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Introduction du chapitre III

B. Un acteur mondial à la production mal connue

En dépit d'une exploitation qui est presque toujours le fait de paysans qui s’improvisent mineurs, (ce qui ne manque pas d’avoir des conséquences sur la sécurité et la productivité des exploitation), l'ensemble de ces découvertes contribua à hisser Madagascar au rang de premier producteur mondial pour le saphir (Graphique n°10).

On ne dispose néanmoins d'aucun chiffre précis permettant d'évaluer cette production (en valeur) avec certitude. Ce manque d'information a d'ailleurs été relevé à plusieurs reprises dans le cadre des projets souhaitant réformer la filière (Chapitre IX). A ce sujet, l'équipe d'experts mandatée par le projet BAMEX242 relevait au sujet de Madagascar :

« ...elle [l'équipe d'experts] a demandé des statistiques détaillées sur les exportations de pierres précieuses, mais elles semblent ne plus être tenues à jour en détail. » (USAID, 2005, p. 4).

L'ampleur du décalage entre les chiffres officiels et la réalité estimée est sidérant si l'on en juge par les statistiques dont on dispose :

« Madagascar produced an estimated 50% of the world's sapphire output; the country also

produced emerald and ruby. In 2002, the value of precious stones produce in Madagascar was $7.63 million compared with $5.94 millions in 2001 and $2.61 millions in 1998». (YAGER, Thomas

R., 2003 p. 2).

242 Le projet BAMEX (Business and Market Expension) a été financé par l'USAID (Unites States Agency for Intennational Development).

Graphique n° 10 : Évolution des exportations officielles243 de pierres précieuses de Madagascar entre 1997 et 2007 (réalisé à partir des donnes fournies par le Ministère de l'Energie et des Mines).

En s'en tenant à ces statistiques on pourrait penser que la valeur des saphirs bruts produits au niveau mondial en 2002 était inférieure à 15 millions US$. Elle est pourtant très probablement comprise entre 150 et 250 millions US$. Ces données officielles libellées en valeur sont d'aucune

243 Si ce graphique met bien en évidence le rôle joué par les régions d'Andilamena et d'Ilakaka dans les exportations malgaches de pierres précieuses, il laisse malgré tout de nombreuses zones d'ombres que les chiffres que le Ministère de l'Energie et des Mines à bien voulu communiquer ne permettent pas d'éclairer. Les exportations libellées en kilogrammes et non en valeur ne disent rien de l'économie générée par ces exportations. Le « pic » de l'année 2002 est aussi très étonnant du fait de la crise politique que traversa le pays et qui se solda par une fermeture presque totale du pays pendant plusieurs mois. On peut également s'étonner de ne pas voir les exportations de rubis baisser après 2002 alors que l'exploitation des gisements d'Andilamena a rapidement été délaissée. On peut enfin s'étonner de voir les exportations de saphir redescendre dés 2005 à un niveau proche de celui qu'il avait atteint avant l'exploitation d'Ilakaka (autour de 4T/an).

utilité pour juger de ce commerce à Madagascar. C'est pour cette raison qu'on leur a préféré celles qui font référence à la « quantité », au « poids » (graphique n°10). En fin de compte, l'ensemble des pierres précieuses malgache représentent probablement un chiffre d'affaire annuel de 15O à 200 millions U$ depuis une dizaine d'année (valeur du « brut », localement). Avec les pierres semi-précieuses, l'ensemble du marché des gemmes brutes pourrait approcher les 300 millions US$.

3. Professionnalisation des trafics et mise à l’écart du « clan RATSIRAKA »

Les immenses découvertes des années 1990 vont provoquer de profonds changements dans la sphère des acteurs. Dans ce domaine, une fois encore, l'extraction et le commerce des émeraudes se distinguera notoirement avec le maintien indiscutable du monopole exercé par la famille de Jeannot ANDRIANJAFY sur la filière. Au plus haut niveau de l'État, l’attitude des dirigeants kleptocrates va être d’emblée amenée à changer étant donnée la dimension prise par les ruées. Rapidement, il apparaît impossible de maîtriser les productions en les mettant hors de portée des milieux extérieurs. Il n’est pas possible de maintenir « hors du monde » des régions parfois immenses, même en s’appuyant sur le soutien de l’armée244. Toujours soucieux de tirer un profit maximal de cette ressource, le « clan » RATSIRAKA va alors réorienter sa politique de prédation vers le « racket » de plus en plus systématique des collecteurs de pierres, plutôt que de prendre part lui-même à la vente des gemmes. Les volumes de pierres deviennent d’ailleurs si importants qu’il serait impossible d’en tirer le meilleur parti sans s’appuyer sur des réseaux d’envergure mondiale. Les petits collecteurs qui s’étaient maintenus pendant les années 1980245, en achetant leur légalité auprès du Président sont également dépassés par l’explosion des productions. Aussi, de telles découvertes ne pouvaient avoir lieu sans que tous les micro-mondes des pierres précieuses de la planète ne soient informés. Presque instantanément, les régions productrices de Madagascar voient converger des acheteurs du monde entier, mais rapidement, ce sont les spécialistes des corindons qui s’imposent. Ils sont pour la plupart sri lankais ou thaïlandais et, au prix d’une « participation » que l’on peut imaginer copieuse, ils s’installent durablement à Madagascar. Leur maîtrise des réseaux de commercialisation des gemmes et leur expérience des corindons en fait rapidement des partenaires indiscutables. Même en 2002, lorsque Marc RAVALOMANANA réussira à prendre la place de Didier RATSIRAKA après une longue période de troubles politiques246, cette participation des Thaïlandais et des Sri Lankais au commerce des pierres ne sera pas remise en cause. De

244 De part son appartenance à la marine et à ses nombreux contacts, Didier RATSIRAKA a longtemps pu compter sur le soutien de l’armée.

nombreux collecteurs de moindre envergure qui avaient soutenu le Président sortant, paieront en revanche au prix fort leur implication dans la sphère politique247 (Chapitre VIII).

Photo n°20 : L’acheteur Suisse « Werner SPALTENSTEIN » en 2000 au comptoir d'Ambarazy dans la région d'Ilakaka (Auteur inconnu). Il fera partie des grands perdants de l’accession à la présidence de Marc RAVALOMANANA en 2002. C’est en raison de son soutien présumé à Didier RATSIRAKA lors de la campagne électorale qu'il sera dés lors écarté du commerce des gemmes malgaches.

En une dizaine d’années, les découvertes majeures réalisées en de nombreux points de l’île et la fin de la Présidence de Didier RATSIRAKA en 2002 ont participé à renouveler presque intégralement le milieu des pierres précieuses à Madagascar. L’ère de l’exploitation à grande échelle de ces ressources est désormais arrivée. Le système d’acteurs et la matrice politique dans laquelle

246 Après le résultat contesté du premier tour des présidentielles en décembre 2001, le pays plonge dans une grave crise politique de plusieurs mois qui coupe le pays en deux. L’aéroport international de Tananarive est fermé et l’économie du pays se relèvera difficilement dans les années qui suivent.

247 La « carrière » de Mr Werner SPALTENSTEIN qui était un acheteur de premier plan dans la région d’Ilakaka jusqu’en 2001 a été stoppée brutalement par l’arrivée de Marc RAVALOMANANA au pouvoir.

elle s’insère sont en revanche fort éloignés des conceptions d’Alfred LACROIX pour qui l’exploitation des ressources minières de Madagascar devait se réaliser de manière efficace et formelle, afin qu’elle profite à la colonie et à la France.

Dans ce contexte très mouvementé, la recherche scientifique va faire un retour remarqué après quasiment trois décennies exemptes de publications majeures. Dés la fin des années 1990, les recherches menées par le minéralogiste Federico PEZZOTTA248 (1999, 2001, 2005) sur les pegmatites du centre et du Sud de Madagascar dressent un portrait précis et très richement documenté de la minéralogie de Madagascar. Dans le domaine de la gemmologie, l'identification et la traçabilité des gemmes malgaches bénéficient des récentes et prometteuses avancées réalisées notamment par Gaston GIULIANI (2007, 2008). A partir des années 2000, les travaux financés par la Coopération Française (projet PRISSM249), l'USAID et la Banque Mondiale (PGRM) contribuent à créer une base documentaire diversifiée (mais parfois de qualité discutable250) sur l'activité minière de Madagascar. Ces organismes poussent également à un niveau jusque là inégalé la cartographie des richesses minérales de la « Grande Ile » (notamment de la part du projet financé par la Banque Mondiale), mais les résultats demeurent malheureusement inaccessibles (Chapitre IX).

4. La pauvreté, clef du développement...de l'exploitation des pierres précieuses en Afrique On vient de le voir, les découvertes réalisées ces 15 dernières années à Madagascar sont le résultat de la conjugaison de plusieurs facteurs, tant politiques et économiques que sociologiques ou culturels. En effet, si les malgaches avaient eu la même attirance pour les gemmes que les habitants du Sud-Est asiatique par exemple, leur attention se serait certainement portée de manière bien plus précoce vers les découvertes qui remontent parfois à plusieurs siècles. Il aura donc fallu attendre que l’avidité pour les gemmes du « clan RATSIRAKA » fasse des émules parmi une population paysanne poussée dans la misère, pour que cette ressource devienne l’objet de convoitise, et par la même, pour que commence son exploitation à grande échelle.

Les politiques menées depuis l'indépendance et la paupérisation qu'elles ont provoqué ont donc été déterminantes dans l'émergence de Madagascar parmi les géants mondiaux de la production de pierres précieuses. En accentuant la misère elles ont développé un intérêt

248 En décembre 1998, Federico PEZZOTTA deviendra conservateur au Museo Civico di Storia Naturale de Milan. 249 Projet de Renforcement Institutionnel du Secteur Minier Malgache.

250 Plusieurs rapports produits à l'initiative du PGRM et de l'USAID contiennent des affirmations que le travail de terrain contredit (exemple de la carte de localisation des villes minières dans la région d'Ilakaka (USAID, 2005)).

culturellement très faible pour ces ressources. Cela s'est traduit par la mise en place de systèmes de production dont la viabilité économique est presque systématiquement251 liée au très faible niveau d'exigence matérielle que les mineurs sont près à supporter pour s'extraire de la misère et poursuivre un rêve d'enrichissement rapide (Partie II). A l'instar des autres pays d'Afrique de l'Est (Tanzanie, Zambie252) devenus très tardivement des acteurs de premiers rôle dans ce domaine, les pierres précieuses de Madagascar n'aurait probablement jamais été exploitées avec une telle intensité si les hommes politiques qui se sont succédé à la tête de ces États avaient mené des politiques efficaces de réduction de la pauvreté.