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Faut-il pour autant conclure qu’il y aurait une«échelle des sujets adéquats»à l’intervention ? En effet, il semble aisé de glisser de l’idée que chacun peut (ou doit) intervenir en fonction de son pouvoir, à l’idée que celui qui a le plus de pouvoir est le sujet prioritaire de l’intervention. Ainsi, était-ce en premier lieu au peuple allemand, désarmé, démuni, terrifié de se dresser devant le régime hitlérien? N’était-ce pas d’abord à toutes les puissances qui avaient le pouvoir diplomatique de faire pression sur l’Allemagne et la force militaire nécessaire pour faire cesser le martyr juif? Un peuple, a fortiori subissant lui-même la domination tyrannique, n’est sûrement pas le mieux placé pour faire tomber le régime qui l’oppresse. Si l’on admet qu’on est tenu d’intervenir en fonction de son pouvoir, alors les acteurs les plus puissants devraient être les premiers auxquels s’adresse cette injonction. Par conséquent, ils devraient être les premiers à être mis en cause si l’on accepte qu’il y ait responsabilité pour non-intervention. Faut-il alors conclure que, si injonction à intervenir il y a, elle s’adressait de manière proportionnelle aux États les plus forts sur la scène mondiale, soit, si l’on se réfère à la classification des puissances mondiales de 1938, date à laquelle ont commencé les déportations à l’intérieur de l’Allemagne: d’abord les Etats-Unis, puis l’Angleterre, ensuite l’URSS… Le devoir d’intervention serait alors, suivant cette optique, directement proportionnel àla puissance militaire et diplomatique d’un État, les plus puissants étant les premiers – mais pas les seuls – à être censés intervenir.

étaient les nations victorieuses de 1918, avaient une responsabilité. Ce sont elles qui avaient «la force d’intervenir pour empêcher un événement annonciateur de conséquences funestes»3

. Parmi tous les États en mesure de se dresser devant le régime hitlérien, la France, l’Angleterre et les États-Unis étaient donc les premières desquelles on pouvait attendre une intervention. Un argument similaire est soutenu par Kok-Chor Tan, dans son article, «The

Duty to protect»4

: si l’on fonde un devoir général d’intervention (ce qu’il fait), alors ce devoir s’adresse en priorité aux États liés à ceux qui ont besoin d’assistance par différents liens: culturels, historiques, mais aussi devoir des anciennes puissances coloniales envers leurs anciennes colonies (devoir fondé sur un devoir de réparation)… Ce n’est pas le lien qui crée l’obligation pour Tan, mais si obligation il y a, on en identifie le sujet le plus adéquat d’après l’examen des liens qui unissent les États ou encore, comme Jaspers, en évaluant les forces des agents susceptibles d’intervenir (forces militaires, avantage géographique…).

Pouvons-nous admettre cette idée d’une priorité des sujets d’interventions? Cette position nous semble problématique : si l’on parvient à fonder un devoir de principe d’intervention, alors, en tant que devoir, il s’adresse ou ne s’adresse pas à des catégories d’acteurs générales, indépendamment de leur culture, de leur histoire, bref de tout ce qui constitue leurs particularités propres. Un tel devoir s’adresse à nous ou ne s’adresse pas à nous de manière formelle, mais l’idée qu’un devoir puisse s’adresser à nous par ordre de priorité introduit un aspect «comparatif» qui fait entièrement dépendre l’attribution des devoirs du contingent et contredit la notion même de devoir. Il semble en effet curieux de dire qu’on a un devoir qui formellement passe avant ou après celui d’un homologue… Par contre, ce qui peut effectivement varier est le mode de mise en œuvre de ce devoir. Chaque entité devant intervenir peut par contre intervenir de la manière qui lui correspond le mieux. C’est le moyen de l’intervention et non l’ordre d’intervention qui sera bien proportionnel aux pouvoirs de chacun. Ainsi, tous les sujets possibles de ce devoir y seront soumis de la même manière, mais les différences de situations font que le devoir d’intervention de l’un passera par un appel au calme, celui de l’autre par un blocus économique, celui d’un troisième par une intervention armée. Ne seront alors exclus de l’exigence d’intervention que ceux dont la force

3

JASPERS, K., La culpabilité allemande, (trad. de l’allemand par J. Hersch), Paris, Éditions de Minuit, 1990

(1948), p.98

4

TA N, K-C., «The Duty to Protect», in. Humanitarian Intervention, (T.NA R D I N & M.WILLIAMS), NomosXLVII, New-York, New-York University Press, 2006, p.84-116

était si inférieure à celle du criminel, que l’intervention aurait entraîné pour eux, selon toute vraisemblance, une prise de risque trop importante pour qu’on puisse l’exiger.

Nous avons commencé à circonscrire les sujets possibles de la responsabilité pour non- intervention, il nous faut maintenant tester la réalité de cette responsabilité, en fondant l’exigence d’intervention qui est son corollaire.

II - Pouvons-nous fonder un devoir d’intervention ?

On l’a esquissé, d’un point de vue juridique, il y a à la fois l’obligation de respecter la souveraineté des États et à la fois celle de faire respecter le droit international humanitaire aux États parties aux traités. D’un point de vue moral, on peut également considérer des arguments en faveur du devoir d’intervention et d’autres en faveur du devoir de non- intervention. Globalement, les arguments en faveur de l’intervention sont des arguments humanitaires: il s’agit de se porter au secours d’individus opprimés en leurs propres frontières; les arguments en faveur de la non-intervention, outre les arguments pacifistes et ceux refusant la légitime défense pour autrui, se fondent sur la nécessité de respecter la souveraineté des États, respect qui se trouve garant de l’égalité formelle des États et par là de leur indépendance. Toute ingérence, soit toute intervention dans les affaires internes d’un autre État, contredit ce principe et menace l’équilibre structurel mondial. Par conséquent, la question de l’intervention dans les affaires d’un État pour des raisons humanitaires, génère des tensions. Nous allons maintenant examiner différentes tentatives de résolution de cette tension en examinant les arguments d’un auteur qui refuse le devoir d’intervention: Kant, puis les arguments de plusieurs auteurs qui fondent un devoir d’intervention, et ce, de diverses manières et avec plus ou moins de force.

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