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Introduction du chapitre IV

B. Le pivot d'un système migratoire d'échelle nationale

Dans le chapitre consacré à l'historique de l'exploitation des gemmes à Madagascar, il est apparu clairement que la ruée vers les saphirs d'Ilakaka n'était pas la première du genre dans le pays. Plusieurs phénomènes comparables, quoi-que plus modestes, avaient déjà secoué différentes régions du pays au cours des années précédentes (Andranodambo en 1994 et Ambondromifehy en 1996 notamment). L'ampleur du phénomène migratoire (en terme numérique et temporel) initié en 1998 dans l'Ibara occidental va pourtant conférer un « statut » particulier à cette région aux yeux des mineurs de l'ensemble du pays.

Cette population est extrêmement mobile57. Elle se déplace très régulièrement d'un gisement à un autre au sein des régions minières (Chapitre V), mais n'hésite pas également à parcourir des centaines de kilomètres pour « tenter sa chance » dans des régions minières nouvelles. Depuis la ruée d'Andranodambo en 1994, certains mineurs ont ainsi « écumé » la quasi totalité des gisements apparus depuis cette date58. C'est ainsi qu'une large part des mineurs ayant travaillé à Andranodambo a migré dans la région de l'Ankarana lorsque débuta

55 Pour l'orpaillage en revanche, il s'agit d'une période faste car les cours ne cessent de monter.

56 Les travaux de JACQUES, ORRU et PELON, sont le résultat de recherches menées en Afrique de l'Ouest dans des régions d'orpaillage. Elles sont donc différentes du contexte d'Ilakaka à deux niveaux. D'un point de vue du contexte socio-spatial d'une part mais aussi du point de vue de la ressource exploitée.

57 On constate néanmoins de grandes disparités selon l'origine des mineurs (Chapitre VI).

58 C'est ainsi que lors de l'enquête menée en juin 2007 à Andranomena, un mineur originaire de Fianarantsoa âgé de 35 ans a affirmé avoir déjà travaillé dans les mines de : Andilamena, Ambondromifehy, Andranodambo, Moramanga, Tamatave, Vatomandry et Vangaindrano !!!

l'exploitation des saphirs de cette région59 (carte n° 19). En 1998, avec l'ouverture des fronts pionniers d'Ilakaka, le phénomène prend une autre dimension. En plus des populations n'ayant jamais exercé d'activités dans les régions minières, Ilakaka va drainer des mineurs de l'ensemble du pays. En 2007, la région d'Ilakaka abriterait ainsi plus de 10 000 personnes ayant déjà travaillé à Andranodambo (13% de la population d'Ilakaka et probablement les deux tiers de la population ayant travaillé à Andranodambo !), plus de 4 000 personnes ayant travaillé à Ambondromifehy60, presque autant venant d'Andilamena (graphique n°14).

Graphique n° 14 : Part des chefs de famille ayant fréquenté les autres régions minières de Madagascar, et estimation61 de cette fréquentation par la population totale de la région d'Ilakaka (Rémy CANAVESIO, 2010). (Réalisé à partir d'un échantillon de 206 chefs de familles dans 4 villages : Andohan Ilakaka, Monombo-Kelly, Andranomena, Bekily).

59 Une part importante des mineurs encore en activité dans l'Ankarana est d'ailleurs originaire de ce mouvement migratoire.

60 Si la communauté originaire de Diégo-Suarez (et ayant travaillé à Ambondromifehy) semble avoir été importante (en nombre et par le rôle qu'elle a joué socialement dans la pacification de la région) dans les premières années, il semblerait qu'une bonne part (près de 50%) ne soit désormais plus présente à Ilakaka.

61 L'estimation a été réalisée en considérant que les autres habitants de la maison (nés antérieurement au début de la ruée dont il est question) ont eu le même parcours que le chef de famille. Par ailleurs, il a été considéré que la population totale de la région des fronts pionniers d'Ilakaka (populations tompontany, migrants et enfants de migrants) s'élevait à 120 000 personnes.

On remarque en revanche que les régions d'orpaillage (mélangées avec des gisements de gemmes dispersés dans la catégorie « autres gisements ») sont très rarement citées. En fait il est apparu que l'activité d'orpaillage et la recherche des gemmes étaient deux activités apparemment très proche mais en réalité bien distinctes, pratiquées par des communautés de mineurs au « profil » et aux attentes très différentes62.

Par ailleurs, en s'inscrivant dans le temps long et en prenant une telle ampleur, l'exploitation des pierres précieuses va transformer la région d'Ilakaka en véritable réservoir de mineurs et en plaque tournante des migrations entre les différentes régions minières du pays (carte n° 19). En effet, si des mineurs venus de l'ensemble du pays sont aujourd'hui présents à Ilakaka, la région fournit, en retour, de gros contingents de candidats dés qu'un nouveau gisement entre en exploitation en dehors de la région.

Comme le marché d'Ilakaka draine des pierres venues de tout le pays les informations circulent vite et arrivent presque instantanément auprès de populations très réceptives dotées d'un « capital de mobilité63 » très élevé. En quelques jours l'ensemble de la population est informée. Celle-ci part alors d'autant plus facilement qu'elle l'a déjà fait dans le passé et qu'elle à la certitude...qu'elle pourra revenir. Les régions minières du pays ne sont pas les seules concernées. On retrouve désormais des mineurs d'Ilakaka sur l'ensemble des « fronts pionniers » de Madagascar, qu'ils soient miniers, agricoles ou liés à la pêche (GOEDEFROIT, 2002). En effet, la région d'Ilakaka offre désormais une certaine forme de facilité pour les candidats à l'émigration. Lorsqu'ils partent tenter leur chance dans une autre région, ils peuvent avoir l'assurance qu'ils auront toujours leur place à Ilakaka, ce qui n'est pas toujours le cas dans leur région d'origine. C'est ainsi qu'une bonne partie de mineurs d'Ilakaka ayant tenté l'aventure des rubis d'Andilamena est revenue, cela vaut également pour toutes les ruées moins importantes64 ayant eu lieu après 1998.

62 L'orpaillage est le plus souvent pratiqué par les communautés locales pendant les périodes ou le calendrier agricole laisse du temps aux agriculteurs de chercher un revenu complémentaire. Il s'agit assez rarement de travail à temps plein. A Madagascar, l'orpaillage ne ne soulève pas les mêmes espérances (il est impossible d'espérer gagner 50 000 US$ en une journée alors qu'avec les saphirs cela est rare mais possible) et ne provoque donc pas de phénomènes de ruées comparables.

63 Lire Sylvain ALLEMAND, 2004.

64 Lors de la ruée vers les rubis de Ranotsara en 2006, le phénomène fut particulièrement frappant.

Carte n°19 : Carte des principales migrations inter-régionales liées à l'exploitation de pierres précieuses à Madagascar (Rémy CANAVESIO, 2010).

III. Un phénomène d'envergure régionale en cours de stabilisation

1. Les mineurs à la conquête de l'Ibara occidental

La région des fronts pionniers d’Ilakaka n’a pas été le théâtre d’une unique ruée commencée en octobre 1998, son histoire récente s’est écrite au gré d’une multitude de phénomènes migratoires rapides et de durées plus ou moins brèves, concomitantes avec la découverte de nouveaux gisements de pierres précieuses. Dans les premières semaines, le flux des migrants s’est en effet concentré sur le village de mineurs d’Ambarazy (photos n°23 et 24) dans lequel se mêlaient les activités d’extraction et de commerce des gemmes. A Ambrazy, le flot incessant de migrants fit rapidement augmenter la population jusqu’à plusieurs milliers d’individus, rendant le travail des mineurs dangereux ou impossible, dans des conditions de sécurité de plus en plus précaires (une trop importante densité de mineurs augmente le risque d’accidents et les fortes sommes d’argent circulant entre les acheteurs provoqua une explosion de la criminalité).

Les nouveaux venus ne trouvant pas leur place sur les carrières proches d’Ambarazy se mirent rapidement à la recherche de nouveaux filons. En explorant les extrémités de ce dernier, au niveau des carrières d’Andranomena et de Antapia (Carte n° 21), les mineurs ont rapidement compris que toute la vallée d’Ilakaka était potentiellement porteuse de saphir. Ils ne tardèrent pas à découvrir de nouveaux lieux d’exploitation en amont de la rivière (de part et d’autres de la RN7), mais également très loin en aval, jusqu’à Sakalama. Chaque nouvelle découverte éloignée de plus de 3 ou 4 kilomètres d’un village de mineur s’accompagne de la construction d’un nouveau campement. En quelques mois, toute la vallée d’Ilakaka se couvre de carrières et de villages « champignons » plus ou moins éphémères (Chapitre VI).

Au cours de l’année 1999 le phénomène prend une dimension régionale avec la découverte de nouveaux gisements le long de tous les cours d’eau compris entre Ilakaka et Sakaraha. Les berges des rivières Malio, Benahy, Fiherenana et Taheza65 sont à leur tour prises d’assaut par les mineurs. Les nouvelles découvertes se poursuivent à un rythme encore soutenu en 2000, déplaçant progressivement le centre de gravité de la production vers l’Ouest (carte n°20). Plusieurs dizaines de village se construisent ainsi ex-nihilo.

65 La rivière Taheza abrite probablement les plus importants gisements de la région. C’est d’ailleurs le long de ce cours d’eau que l’on retrouve les plus gros villages de mineurs (Analalava, Ambalvy…)

Photo n° 23 : Le village d’Ambarazy, point de départ d’une ruée exceptionnelle (Photo datant probablement de l’année 2000, auteur inconnu). On peut voir la rivière Ilakaka, matérialisée par la forêt, la carrière (couleur orange) partiellement recouverte d’habitations et, dans le haut du village, le comptoir où les étrangers venaient acheter les pierres.

Photo n° 24 : Habitat sommaire, typique des débuts de ruées dans les régions minières. (Ambarazy, année 2000, auteur inconnu). Les maisons sont réalisées à l’aide de sacs plastiques (gony) et de la végétation locale (feuilles de palmiers, graminées).