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Introduction du chapitre II

B. Une activité à forte utilisation de main d'œuvre

La nature du gisement à également des conséquences sur le volume de main d'œuvre utilisée dans la phase d'extraction. En effet, deux grands types de productions se distinguent :

« Environ une vingtaine de pays dans le monde affirment produire les gemmes particulières que sont les diamants. (…) Sept grands pays représentent à eux seuls plus de 75% de la production

91 Les régions de Ratnapura au Sri-Lanka ou de Chathaburi en Thaïlande en sont l'archétype. En Afrique orientale, les marchés d'Arusha (Tanzanie) et d'Ilakaka (Madagascar) captent les productions sur des centaines voir des milliers de kilomètres.

mondiale en valeur. Grâce à de nombreuses mines situées très en profondeur, l’Afrique du Sud, l’Australie, le Botswana, le Canada, la Namibie, la Russie et la Tanzanie parviennent ainsi à tirer profit très efficacement de la richesse de leurs sols. Le secteur apparaît en effet relativement séparé en deux types de productions distincts : une production moderne et industrialisée de mines diamantaires situées en sous-sol, et une production plus modeste et artisanale de mines alluvionnaires en surface. ». (DE GELOES D'ELSLOO R. et al., 2004, p. 15).

Ce constat d’un double type d’exploitation vaut également pour les pierres précieuses, même si les proportions entre les deux types de productions sont bien différentes. Il a une implication directe sur le volume de main d’œuvre mobilisée en amont de la filière. En effet, ce dernier n’est pas proportionnel à la valeur de la production. Dans les faits, c’est plutôt l’inverse qui est observé. En réalité, c’est le type de gisement renfermant les gemmes qui est déterminant :

• Les gisements originels, souvent profonds, sont généralement exploités de manière industrielle et moderne par des sociétés légales (photo n°13), pleinement insérées dans l’économie formelle. Ces gisements à haute concentration en gemmes sont les plus rentables pour les sociétés minières car il couvrent de faibles surfaces (moins de frais en permis miniers) et sont souvent exploitables pendant des dizaines d’années. Pour le diamant, ces gisements correspondent le plus souvent aux cheminées de kimberlite dont l’extension en profondeur peut atteindre plusieurs centaines de mètres. On les rencontre notamment en Afrique Australe, en Sibérie, en Australie et au Canada. Ce type d’exploitation requiert peu de main d’œuvre mais un capital important. Pour les pierres précieuses, on pourrait citer les gisements d’émeraudes jumeaux de Chivor et Muzo en Colombie, même si leur exploitation est prolongée en aval dans les stériles par les « guaqueros92 ».

• Les gisements alluvionnaires sont moins adaptés à une exploitation mécanisée. Ils s’étendent souvent sur de très grandes surfaces, ne sont pas continus et les concentrations en gemmes y sont généralement moins importantes. Les compagnies minières s’intéressent rarement à ce type de gisements car la rentabilité est souvent aléatoire ou, dans le meilleur des cas, très faible. En revanche, dans les pays du Sud ils nourrissent les espoirs de centaines de milliers de mineurs (photo n°14). La mécanisation est quasiment inexistante, la situation des mineurs est souvent précaire en raison de la nature le plus souvent informelle de leur activité. La rentabilité de ce type d’exploitation est directement liée aux conditions de travail déplorables que les mineurs sont prêts à accepter. Ce n’est plus le niveau élevé des bénéfices qui conditionne un seuil de rentabilité acceptable, mais le niveau très faible d’exigences des mineurs. La main d’œuvre est souvent pléthorique bien que les chiffres d’affaire soient parfois très bas. Pour le diamant, les gisements de

92 Mineurs essentiellement informels travaillant la plupart du temps dans les stériles dégagés de la mine principale et dans les cours d'eau en aval de celle-ci. Le terme de « Garimpeiros » est parfois utilisé.

Sierra Leone, d’Angola, de Centrafrique et de la République Démocratique du Congo concentrent l’essentiel de l’activité. Dans l’exploitation des pierres précieuses, ce type de gisements est fréquent. Ils sont majoritaires au Brésil (émeraudes et pierres semi-précieuses), au Sri Lanka (saphirs), en Tanzanie (saphirs de Songea et Tunduru) et à Madagascar (pierres précieuses et pierres fines).

Photo n° 13 : La mine de Jwaneng ouverte en 1982 au Botswana (www.debswana.com). Exploitée par la société Debswana, elle nécessite des investissements très lourds pour son exploitation. La rentabilité est assurée par la valeur très élevée de la production : 1 357 290 000 US$ en 200393.

93 Depuis son ouverture en 1982, la mine de Jwaneng au Botswana est de loin celle qui produit le plus en valeur. A elle seule, elle représente environ 10% de la production mondiale. En 2003, 8 920 000 tonnes de minerais ont été traités pour une production de 12 339 000 carats de diamants, soit 138,3 carats/100 tonnes. La valeur moyenne par carat était en 2003 de 110 US$ (Source : www.diamants-infos.com).

Photo n°14 : Des mineurs travaillent le long d’un cours d’eau dans la région d’Ilakaka (Madagascar) en 2006 (Rémy CANAVESIO, mai 2006). La mécanisation est quasiment inexistante dans les exploitations de pierres précieuses, l’investissement est très faible (pelle, tamis, parfois motopompe).

La population concernée par l’économie du diamant est difficile à évaluer. Les plus grandes carrières (au Canada par exemple) emploient quelques centaines de personnes, un millier tout au plus. Le plus grand nombre de personnes se trouve dans le domaine du polissage et de la taille. En Inde, en 1990, le chiffre de 800 000 individus était avancé. On en compterait encore 500 000. Les mineurs sont moins de 50 000 dans les grandes entreprises mondiales (BRUNET R., 2003), mais des centaines de milliers de « garimpeiros94 » s’emploieraient à plein temps ou a temps partiel le

long des fleuves et rivières africaines. Au total ce serait environ 1,5 millions de personnes qui travailleraient dans le diamant à l’échelle mondiale.

Pour les autres gemmes, il est encore plus difficile de réaliser une estimation tant le nombre d’exploitations officielles est faible. La population vivant de ce secteur d’activité pourrait être

94 Le terme originellement utilisé pour qualifier les mineurs travaillant de manière artisanale dans les mines d’Emeraude en Amérique du Sud est maintenant fréquemment employé pour désigner toute personne cherchant des pierres précieuses avec peu de moyens matériels, quel que soit le continent où il se trouve. Il est parfois remplacé par le terme de « guaqueros ».

sensiblement la même que pour le diamant, bien que le chiffre d’affaire soit nettement inférieur. Cet apparent paradoxe s’explique par la nature des gisements exploités. Le nombre de personnes employées dans des exploitations structurées mécanisées est probablement nettement inférieur à 10 000 individus alors que les gisements exploités de manière artisanale et informelle concernent probablement plus de 700 000 personnes à l’échelle mondiale. Si l’on ajoute à ces chiffres la population vivant de la taille et du polissage des pierres (Asie du Sud et du Sud-Est surtout), ce serait plus de 1 million d’hommes et de femmes qui travailleraient dans la filière des pierres précieuses et des pierres de couleur.

La part des mineurs dans l’ensemble de la population vivant de la filière est donc nettement supérieure pour les pierres précieuses et fines (plus de 50% du total) que pour les diamants (environ 1/3). Cette différence majeure s’explique par la nature informelle et sous capitalisée de la très grande majorité de l’activité d’extraction des pierres précieuses, alors que les processus mis en œuvre pour la taille et le polissage sont strictement les mêmes dans le secteur du diamant que dans celui de toute autre gemme. Ainsi, si l'économie des pierres précieuses est une « niche » économique de taille modeste au regard de l'économie mondiale, elle joue un rôle « social » important en étant à l'origine d'un nombre d'emploi non négligeable qui dynamisent des régions entières.