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Introduction du chapitre IV

C. L’homogénéité socio-spatiale originelle

Avant la découverte des pierres précieuses, et malgré les différents facteurs porteurs d’hétérogénéité (topographie, découpage administratif…), le terrain d’étude se caractérisait avant tout par une formidable homogénéité socio-spatiale. Aucun village n’avait suffisamment d’influence économique ou politique pour polariser l’ensemble de l’espace considéré.

La RN7, bien qu’étant le seul axe de circulation goudronné, n’avait pas modifié cet équilibre des polarités au profit des villages qu’elle traverse (Sakaraha, Be Vilany, Manombo Be, Ilakaka). En dépit de son rôle structurant à l’échelle nationale, il n’avait donc pas participé au développement économique des communautés villageoises locales, ni à leur transformation de manière irrémédiable (DE SAINT SAUVEUR, 1998).

A la limite entre les zones d’influence de Tuléar (200km vers l’Ouest Sud Ouest) et Fianarantsoa (280km vers le Nord Est), les habitants de la région – non véhiculés dans une

9 Il est intéressant de noter que désormais, le village de Besakoa est nettement moins ouvert sur l'extérieur que celui de Bekily. En effet, l'essentiel de l'activité minière se concentre à Bekily alors qu'elle est négligeable à proximité de Besakoa.

très large majorité10 – ont toujours eu davantage de liens socio-économiques avec les petites villes de l’Ibara, accessibles à moindre coût (souvent par la marche), tel que Ihosy à l’Est (115km), Betroka au Sud Est (130km) et Ankazoabo au Nord (150km) qu'avec les grandes villes du Sud distantes de plusieurs centaines de kilomètres. Bien que n’étant pas le foyer d’origine de l’ethnie, et malgré la présence d’un axe de circulation majeur, ce terrain d’étude restait donc un espace privilégié d’observation des coutumes, des croyances et du système de production traditionnel de l’ethnie bara.

2. Le peuplement de l’Ibara précolonial et colonial A. L’origine du peuplement de l’Ibara

Le peuplement originel de Madagascar reste encore mal défini même si la plupart des auteurs s’accordent sur le fait qu'il serait postérieur au début de l’aire chrétienne. Deux sources de peuplements distincts se sont succédé. Celui qui semble être le premier (débuts du premier millénaire), d’origine asiatique correspondrait à la migration par voie maritime de quelques milliers d’habitants originaires de l’archipel indonésien11 (FUMA, 2002). Cette fraction asiatique du peuplement malgache s’installa rapidement sur les Hautes Terres, au centre du pays. Son influence sur le peuplement du Sud et de L’Ouest du pays sera très tardive.

Selon HOERNER (1986a), qui reprend les thèses de OTTINO (1974) et de VERIN (1980), les premiers habitants du Sud Ouest de Madagascar seraient d’origine Africaine (bantoue). Le découpage ethnique ne serait néanmoins pas importé de l’Afrique continentale. Ce n’est que progressivement que des clans, des dynasties et des royaumes se dessinent. Au XVIIIème siècle, les royaumes Sakalava (Ouest), Masikoro (région de Tuléar) et Mahafaly (Sud de l’embouchure de l’Onilay), sont déjà en place (HOERNER, 1986a). Au même moment, ce qui constitue désormais l’Ibara est encore une terre presque vierge, en tout cas dépourvue d’un peuplement important et organisé. Les populations qui formeront ultérieurement l’ethnie bara se trouvent alors, selon plusieurs sources concordantes, à l’extrémité Sud-Est de l’Ibara actuel, entre les rivières Itomampy et Ionaivo, c'est-à-dire à

10 Les habitants de la région avaient rarement les moyens de payer les frais de transport demandés par les taxi-brousse. La grande majorité des déplacements se réalisait donc à pied ou en charrette à zébus.

11 Cette part indonésienne du peuplement asiatique expliquerait les nombreuses similitudes entre la langue malgache et différents dialectes de l’archipel indonésien. D'autres traits culturels soulignent cette parenté.

proximité des villages actuels de Ranotsara et de Iakora. Ce n’est qu’au milieu du XIXème siècle que ces populations vont entreprendre une migration vers l’Ouest. Ce mouvement des Bara vers l’Ouest est probablement multi factoriel mais les problèmes de succession au sein du clan, et surtout l’afflux de Betsiléo et d’Antaisaka, eux mêmes chassés par les Mérina12 (de 1838 à 1852) aurait été décisif. Ne pouvant migrer vers le Sud où les royaumes Mahafaly et Antanosy étaient déjà bien établis, les Bara se déplacèrent en direction de l’Ouest et du Nord Ouest. Ces peuples de pasteurs du grand Sud Ouest de Madagascar qui ont en commun une lente migration vers l’Ouest et le Nord, auraient, selon Emmanuel FAUROUX, une origine commune.

« Les traditions orales des populations actuelles de l’EMdM13 s’accordent sur l’idée d’une origine commune. Celle-ci se situerait dans un groupe d’éleveurs de bœufs partis autrefois des monts Anosy, à l’extrême Sud du pays, pour entreprendre un vaste et lent mouvement de migration qui a duré plusieurs siècles. Il s’est dirigé vers l’Ouest, puis le Nord-Ouest et le Nord, à la recherche de nouveaux pâturages, de nouveaux troupeaux à razzier et de nouvelles alliances. Au fur et à mesure de sa conquête de ce qui est aujourd’hui l’EMdM, le groupe a donné naissance à diverses principautés et royaumes… » (Emmanuel FAUROUX, 1992a).

Les Bara, à l’image de nombreuses populations de Madagascar ont donc une existence relativement récente en tant qu’ethnie. Cette classification serait le résultat du découpage de l’espace en royaumes. Selon Emmanuel FAUROUX (1992a), les ethnies se sont formées autour d’une unité politique : elles se sont constituées d’individus ou de groupes d’individus acceptant l’autorité d’une dynastie dominante, celle des Zafimanely pour les Bara, des Andrevola pour les Masikoro, etc. MAHATSANGA (1977) ajoute que l’ethnie bara serait le résultat de l’agrégation de tous ceux qui ont fui la domination des royaumes qui entourent l’Ibara actuel. Le groupe serait donc hétérogène, du moins avant le XIXème siècle (MAHATSANGA, 1977)

Dans le cas du Sud Ouest de Madagascar, l’ethnie ne précèderait donc pas le découpage territorial ou l’autorité politique, au contraire, elle en serait le résultat. Ce ne serait donc pas l’ethnie qui se serait forgé un territoire et une structure politique, mais la fragmentation territoriale à base politique qui aurait débouché sur le découpage ethnique que

12 L'ethnie Mérina est l'ethnie majoritaire de la région de Antananarivo.

13 Ensemble Méridional de Madagascar, qui correspond à la province de Tuléar dans son ensemble et aux Sous-Préfectures d’Ihosy, d’Antsavola et, partiellement de Maintirano.

nous connaissons depuis le début de la période coloniale. Néanmoins, malgré une installation tardive dans le Sud Ouest de l’Ibara, et bien que celle-ci se soit réalisée au détriment d’autres ethnies, notamment dans l’Ouest (les Masikoro se sont longtemps opposés aux Bara Imamono, ce qui ne manqua pas de provoquer de nombreux combats), les Bara sont reconnus comme tompontany14, c'est-à-dire autochtones dans la région (DE SAINT SAUVEUR, 1998), et donc propriétaires légitimes de leur territoire.