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2 La distinction entre tuer et laisser mourir n’est pas intrinsèquement pertinente: James Rachels

Si James Rachels considère l’argumentation de Richard L. Trammel comme la meilleure à l’appui de cette position, il considère quant à lui que, contrairement à ce qu’on avance généralement, laisser mourir est aussi grave que tuer; et que par conséquent, il existe un devoir de ne pas laisser mourir tout aussi contraignant que le devoir de ne pas tuer. Rachels reconnaît que ceci est contraire à l’intuition commune, mais il remarque également que notre intuition commune pourrait fort bien ne pas être fiable. De là, il va s’attacher à montrer qu’effectivement nos intuitions concernant la distinction entre tuer et laisser mourir ne sont pas justifiées.

Le premier point de Rachels consiste à démontrer que le fait de laisser mourir est beaucoup plus grave que ce que l’on estime généralement. Pour le soutenir, il s’appuie sur l’exemple d’un enfant que nous laisserions mourir de faim dans notre salon, sans lui porter la moindre assistance. Or, remarque-t-il, c’est exactement ce que nous faisons avec des millions d’enfants dénutris que nous laissons mourir ailleurs sur la planète. Nous pourrions facilement en sauver plusieurs, et nous ne le faisons pas. L’intuition qui nous fait spontanément dire que la première situation est monstrueuse alors que la seconde ne l’est pas autant tient au fait que le premier enfant est proche de nous alors que les autres sont plus éloignés. Or, Rachels remarque que si la distance géographique a peut-être une influence psychologique sur la manière dont nous percevons ces deux cas, elle ne peut pour autant être admise comme facteur moralement pertinent6

. De la même manière, Rachels abat tous les arguments de type

6 D’autres auteurs reprenant le même exemple avancent d’autres éléments pour distinguer les deux cas: il y a un

enfant dans mon salon, alors qu’il y a des millions d’enfants ailleurs. Notre capacité à aider dépend aussi de la manière dont nous considérons la source de besoin comme individu ou comme groupe. L’explication est-elle alors que nous avons tendance à nous porter plus spontanément vers les maux «rares»? Peter Singer remarque

quantitatifs voulant que nous soyons moins responsables parce que nous ne pouvons sauver tout le monde, que d’autres peuvent les sauver avec nous, que l’inertie des voisins «camoufle» et banalise la nôtre… Il soutient au contraire que tous ceux qui le peuvent ont bien un devoir de sauver ces enfants, autant qu’ils sont en mesure d’en sauver. Pour Rachels, tous les arguments habituellement avancés à l’appui de la distinction entre les deux situations peuvent bien avoir une incidence psychologique, mais échouent à justifier ce que nous dit la morale ordinaire: qu’il serait pire de laisser un enfant mourir dans son salon que de laisser mourir des millions d’autres enfants ailleurs. Par conséquent, il faut bien admettre que laisser mourir est bien plus grave que ce qu’on reconnaît généralement, que dans certains cas ce peut être aussi grave que de tuer. On ne peut donc admettre que tuer soit intrinsèquement et dans tous les cas un acte moralement pire que laisser mourir. Il faut donc remettre en cause, ici, la fiabilité de nos intuitions morales.

Le second point de Rachels est de dire que les raisons pour ou contre de laisser mourir quelqu’un sont les mêmes que les raisons pour ou contre de le tuer, dans les deux cas, la personne perd la vie. Par conséquent, on peut conclure par généralisation inductive que tuer et laisser mourir sont équivalents. Les objections, notamment celles voulant qu’il y ait une différence morale entre le fait de faire quelque chose et le fait de s’abstenir de faire, ne sont pas recevables pour Rachels. D’abord parce qu’en s’abstenant, on fait quand même quelque chose: quand on laisse mourir, on ne fait pas rien, justement: on laisse mourir. Ensuite, même à supposer que laisser mourir soit une «non-action», il faudrait encore prouver que la responsabilité ne s’applique pas aux «non-actions» pour en tirer une distinction morale. Ainsi, on peut admettre qu’il n’y a pas de réelle distinction morale entre tuer et laisser mourir.

Nous venons de voir deux argumentations opposées, il nous faut maintenant examiner si ces deux points de vue peuvent ou non nous permettre d’apporter un éclairage différent quant aux cas de non-intervention et aux situations de double effet.

II - Application de la distinction aux cas limites

Le premier éclairage que l’opposition entre «tuer» et «laisser mourir» pourrait nous apporter pour penser des cas de non-intervention pour crime de guerre et des situations de double effet serait de nous aider à proposer la meilleure description pour chacune des situations. Pour ce faire, nous pouvons par exemple nous tourner vers Bart Gruzalski7

, qui propose trois critères permettant de déterminer si nous sommes dans un cas où l’on tue ou dans un cas où l’on laisse mourir:

X laisse Y mourir si et seulement si: a) X a agit ou s’est abstenu d’agir b) Y meurt

c) De toutes les actions possibles que X pouvait se proposer, presque toutes seraient suivies de la mort de Y

Dit autrement, le comportement de X n’est pas directement relié à la mort de Y. L’ordre des choses indique des destins parallèles, Y marche vers sa mort sans que X ait provoqué d’aucune manière cet état de fait. Mais parmi les actions possibles dans la vie de X, il y a aussi celle de se sentir concerné par le destin de Y, il peut alors choisir d’intervenir. Donc, la mort de Y survient dans la majorité des actions de X, sauf quelques unes: celles où il intervient.

La description du cas où l’on tue est sensiblement différent: X tue Y si et seulement si:

a) X agit b) Y meurt

c) De toutes les actions possibles que X pouvait se proposer, relativement peu d’entre elles auraient entraîné la mort de Y

Ici, par contre, le comportement de X est directement lié à la mort de Y. Le cours normal de la vie n’aurait pas entraîné la mort de Y si X ne s’en était mêlé, et c’est pourquoi Bart Gruzalski pose que seules certaines actions de X auraient entraîné la mort de Y.

Ainsi, dans les deux cas, on a au départ un parallélisme des destins de X et de Y, dans le premier, le destin de Y est de mourir, sauf si X intervient, dans le second c’est l’inverse: le destin de Y est de vivre, sauf si X intervient.

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Dès lors, pouvons-nous transposer ces critères au cas des situations telles que la non-

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