétérosexualité comme expression « normale » des relations sexuelles. » (Rachele BORGHI, 2012, p.111). Le cadre normatif décrit par Gayle Rubin est bien celui de l’hétéronormativité.

2.2.2. Universel masculin

Une autre norme doit être exposée dans cette étude, celle de l’universalité du masculin. Cet universel ne correspond pas à celui de l’hétérosexualité, pourtant son emprise est tout aussi considérable et lisible au sein de la société. Comme le démontre Marion Tillous : « On savait depuis le Deuxième Sexe que ce sont les hommes qui sont détenteurs de l'universel. Un universel que les héritières de Simone de Beauvoir ont qualifié de « masculin général » (Guillaumin 1984) ou de « masculin neutre », en référence au neutre grammatical qui, en

45

français, est un masculin, en vertu du principe qui voudrait que « le masculin l'emporte sur le féminin". Monique Wittig affirme ainsi que le genre, au sens grammatical du terme, « est l'indice linguistique de l'opposition politique entre les sexes. Genre est ici employé au singulier car en effet il n'y a pas deux genres, il n'y en a qu'un : le féminin, le « masculin » n'étant pas un genre. Car le masculin n'est pas le masculin de général. Ce qui fait qu'il y a le général et le féminin, la marque du féminin » (Wittig 1980, p. 100)." (Marion TILLOUS, 2017, p.157. Souligné par moi).

L’auteur met en avant le fait que le masculin n’est pas pensé comme le féminin, ce que soutient de la même façon Juliette Grange en affirmant que : « L’inégalité n’est pas fondée sur une

différence entre état ou classe hiérarchiquement organisés. Le neutre (la personne humaine) et le genre masculin en tant que concepts et représentations sont confondus. Malgré l’apparente neutralisation du sexe dans l’abstraction anthropologique (« l’homme »), une asymétrie étrange règle les rapports du masculin et du féminin, un glissement s’opère sans bruit du sexe au genre, de la partie en tout. Les genres ne s’opposent pas comme les sexes, la femme est l’autre plus que l’opposée. » (Juliette GRANGE, 2010, p.115.Souligné par moi.). Prendre conscience de cet universel faussé est capital dans les études sur le genre, car il représente une facette de l’androcentrisme à l’état pur. Si ce « masculin général » reste impensé dans les textes scientifiques, alors une réflexion autour des différences serait biaisée : « En effet, une « vraie » différence est d'une part réciproque — un chou est aussi

différent d'une carotte qu'une carotte l’est d'un chou —, et d'autre part, et pas de comparaison au détriment de l'un des termes. Or la différence invoquée sans arrêt à propos des femmes, mais aussi des homosexuel·le·s, des « Arabes », des Noir·e·s, n'est pas réciproque, bien au contraire. Ce sont elles et eux qui sont différent·e·s : les hommes, les homosexuels, les Blancs, quant à eux ne sont "différents" de personne, ils sont au contraire « comme tout le monde » (Delphy 2013, p.9) » (Marion TILLOUS, 2017, p.157)

La conception de la différence et du neutre en est chamboulée. Cette sexuation du « neutre » ne doit pas être oubliée dans les recherches, puisque comme le soulignent les auteur·e·s, cela questionne le caractère universel jusqu’alors attribué à différents objets : allant de l’espace public aux idéologies politiques comme la démocratie.