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Introduction du chapitre II

D. L'émergence de l'Afrique orientale

Au cours des trois dernières décennies, l'Afrique de l'Est à été le théâtre d'une multitude de ruées vers les gemmes (cf. l'exemple de Madagascar, Chapitre III). Si le continent africain est connu depuis longtemps pour ses gisements de diamants, la fin du XXème siècle marqua le début de l'exploitation à grande échelle des pierres précieuses, mais également d'une multitude de pierres semi-précieuses, parfois inconnues jusqu'alors (cas de la tanzanite par exemple). Peu après la découverte de la tanzanite à Merelani (50km d'Arusha en Tanzanie) et de la tsavorite dans la région de Tsavo (Kenya) en 1967, ce fut au tour de la Zambie, dés la fin des années 1970 de s'imposer parmi les grands pas producteurs d'émeraudes :

« During the past two decades, Zambia has become a world-class emerald-producing

country. The entire Zambian emerald output, amounting to about 15% of the world market, comes from the Kabufu Area. » (ZACHARIAS, et al., 2005, p. 137).

La Zambie se hisserait ainsi au deuxième rang mondial de la production d'émeraudes (en valeur) avec pas moins de 20 millions de dollars annuels pour les seules exportations officielles130 (ZWAAN, et al., 2005). Plus récemment encore (carte n° 7), l'Afrique de l'Est131 révéla son potentiel en matières de saphirs et de rubis (CANAVESIO, 2006). En moins d'une décennie les découvertes réalisées dans le Sud de la Tanzanie (Songea (1992) et Tunduru (1994)) et à Madagascar (surtout Ilakaka en 1998) bouleversèrent radicalement la géographie mondiale des productions.

Souvent l'exploitation y est éphémère, mais certaines régions voient peu à peu leur système économique se structurer autour des activités liées aux gemmes lorsque celles-ci s'inscrivent dans la durée. Au Nord de la Tanzanie, la région d'Arusha est désormais fortement marquée par l'économie des gemmes (tanzanite, corindons, tsavorite, chrysobéryls...). Au sud du pays c'est l'économie du saphir qui s'incruste peu à peu dans les territoires132 alors que certaines localités productrices d'émeraudes au Zimbabwe et en Zambie (MUSUKU, 1982) voient également leur système socio-spatial s'organiser durablement autour de l'économie des pierres précieuses. A l'image

130 Au début des années 1980, une bonne part de la production d'émeraude zambienne quittait illégalement le pays par la voix de trafics informels à destination de l'Afrique de l'Ouest (MUSUKU, T., 1982). Je suis dans l'incapacité d'affirmer que ces trafics ont encore lieu à l'heure actuelle. En 1998, la majorité de la production sortait illégalement du pays, essentiellement à destination de l'Inde, alors qu'une partie était envoyée vers les tailleries israéliennes (meilleur qualité) (WELDON, R, 1998)

131 Les toutes dernières découvertes laissent entrevoir un gros potentiel au kenya et au Mozambique.

132 L'activité perdure depuis le début de la mise en exploitation, mais avec une grande irrégularité. Les découvertes malgaches (surtout Ilakaka en 1998), ont très fortement réduit l'activité dans les régions de Songea et Tunduru (www.fieldgemmology.com). A l'inverse, les crises malgaches (crise politique de 2002, blocage des exportation de brut en 2008) provoquent systématiquement un regain d'intérêt pour les pierres tanzaniennes, et donc une reprise de l'activité (entretiens avec les collecteurs Sri-Lankais et Thaïlandais en juillet 2008 à Ilakaka).

Carte n° 7 : Les grandes régions d'extraction de gemmes en Afrique orientale (Rémy CANAVESIO, 2010).

du Kenya dont la production reste pour l'instant marginale, tous les pays de la « ceinture du Mozambique » sont concernés à des degrés divers :

« ...several corrundum deposits are known in Kenya (…) all over the country which, due to its location along the Mozambique belt, present some very high potential for future major gemstone discoveries. » (Vincent PARDIEU, Jean-Baptiste SENOBLE. Source: www.fieldgemology.org)

A l'heure actuelle, cela n'a pas encore débouché sur la formation de territoires des pierres précieuses tels que j'ai pu les définir précédemment. Le déficit de reconnaissance à l'international auprès du grand public mais également la très large incapacité à maîtriser la filière en aval de l'extraction en sont les causes principales. Jusqu'à présent les tentatives réalisées localement pour développer une industrie de transformation des gemmes (WELDON, 1998) obtiennent des résultats plutôt décevants (constatations réalisées à Madagascar). Pourtant, localement, les conséquences de ces activités sont parfois tout à fait considérables (Partie II). Plusieurs dizaines de milliers de personnes vivent parfois directement de l'activité d'extraction à l'échelle régionale (région d'Ilakaka à Madagascar par exemple) et à l'échelle de l'Afrique orientale, on peut évaluer à un million le nombre de personnes qui en dépendent133 (hors diamant). Les répercussions en termes économiques sociaux et politiques sont donc tout à fait remarquables même si auprès des consommateurs, cette réalité reste largement dans l'ombre des territoires plus anciens et plus prestigieux. Les dynamiques à l'œuvre dans ces territoires des pierres précieuses en émergence seront traitées en deuxième partie et constituent un axe majeur de ce travail.

II. Les filières

Les régions d'extraction des pierres précieuses dans lesquelles l'activité se prolonge sur des décennies ou des siècles offrent les conditions idéales pour qu'émergent localement les acteurs capables d'intervenir à l'échelon international sur l'ensemble de la filière. C'est de cette manière que Sri-lankais et Thaïlandais ont bâti un système de commercialisation des saphirs et des rubis au sein duquel ils occupent une position incontournable (carte n° 9). Ce système basé sur la collecte des gemmes à l'échelle planétaire est en partie comparable à celui mis en place par la De Beers au

133 Dans la seule région d'Ilakaka à Madagascar, 100 000 à 150 000 personne vivent de l'exploitation des gemmes (observation personnelles de terrain). A l'échelle du pays, le chiffre de 300 000 personnes semble réaliste. Des chiffres comparables sont envisageables en Tanzanie.

niveau du diamant dès le début du XXème siècle. Il se matérialise par le même souci de contrôle des productions et provoque – dans une certaine mesure – des conséquences assez comparables134 sur les pays producteurs (partie III).

1. Similitudes et différences avec le « pipeline diamantaire »