• Aucun résultat trouvé

Introduction du chapitre IV

B. Les systèmes de production traditionnels menacés par les migrations de la faim

A partir du milieu des années 1980, la situation économique régionale catastrophique déboucha sur une intensification des migrations de survie au sein même de la Province de Tuléar. Les habitants des régions rurales les plus méridionales (Antandroy, Mahafaly notamment), souvent éleveurs où agriculteurs se virent contraints par la sècheresse à des migrations plus ou moins durables. Ces migrations de survie se dirigèrent donc de l’extrême Sud du pays vers les grands centres urbains régionaux24 et nationaux, mais également en direction des espaces agricoles peu peuplés du centre et de l’ouest de Madagascar. Dans cette dynamique migratoire régionale, l’Ibara devint une région d’immigration importante. Selon Armelle DE SAINT SAUVEUR, ces migrations étaient, au milieu des années 1990, l’un des facteurs majeurs de changement en Ibara. L’impact de ces mouvements de population pour la région fut d’autant plus important que la nature des migrations changea progressivement.

« Avec l’exode massif des Mahafaly et des Tandroy vers les zones plus humides, les migrations internes à la région ont probablement dépassé la côte d’alerte, malgré le réel sous peuplement de la région. Ces migrations qui sont, en principe, temporaires, sont, aujourd’hui, de plus en plus souvent définitives » (Emmanuel FAUROUX, 1992a).

L’installation définitive de ces migrants qui profitèrent des divers « booms »25 agricoles pour développer une agriculture commerciale, ne manqua pas de déstabiliser fortement les régions d’immigration. Dans les centres urbains, l’habitat précaire et l’économie informelle de survie se développèrent, alors qu’en Ibara, l’exploitation de plus en plus anarchique et dévastatrice du patrimoine naturel connut une brusque accélération. L’Ouest et le Nord Ouest de l’Ibara furent particulièrement concernés par cette évolution. De Tuléar à Sakaraha, mais également plus au Nord, à proximité d’Ankazoabo, les ressources naturelles sont exploitées hâtivement par les migrants, dans des logiques de rentabilisation à court terme du potentiel naturel local. Au cours des années 1990, les cultures sur brûlis, la fabrication de charbon de bois et les briqueteries se sont multipliées. Dans les secteurs les plus directement concernés par ces mouvements de population, les systèmes de production et modes d’occupation de l’espace traditionnels se sont heurtés aux pratiques des migrants. Les conflits furent particulièrement virulents dans les domaines de la gestion foncière et du pouvoir (DE

24 KOTO, B., 1991.

25 De 1982 à 1986, le boom du coton touche fortement l’Ibara (Secteurs de Sakaraha-Mahaboboka et autour d’Ankazoabo) et le Sud Ouest du pays en général. Dans le Sud Ouest, les surfaces cultivées passent alors de 7000ha en 1982 à 32000ha en 1986 ; (HOERNER, 1990). Entre 1987 et 1991, 2400 ha de la forêt de Zombitse sont convertis en champs de maïs (WWF, n.d.).

SAINT SAUVEUR, 1998). Les espaces les plus productifs (dans cette région, il s’agit surtout des bas-fonds et des forêts) étaient donc les plus disputés entre les deux communautés. Pourtant, avant la vague d’immigration massive des années 1980 et 1990, une forme de complémentarité existait entre migrants et Bara.

« Le développement agricole et l’accueil des migrants renforçaient la richesse des autochtones et consolidaient leur pouvoir. La rente foncière leur revenait à travers le métayage et leur permettait de dominer les étrangers. (….) A présent, la désorganisation foncière due au démantèlement des concessions, puis, plus récemment à la colonisation anarchique des terres par les migrants du Sud a provoqué une situation de conflit. » (Armelle

DE SAINT SAUVEUR, 1998, p. 191).

La région qui deviendra celle des fronts pionniers du saphir est marginalement concernée par ces évolutions. Seules les extrémités Nord Ouest et Ouest, plus propices au développement de l’agriculture, sont véritablement déstabilisées par la dynamique migratoires régionale des années 1980 et 1990. Dès 1994, la population Bara n’était plus majoritaire dans la sous préfecture de Sakaraha (45,1%).

Plus à l'Est, pour la commune d’Ambinany (Besakoa, Bekily, Leobondro…), à la veille de l’exploitation du saphir, les Bara représentaient encore 54% de la population totale alors que les deux ethnies non Bara les plus nombreuses (Antanosy et Betsiléo26) regroupaient chacune 15% de la population totale. Dans les moitiés « Sud » et « Est » des fronts pionniers d’Ilakaka, les effets de ces migrations de survie ont étés plus atténués encore car le faible potentiel agricole de ces espaces quasiment dépourvus de forêts, limitait le développement de l’agriculture commerciale (essentiellement pratiquée sur brûlis) où la production de charbon de bois. Le terrain d’étude correspondant aux fronts pionniers du saphir était donc, à la fin des années 1990, majoritairement peu affecté par les effets déstabilisant induits par les migrations de survie. Seule la région de Sakaraha avait été véritablement transformée par ces dynamiques. Dans le reste du secteur étudié, le système de production et les valeurs traditionnelles Bara étaient encore solides et la croissance de la population était (pour une bonne part) le fait d’un accroissement naturel modéré (par rapport à d’autres régions du pays).

26 Les migrations de Betsiléo ne sont pas le résultat des sécheresses qu’ont connu les régions du sud au début des années 1990, mais bien de la surpopulation structurelle de leur région d’origine.

II. Un phénomène migratoire d'envergure exceptionnelle

A la veille de l’explosion de l’artisanat minier, la majeure partie de la région des « fronts pionniers d’Ilakaka » est sujette à des évolutions plus ou moins rapides, concernant notamment le modèle de production (développement progressif de l’agriculture, recul de l’élevage familial) et les relations sociales (déclin de l’autorité lignagère au profit du pouvoir économique des mpanarivo27). La région reste néanmoins relativement épargnée (sauf aux extrémités Ouest et Nord Ouest) par les dynamiques migratoires puissantes qui, à l’Ouest et au Nord de Sakaraha, ont remis en cause en profondeur le système territorial des populations

tompontany Bara. La fin de l’année 1998, point de départ à la création d’un modèle de

production basé sur la mine artisanale, va marquer une rupture dans le rythme auquel se produisaient les dynamiques de changement. L’arrivée massive et brutale de migrants va bouleverser la région.

1. La première pierre, entre mythe et réalité A. La légende

Que ce soit à Ilakaka, sur un autre gisement malgache, ou dans n’importe quel pays producteur de pierres précieuses, la découverte de la « première pierre » est toujours entourée d’une légende plus ou moins fondée et vérifiable. A Madagascar, les travaux de prospections réalisés au cours de la période coloniale permirent la mise à jour de nombreux gisements de gemmes que l’on « redécouvrira » des années plus tard, après une longue période durant laquelle ils furent ignorés (cas du gisement de saphir d'Andranodambo dans le Sud par exemple). Dans la région d’Ilakaka, et en dépit des travaux menés par Michel SOURDAT28

27 Les mpanarivo sont souvent de jeunes Bara ayant acquis un pouvoir certain au niveau local en s'appuyant sur leur capital financier important, souvent proportionnel à la taille de leur troupeau de zébu (mpanarivo : littéralement : « Ceux qui en ont mille [zébus] »). Bien que contestant souvent l'autorité classique fortement dépendante de l'âge des individus, cette nouvelle forme de domination correspondait à une évolution progressive de la société bara relativement bien intégrée à la culture des populations locales (pour qui le zébu joue un rôle central).

28 Les quatrièmes et cinquièmes parties (80 pages au total) de son ouvrage de 1977 intitulé « Le Sud-Ouest de Madagascar, morphogénèse et pédogenèse » sont intégralement consacrées à la région d'Ilakaka. En dépit de cette importante contribution et des nombreuses coupes réalisées entre Ranohira et Sakaraka (une centaine d'après l'auteur (p. 177)), la présence de saphirs n'apparaît nulle part. Concernant les gemmes exploitées actuellement il est seulement fait mention de la présence de rares tourmalines, zircons et andalousites (p.125). Les coupes réalisées semblent être systématiquement « tombées » en dehors du paléo-réseau hydrographique

(1977), nous ne retrouvons pas trace de « primo découverte », bien que le doute soit toujours permis. Les recherches en cours conduites dans la région par Gaétan FELTZ (historien) apporteront probablement davantage de précisions sur l'origine du premier saphir d'Ilakaka. Dans l'état actuel de mes connaissances sur le sujet, voilà les différentes pistes que l'on a bien voulu me laisser suivre :

Dès les premiers jours de l’explosion de l’activité minière dans la vallée d’Ilakaka (cela pourrait correspondre aux derniers jours de septembre 1998), une légende se forgea sur l’origine de la première pierre. Un habitant d’Ilakaka Be aurait trouvé une pierre bleue dans sa rizière (ou dans un pâturage en promenant ses zébus, les deux versions coexistent), au milieu de l’année 1998. Cet homme aurait montré cette pierre à un étranger faisant une brève escale dans le hameau d’Andohan Ilakaka (il ne s’agit alors que d’un bourg d'une quarantaine d'âmes, endormi au bord de la rivière Ilakaka, où les taxi brousse s’arrêtaient occasionnellement pour puiser de l’eau). L’étranger, qui faisait route vers Tuléar aurait fait analyser la pierre, puis aurait répandu la nouvelle, initiant la vaste ruée vers Ilakaka de la fin d’année.

Cette version de la découverte, largement répandue par les journalistes, ne résiste pas longtemps aux entretiens réalisés sur le terrain. La diffusion de l’information à l’échelle nationale, faisant état de la présence d’un important gisement de saphir aurait en fait eu lieu plusieurs années après la découverte de la première pierre.