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La première partie de ce travail a présenté le contexte général dans lequel s'inscrit le développement de nouvelles régions productrices de gemmes. Ce travail a dégagé les grands contours de la géographie mondiale des pierres précieuses en montrant la diversité des réseaux qui y sont associés, mais également les différents territoires que ceux-ci dessinent à l’échelle mondiale. Les trois premiers chapitres ce cette thèse ont également permis de comprendre les spécificités des filières. Les réseaux asiatiques qui contrôlent le commerce des pierres précieuses sont bien structurés et sont ancrés dans des matrices socio-spatiales séculaires. Les nouvelles régions de production d'Afrique de l'Est doivent composer avec elles pour tenter de créer un développement soutenu et diversifié. Cet environnement peu favorable – produit d'évolutions millénaires – constitue un véritable challenge pour les nouvelles régions de production qui souhaitent construire un développement socio-économique durable sur la base de l'exploitation de ces ressources. Ce défi se révèle d'autant plus difficile à relever que ces régions ne disposent d'aucun capital historique et culturel sur lequel s'appuyer pour développer des filières autonomes d'exportation. Enfin, nous avons vu que l'appétence immémoriale du marché pour les joyaux issus des « territoires historiques » les plus prestigieux, constituait un obstacle majeur qui rend complexe la rentabilisation des ressources des nouveaux pays producteurs.

Dans la seconde partie, mon propos s'articulera autour des impacts régionaux de l'exploitation artisanale des pierres précieuses dans les nouvelles régions de production. On analysera les atouts et les contraintes de ces nouveaux espaces dédiés à l'extraction des gemmes, afin d'évaluer leur capacité à profiter de l'exploitation de ces ressources pour mener un développement régional durable. En s’appuyant sur le cas de Madagascar, nouveau leader mondial de la production de gemmes, et en ciblant ce travail sur la région d'Ilakaka, je vais montrer comment le développement de la mine artisanale transforme spontanément les nouveaux espaces d'extraction des pierres précieuses identifiés précédemment. Dans quelle mesure ces activités ont-elles contribué au développement de la région d'Ilakaka ? Les dynamiques spontanées, impulsées par le développement de la mine artisanale et informelle, posent de nombreuses questions. Par souci de clarté nous concentrerons notre réflexion sur une partie d’entre elles, laissant à d’autres études le soin d’apporter des éclairages sur les problématiques laissées en jachère. Mon choix s'est naturellement porté sur les points incontournables permettant de définir un « territoire des pierres précieuses » solide et « rayonnant1 ». Nous analyserons successivement : l'importance spatiale, démographique et temporelle de l'activité minière ; le poids économique de ces activités et ses conséquences sur le système de production régional ; la répartition socio-spatiale des bénéfices engendrés par ces activités ; enfin, les répercussions de ces bouleversements en terme de gouvernance régionale et leurs incidences à long terme sur le développement local.

La région d'Ilakaka a connu un peuplement tardif et, à la veille de la ruée d'octobre 1998, la densité de population était encore très faible (cartes n° 14 et 21). Le quatrième chapitre a donc pour objectif de mettre en évidence la rupture majeure que constitue l'explosion de la mine artisanale dans la dynamique de peuplement de l'Ibara2

occidental. En effet, les proportions démographiques et spatiales prises par le phénomène sont véritablement historiques. Elles singularisent nettement Ilakaka des autres régions minières du pays. A Madagascar comme dans les autres nouveaux pays producteurs d'Afrique de l'Est, chaque nouvelle découverte s’accompagne de mouvements migratoires incontrôlés, plus ou moins brefs et importants généralement regroupés sous le terme de « ruée » ou de « rush » (en anglais). Les caractéristiques de ces ruées (durée,

1 Le « rayonnement » de ces territoires peut être considéré comme leur capacité à agir sur le marché mondial (réseaux de commercialisation et choix des consommateurs).

2 Région du centre Sud de Madagascar où l'ethnie Bara est majoritaire (carte n°13).

ampleur…) ne sont pas toujours faciles à anticiper. L'analyse de celle qui a affecté les « fronts pionniers » d'Ilakaka devrait permettre de mieux comprendre le phénomène. Cela donnera également la mesure de l'enjeu humain que représente le développement à long terme de cette région minière. Par ailleurs, contrairement à ce qui est le plus souvent observé dans ce type de situation, la région d'Ilakaka voit l'activité se prolonger dans le temps long, impactant durablement l'organisation spatiale au niveau régional. Je montrerai alors comment la ruée initiale se transforme peu à peu en mouvement de peuplement profond et durable, caractéristique des territoires des pierres précieuses historiques présentés précédemment.

A l'instar de ce qui se produit dans toutes les régions brutalement investies par la mine artisanale, la ruée de grande ampleur vers les fronts pionniers d'Ilakaka s’accompagne d’une recomposition du système de production local. Le bouleversement de celui-ci sera le thème central du cinquième chapitre. Comment le système agropastoral traditionnel a-t-il réagi ? L'exploitation minière artisanale et informelle parvient-elle a recréer un nouveau système de production efficace ? Bien que totalement anarchique en apparence, ce mode d'extraction se structure en réalité autour de règlementations tacites donnant aux mineurs les plus pauvres la possibilité de tenter leur chance. La mine artisanale apparaîtra comme indissociable du nouveau système de production régional développé autour de l'extraction des gisements alluvionnaires de gemmes. L'épuisement progressif du gisement semble néanmoins annoncer une évolution dans les techniques mises en œuvre pour accéder au minerais. Cela représente-t-il une menace pour le développement régional ? Ce chapitre montrera l'ampleur du défi technique que les mineurs devront relever dans les années à venir pour maintenir une production de gemme élevée capable d'assurer des bases solides à l'économie régionale.

Dans le sixième chapitre, je dresserai le portrait d'un modèle de développement particulièrement inégalitaire dans lequel se dessine tout un écheveau de relations de dominances, entre les individus d'une part, mais aussi entre les centres de peuplement modifiés ou créés par l'économie minière d'autre part. Le travail de cartographie réalisé sur le terrain permettra de créer une nouvelle hiérarchie entre les centres de peuplement de l'Ibara occidental. L'objectif sera donc de faire apparaître l'existence d'espaces plus ou moins privilégiés dont le sort se trouve dicté par les fonctions qu'ils abritent au sein d'un territoire animé de mobilités exceptionnellement développées pour Madagascar. Par la même

occasion, cela mettra en valeur la nature profondément inégalitaire du « modèle » de développement généré par l'extraction artisanale et informelle des gemmes. Ce système socio-spatial est à l'origine d'une « précarisation » extrême de la majeure partie de la population. On se demandera si cet ensemble d'inégalités ne constitue pas une menace importante pour le maintien à long terme de l'activité minière.

Enfin, dans le septième chapitre, je développerai la question de la gouvernance locale en insistant sur le défi qu'imposent les migrants (malgaches ou étrangers) aux relations de pouvoir préexistantes. Les populations locales sont contraintes de composer avec des migrants d’ethnies souvent différentes, qui poursuivent rarement des objectifs similaires. Cette réflexion sur la gouvernance a pour objectif principal de « tester » la capacité du système d'acteur régional à soutenir le développement à long terme de la région d'Ilakaka en trouvant des solutions pour répondre aux enjeux et aux contraintes régionales. En d'autres termes, on verra si cette gouvernance encadre les dynamiques de développement spontanées et informelles pour favoriser l'émergence d'un modèle socio-économique régional à la fois harmonieux et durable. Le rôle que joue l'État dans ce système sera interrogé avec une attention particulière. Comment la région d’Ilakaka peut-elle espérer prolonger son développement économique dans la durée et quel serait le rôle de l'État dans cette dynamique ? Ces interrogations auxquelles je tenterai d'apporter des réponses, seront au cœur des réflexions de ce septième chapitre. Elles devraient d'une part permettre d'évaluer la capacité des fronts pionniers d'Ilakaka à se hisser au niveau des grands territoires historiques des pierres précieuses. Elles esquisseront d'autre part les contours d'un avenir régional aussi prometteur qu'inquiétant.

Le tour d'horizon des facteurs capables d'avoir une influence majeure sur le développement régional sera donc aussi large que possible. Dans cette optique, j'ai en revanche décidé d'écarter de ma réflexion la dimension identitaire de l'appartenance à un territoire des pierres précieuses. Ce choix s'explique par le décalage des temporalités entre les dynamiques contemporaines du peuplement régional et les processus de construction identitaire. En effet, apporter des réponses à cette problématique me semblait un peu prématuré. Ce type d'étude mériterait en revanche une analyse approfondie ultérieure si les conséquences territoriales de l'extraction des gemmes dans la région d'Ilakaka venaient à se poursuivre dans les décennies à venir.