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Introduction du chapitre IV

B. Caractéristiques démographiques générales du terrain d’étude ante saphir

Les données concernant la démographie de Madagascar sont souvent lacunaires dans la mesure ou le dernier recensement date de 1993. Ce manque d’information est particulièrement handicapant pour réaliser l’analyse d’un phénomène migratoire. Il est d’autant plus difficile de mesurer avec précision des phénomènes tels que la pauvreté des ménages où le revenu moyen de ces derniers, lorsque on connaît à peine le nombre d’individus présents dans le pays15. Ces éléments sont pourtant indispensables pour comprendre les dynamiques migratoires de type « ruée » dans la mesure où ils influent de manière prépondérante sur la propension des individus à migrer.

On peut néanmoins estimer que la population du pays approche en 2010 les 20 millions d’habitants. Malgré un accroissement naturel rapide (proche de 3% par an), le pays, très vaste (590 000 km²) reste largement sous peuplé (environ 30 hab./km² en moyenne). La population est globalement très jeune (graphique n°11) en raison d’un taux de fécondité encore élevé (proche de 6 enfants par femme) et malgré une mortalité qui amorce une tendance à la baisse16. En effet, un malgache sur deux aurait moins de 18ans.

La densité de population est très variable d’une région à l’autre (carte n° 14). C’est sur les « Hauts plateaux » que l’on rencontre les plus fortes densités. La région de Antananarivo (la capitale du pays) est de loin la plus densément peuplée, avec des secteurs où l’on dépasse largement les 100 habitants par kilomètres carrés. Le pays Betsiléo (région de Fianaranstoa), également dans les Hautes Terre, connaît aussi des densités importantes (53,5 habitants par kilomètres carrés selon l’INSTAT, (2004)). Les autres secteurs du pays où l’on observe des

14 Littéralement « propriétaires de la terre ».

15 La plupart des informations disponibles sur la population de Madagascar résultent de l’extrapolation des évolutions constatées en 1993, date du dernier recensement global.

16 L'indice synthétique de fécondité serait de 5.62 enfants/femme, le taux brut de natalité de 41.41‰ et le taux brut de mortalité de 11.11‰. Pour ces raisons et avec la contribution du bilan migratoire, le taux de croissance de la population serait de 3.03% (site Internet de la CIA, 2010).

densités supérieures à 50hab/km² se limitent à des espaces peu étendus des régions côtières ainsi qu’à proximité des grands centres urbains (côte Est, extrémité Sud…).

Graphique n° 11 : Pyramide des âges de Madagascar en 200817 (INSTAT, 1997, modifié).

Les densités les plus faibles sont observées dans les vastes étendues du Moyen Ouest, à mi-chemin entre les Hautes Terres surpeuplées (en vertu du modèle de développement actuel) et les foyers de peuplement isolés de la côte Ouest (Tuléar, Morondava, Majunga). Même si elle ne fait pas à proprement parler parti du « Moyen Ouest », la région d’Ilakaka se trouve précisément dans ces espaces au peuplement extrêmement faible. A cheval entre la région Horombe (7,2 hab/km² selon l’INSTAT, 2004) et la région Atsimo-Adrefana (15,4hab/km² selon l’INSTAT, 2004), la région d’Ilakaka était, avant la découverte des pierres précieuses, peuplée de moins de 10hab/km² (carte n°14), avec des valeurs même largement inférieures à 5hab/km² au Sud de la RN7. Ce sous peuplement apparent doit être considéré au regard des ressources naturelles disponibles qui offrent peu de possibilité en matière de production agricole (DE SAINT SAUVEUR, 1998).

17 Selon l’hypothèse moyenne d’évolution de la population réalisée à partir du Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 1993 (R.G.P.H. 1993).

Carte n°14 : Densité de population à Madagascar établie à partir des données du Recensement Général de la Population et de l’Habitat (1993) (Rémy CANAVESIO, 2010).

Par ailleurs, la région d’Ilakaka, à l’image de l’Ibara dans sa globalité était l’objet de dynamiques démographiques singulières. Le taux de fécondité était de longue date inférieur à la moyenne nationale, d’un demi point environ. Le taux de mortalité infantile est en revanche

supérieur aux autres régions. Selon HOERNER (1986a), la malnutrition et les maladies qui affectent les femmes enceintes pourraient expliquer cette situation. Ces paramètres se conjuguent et contribuent à faire de l’Ibara une des régions où la population est la plus âgée du pays, et une de celles où l’accroissement naturel de la population est le plus faible. A titre de comparaison, en 1998, la part des moins de 20 ans dans la population totale était de « seulement » 41,6 % dans la région de Sakaraha alors que pour l’ensemble de la Province18 de Tuléar, ce chiffre s’élevait à 54,2% (DE SAINT SAUVEUR, 1998). La part des Bara dans l’ensemble de la population malgache est donc en baisse régulière ces dernières années.

3. Dynamiques migratoires en Ibara dans un contexte de crise profonde et durable A. Crise économique et « potentiel migratoire »

Connaître la répartition de la population n’est pas suffisant pour comprendre la dynamique des migrations de survie car la surpopulation (ou sous population) de certains territoires n’est que rarement à l’origine de mouvements migratoires19. Il semble indispensable de comprendre la situation économique dans laquelle la population se trouve pour tenter d’évaluer le « potentiel migratoire » de cette dernière. En effet, si d’autres paramètres peuvent également contribuer à influer sur ce « potentiel migratoire » (surpopulation rurale, crise politique, climatique…), le facteur économique semble prépondérant (Chapitre III). En l’absence de conflit, c’est souvent la pauvreté qui est le moteur des migrations. Ainsi, nous supposons que les régions les plus pauvres du pays doivent être sur-représentées parmi la population des migrants, et donc dans la région des fronts pionniers d’Ilakaka, comme elles ont pu l’être à partir du milieu des années 1980 dans le cadre des migrations de survie décrites par Emmanuel FAUROUX et Bernard KOTO (1993).

A partir du milieu des années 1970, les politiques contradictoires menées par les gouvernements successifs sur fond de « politique du ventre » (BAYART, 1992), ont provoqué un long déclin de l’économie malgache. Durant toute cette période, le taux de croissance annuel du PIB resta inférieur de plus de deux points au taux de croissance annuel de la

18 La division administrative correspondant à la Province a été abandonnée récemment (2004) dans le cadre de la politique de décentralisation au profit des 22 régions.

19 On considère néanmoins que certaines régions rurales des « Hautes Terres » de Madagascar sont des foyers d’émigration réguliers en raison de la surpopulation relative de ces territoires (au regard du modèle social, économique et technique actuel), notamment à proximité de Fianarantsoa.

population20 (Banque Mondiale, 2005). Il s’en suivit un inévitable recul du revenu par habitant (graphique n° 9) qui, sur toute la période fut quasiment divisé par deux. Le PIB par habitant est maintenant inférieur à la moitié de la moyenne des pays les moins développés, classant Madagascar parmi les pays les plus pauvres du monde (Banque Mondiale, 2005). Cette crise économique majeure et durable a eu des répercussions à tous les niveaux. Le système de santé et de formation a fortement souffert du manque d’investissements, les infrastructures de base, mal entretenues se sont délabrées, l’habitat précaire a explosé autour des grandes agglomérations.

Carte n°15 et 16 : Carte de pauvreté urbaine (à gauche), et carte de pauvreté rurale (à droite), par Fivondronana, selon le ratio de pauvreté (RAZAFIMANANTENA, 200321).

20 Dans sa « Revue de Politique de Développement » consacrée à Madagascar (2005), la Banque Mondiale avance un taux de croissance moyen du PIB de seulement 0,5% en moyenne sur la période 1970-2005, pour un taux de croissance moyen de la population de 2,8%.

21Réalisées en 2003 à l’occasion de la conférence : « développement économique, service sociaux et pauvreté à Madagascar » (11 juin 2003), à partir des données du RGPH-93 (recensement de 1993).

Aucune région n’a été épargnée par ce vaste mouvement de recul, mais, dans plusieurs régions du Sud, le potentiel agricole limité et les incidents climatiques à répétition ont rendu la situation intenable. Les dynamiques migratoires observées dans le Sud Ouest de Madagascar au cours des trois dernières décennies sont le résultat direct de la crise économique nationale, associée, dans le cas des régions Sud à une sécheresse chronique au cours des années 1990. Dans une économie locale très largement tournée vers l’agriculture, la réduction importante des précipitations durant plusieurs années conduisit à une situation critique22. A l’échelle régionale, les rendements ont fortement baissé au point que les systèmes de production n’arrivaient plus à assurer la survie des habitants (FAUROUX et al., 1992a). Cette sècheresse durable, particulièrement aigüe au cours des années 1991 et 1992 (RANDRIAMANGA, et al., 1993) provoqua une vague de migration massive dans tout le grand Sud (DE SAINT SAUVEUR, 1998), et participa au remaniement du peuplement de ces régions.

Les cartes n° 15 et 16 montrent que dans les années 1990 (la situation reste encore largement d’actualité dans les années 2000), l’Ibara occidental était une région relativement favorisée par rapport aux autres régions du centre et du Sud de Madagascar. Aussi, si les habitants ruraux des Hautes Terres candidats à l’émigration (les plus nombreux en raison des fortes densités de population de ces secteurs) alimentaient des parcours migratoires variés (en direction des différents centres urbains du centre du pays, vers les espaces « neufs » du Moyen Ouest…), les migrants potentiels du Sud se tournèrent essentiellement vers le centre urbain régional de Tuléar23 et vers les espaces ruraux des Fivondronana de Sakaraha et de Ankazoabo (parties Ouest et Nord de la région des fronts pionniers d’Ilakaka) (RANAIVOARIVELO, 2002).

Comme on le verra plus loin, et dans la mesure où la situation économique générale a peu évolué au cours de toute la décennie, la pauvreté parfois extrême apporte un élément d'explication à la sur-représentation des populations du Sud (Mahafaly, Antandroy et Antanosy) et de centre (Betsiléo et Mérina) observée parmi les migrants présents sur les fronts pionniers d’Ilakaka.

22 Dans les années 1930 et jusqu'en 1946, la disparition du Raketa Gasy détruit par la cochenille, déséquilibre un milieu écologique fragile et expose les habitants de l'Androy à la disette. On assiste alors à une longue période de migration des Antandroy vers les autres régions de Madagascar (RABEARIMANANA, 1989).

23 KOTO, B., (1991 ; 1995).