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Introduction du chapitre IV

C. La découverte des gisements d’Ilakaka, un secret jalousement gardé

Le Sud de Madagascar était connu depuis plusieurs dizaines d’années pour son potentiel gemmologique. Les localités de Bezaha, Gogogogo, Ampanihy, Bekily (Androy) étaient réputées depuis des décennies pour la diversité des minéraux et des gemmes (labradorite, topazes, grenats, béryls…), sans avoir pour autant généré d’exploitation à grande échelle de ces ressources. Le microcosme des aventuriers et autres passionnés, toujours à la

recherche de nouveaux gisements, a sillonné durant des années la « brousse » du Sud, à l’affût de chaque pierre que les habitants de la région pouvaient leur présenter.

A partir de la fin des années 1980, le contexte économique régional catastrophique amena la population du Sud à se rabattre de plus en plus fréquemment sur les ressources minières pour obtenir une activité rémunératrice. Dés lors que le gisement de saphir d’Andranodambo est entré en exploitation (1994), des Thaïlandais, basés à Tuléar et à Fort Dauphin se sont ajoutés à la foule des passionnés européens, parcourant tout le Sud de Madagascar en compagnie d’interprètes malgaches, à la recherche de nouveaux indices.

En Ibara, deux collecteurs européens basés à Ihosy (l’un Français, Joël DELORME et l’autre Allemand, Mr Hugo TESS29) organisaient la collecte des gemmes dans le centre Sud du pays depuis le milieu des années 1970. D’abord de faible envergure, ce commerce concernait dans un premier temps les pierres semi précieuses de la région (béryls, tourmalines, grenats…). Les deux géologues associés drainèrent ainsi de manière quasi monopolistique la « production30 » de gemmes de l’Ibara pendant une quinzaine d’années (CANAVESIO, 2004). En 1992 ou 1993, un paysan aurait ramené au géologue allemand le premier saphir dont la découverte aurait été réalisée à un peu moins de dix kilomètres d’Ilakaka Be, au bord de la piste menant à Sakalama. Au risque d'apporter des précisions erronées, il semblerait que la découverte du premier saphir ait été réalisée au sein d'un lot de grenats provenant des petites exploitations artisanales (désormais abandonnées) proches du hameau de Bemandresy, à 7km au Sud d'Ilakaka Be. Dès lors, les deux collecteurs organisèrent la collecte des saphirs dans la région à partir d’Ihosy et de Ranohira, mais aussi en installant un relais de collecte sur le terrain, au plus près de la production (Joël DELORME à habité durant plusieurs années une maison encore visible au centre du village d’Ilakaka Be). Cette position stratégique permit au Français de multiplier les recherches sur le terrain dans le but de se rendre propriétaire des périmètres les plus intéressants (avant que la rumeur ne se répande, il s’était rendu propriétaire de 13 carreaux miniers) mais elle représentait également un point de contrôle de premier choix pour détourner l’attention des curieux, dans la mesure ou Ilakaka Be est un passage obligé vers les secteurs productifs à cette période. Pendant plusieurs années, le secret va ainsi être jalousement gardé entre les deux collecteurs et une poignée d’élus locaux corrompus, la population locale restant dans l’ignorance de la valeur

29 L'orthographe du nom est approximative mais correspond à la prononciation phonétique du nom de famille.

30 Dans bien des cas, il ne s’agit pas vraiment de production mais plutôt de « cueillette », les pierres étant ramassées et revendues par les populations locales au gré de découvertes réalisées au hasard d’autres activités.

réelle de saphirs qu’elle échange par Kapoky31 contre un peu de nourriture ou quelques francs malgaches.

2. Une ruée de 130 000 migrants poussés par la rumeur A. Le point de départ à la diffusion de la nouvelle reste flou

En mettant à jour un gisement de pierres précieuses au potentiel exceptionnel, les deux géologues savaient que le secret ne pouvait être gardé indéfiniment. Mais à l’inverse des deux géologues canadiens qui à la même période découvraient les immenses gisements de diamant des Territoires du Nord Ouest au Canada, ils ne furent pas à l’initiative de la propagation de l’information, et malgré les précautions prises (propriété de plusieurs périmètres miniers) ils ne purent obtenir de leur découverte un profit équivalent32.

En dépit des recherches réalisées sur le terrain auprès de différents acteurs « historiques » du commerce des pierres précieuses dans le Sud de Madagascar, je n’ai pas réussi à déterminer avec certitude le « canal » ayant permis la diffusion nationale de l’information. Différentes hypothèses vraisemblables coexistent. La première, retenue par la majorité ferait porter la responsabilité à un malgache originaire d’Antsirabé, « proche » des deux géologues. Pour des raisons indéterminées, ce commerçant de pierres mis dans la confidence n’aurait pas respecté le silence. Une autre hypothèse établit un lien avec les « collecteurs » thaïlandais qui, a force de persévérer dans leur travail d’enquête dans le Sud de Madagascar, seraient parvenus à découvrir l’existence des immenses gisements d’Ilakaka. N’ayant aucun intérêt à voir la production végéter et rester entre les mains d’acteurs concurrents, ils auraient volontairement diffusé la nouvelle. Cette hypothèse est en partie accréditée par divers témoignages concordants assurant de la présence des Thaïlandais à Ilakaka dés les premiers jours de la ruée. Enfin, une dernière hypothèse fait le lien entre un Français alors très actif dans le milieu des gemmes à Madagascar et ayant obtenu des informations sur le potentiel gemmifère de la région. Il aurait alors demandé a devenir propriétaire de plusieurs dizaines de périmètres miniers dans la région. Ne parvenant pas à

31 Le kapoky est une unité de mesure de volume utilisée dans tout Madagascar, correspondant à une boîte de conserve de lait concentré de la marque Socolait de 390 grammes.

32 Les géologues canadiens Charles FIPKE et Stewart BLUSSON on fait fructifier leurs découvertes (diamants des Territoires du Nord Ouest au Canada) en s’associant à plusieurs projets d’exploitation menés par des société minières internationales au Canada. Les actions qu’ils ont ainsi obtenues représentent plusieurs millions de dollars.

trouver un accord avec le Président de la République de l’époque (Didier RATSIRAKA) sur le « prix33 » à payer pour entamer des négociations, ce Français à été contraint de quitter le territoire. L’affaire, très médiatisée à l’époque34 aurait contribué à faire converger les regards sur la région d’Ilakaka.

Ces différentes hypothèses ne devraient peut être pas être considérées indépendamment les unes des autres. Toutes témoignent de l’intérêt croissant des collecteurs de pierres précieuses pour la région à une période particulièrement propice aux découvertes dans l’ensemble du pays, et notamment dans le Sud. Un faisceau d’indicateurs (multiplication des régions productrices, diversification du panel des gemmes découvertes…) convergeait alors vers Madagascar et annonçait un potentiel exceptionnel.