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a Crimes de guerre commis par des soldatsincorporés : la responsabilité de l’armée mise en question

I. 1 L’apport des théories morales de la responsabilité collective pour penser des crimes commis en groupe

I.2. a Crimes de guerre commis par des soldatsincorporés : la responsabilité de l’armée mise en question

La perspective de la responsabilité collective nous autorise à interroger la responsabilité de l’armée dans la commission des crimes de guerre. Non seulement pour les crimes qui auraient été commis sur l’ordre d’un supérieur hiérarchique, mais également, et c’est un des apports de la perspective collectiviste, pour les crimes identifiés comme débordement propre à quelques soldats isolés. La perspective collectiviste nous offre donc un modèle de résolution de la tension introduite par le fait que le crime de guerre, tout en étant lié à la guerre, est également une fausse note de la poursuite des opérations.

Feinbergnous offre à ce titre un éclairage intéressant. En effet, le premier type de responsabilité collective qu’il dégage est celui de la responsabilité collective sans faute contributoire. L’exemple qu’il donnait était celui des producteurs de lait, responsables des vices de leurs produits, quand bien même aucune faute à l’origine de ce vice ne leur serait imputable. De la même façon, nous pouvons interroger une responsabilité de l’armée sans faute contributoire pour les exactions commises par certain de ses membres. Ceci se justifie par la structure organisationnelle de l’armée. De façon analogique à la situation des producteurs de lait, responsables de la qualité de leurs produits parce qu’ils ont le pouvoir et

le devoir de veiller à leur qualité, l’armée dans son ensemble, en tant qu’institution, a le pouvoir et le devoir de veiller à ce que ses recrues conservent un comportement acceptable. La structure de l’armée suppose un pouvoir d’encadrement fort qui permet, lorsqu’un crime est commis parmi les soldats, d’en demander raison en haut lieu. Il ne s’agit même pas d’identifier un manquement dans la chaîne de commandement tel que l’on pourrait dire que les gradés ont laissé un crime arriver. Avant même d’en arriver à ces considérations, on peut penser une responsabilité sans faute de l’armée basée sur le seul fait qu’elle utilise des hommes pour ses propres desseins et à ce titre doit garantir l’acceptabilité de leur comportement.

Cependant, un contre argument pourrait s’élever ici. En effet, il y a bien une différence entre garantir la qualité d’une brique de lait et garantir l’acceptabilité du comportement de personnes libres. Les individus sont toujours susceptibles, malgré tout le soin que l’on prend à les former et les encadrer, de commettre des crimes. Ce risque est encore accru, comme nous l’avons vu dans notre premier chapitre, lorsque le contexte général est moralement éprouvant et susceptible de pervertir les meilleures volontés. Dans un tel contexte, il peut paraître abusif de demander raison à l’armée pour l’émergence de crimes sur lesquels l’acteur direct n’a parfois lui-même pas totalement prise.

Mais justement, il ne s’agit pas pour nous de conclure de manière analogique que l’armée a une entière responsabilité sur les crimes commis, comme les producteurs de lait ont une entière responsabilité sur la qualité des produits vendus. Les soldats sont des êtres libres et à ce titre leur responsabilité doit être interrogée. La question qui se soulève ici est plutôt celle d’une responsabilité autre que celle des acteurs immédiats. Et à ce titre, la perspective de la responsabilité collective nous permet bien de mettre en avant une responsabilité de l’armée qui ne serait pas apparue avec autant de clarté si nous en étions restés à la seule description des actes individuels.

Mais comment, une fois admis ce point, considérer les responsabilités à l’intérieur de l’armée? Faut-il ne renvoyer qu’à la responsabilité morale de l’armée en tant qu’entité autonome ou bien sommes-nous autorisés à penser une responsabilité des membres – ou de certains membres - de l’armée?

tout le groupe pour avoir pris un certain risque, alors que seuls certains comportements aboutiront effectivement à un dommage. L’exemple donné ici par Feinberg était celui des personnes qui prennent le volant en ayant consommé de l’alcool: tous ont la même responsabilité morale, la chance de certains d’être arrivés sains et sauf ne pouvant être conçue comme un élément déresponsabilisant. Cet exemple prend un sens particulier dans les cas des crimes de guerre. Nous avons établi en première partie que le fait pour des dirigeants d’avoir déclaré la guerre justifiait de leur part une certaine responsabilité à l’égard des risques moraux qu’ils faisaient prendre à des soldats incorporés. Le plus grand risque étant pour ces soldats d’être pris dans un système tellement exigeant moralement qu’une modification de personnalité pouvait s’ensuivre. Ces soldats courraient alors le risque de se trouver dans la situation de commettre volontairement des actes qu’ils auraient eux-mêmes réprouvés et dont ils ne se seraient eux-mêmes pas crus capables quelques temps auparavant.

Pouvons-nous admettre, sur le même modèle, une responsabilité morale de tous les soldats pour les risques moraux qu’ils courent en participant à un conflit armé? Nous pourrions dire en effet que, même s’il est du devoir de chaque soldat de s’aguerrir contre les risques moraux que la promiscuité répétée avec des scènes traumatisantes lui fait prendre, le fait que la guerre puisse être plus forte que les meilleures volontés introduit une forme de chance dans la résistance morale dont chacun fait preuve. Dès lors, nous pourrions dire que les soldats qui en viennent à commettre des crimes de guerre ne sont pas moralement plus responsables que ceux qui ont eu la chance, peut-être parce qu’ils ont été moins exposés, de rester moralement plus forts. Le modèle de la responsabilité collective avec faute non contributoire de Feinberg devrait nous autoriser à admettre une responsabilité collective morale de tous les soldats pour les risques moraux qu’ils prennent et dont certains seulement aboutiront à des crimes de guerre.

En fait, plus qu’une responsabilité morale collective des soldats, il nous semble que ceci est un argument de plus en faveur d’une responsabilité morale de l’armée. En effet, ce modèle serait admissible si les soldats étaient entièrement responsables de leur propre présence dans l’armée. Or, nous avons montré en première partie que l’incorporation des soldats est loin d’être toujours le résultat d’un choix libre, comme peut l’être par exemple le fait de consommer de l’alcool. Dès lors, si l’incorporation est à mettre au compte de ceux qui décident la guerre, que cette incorporation se fait au sein de l’armée et que c’est dans le cadre des opérations militaires que la santé morale des soldats est mise à mal, alors il serait logique de faire porter le poids de cette responsabilité morale collective non sur les soldats eux- mêmesen tant que groupe mais bien sur l’armée en tant qu’entité, lieu de tous les risques.

C’est donc bien en tant qu’institution que la responsabilité morale collective de l’armée se trouve mise en jeu.

Ainsi, nous remarquons que c’est la structure de l’armée qui justifie qu’on puisse lui reconnaître une responsabilité morale dans la commission des crimes de guerre, ce qui signifie parallèlement que les conflits ne mettant pas en jeu de tels collectifs, ou des collectifs avec un moindre degré de cohésion, ne se prêtent pas nécessairement à l’établissement de telles responsabilités. Dans le cas où la présence du combattant serait le fait de sa volonté, mais aussi dans les cas où la poursuite des opérations ne se ferait que par des décisions au sein de petits groupuscules d’actions, les modèles de la responsabilité morale collective proposés par Feinberg ne nous autoriseraient plus à penser la responsabilité des groupes d’actions. Il ne s’agit donc pas seulement de pouvoir renvoyer à une action collective, il faut encore que le collectif de référence ait un mode opératoire suffisamment structuré pour expliquer, en partie du moins, les types de comportements individuels. Si ces comportements ne renvoient qu’à la liberté des individus, alors ils sont les seuls responsables moralement des crimes qu’ils commettent.

L’armée est le plus étroit des groupes d’appartenance des soldats, elle n’est cependant pas le seul. En effet, l’armée elle-même appartient à un pays et renvoie aux membres d’une nation qu’elle est censée défendre. Le groupe d’appartenance dernier des soldats n’est donc pas l’armée, mais leur nation. La question se pose alors de la pertinence des responsabilités renvoyées à ce groupe d’appartenance plus large.

En effet, on peut penser une responsabilité des soldats comme membres d’un premier groupe qui serait l’armée, mais nous avons identifié plus haut plusieurs cercles de cohésions à l’intérieur de chaque belligérant: l’armée et les combattants actifs constitueraient le premier cercle, les civils qui favorisent et soutiennent l’effort de guerre serait le deuxième cercle, les civils qui n’entravent pas les actions des autres constitueraient le troisième et dernier cercle. Il n’est sans doute pas pertinent, pour le cas des responsabilités liées au crime de guerre, de distinguer entre le deuxième et le troisième cercle. Aucun des deux n’étant impliqué dans une relation de cohésion ou d’évaluation avec les soldats, leurs responsabilités, si elles existent, peuvent être pensées sous un seul et même chef, celui de la non-intervention. Cependant, la

de la guerre impliquant les civils des belligérants en présence que la question de leur responsabilité est directement impliquée. Le ressort de la réflexion n’est donc pas seulement celui des responsabilités générales de tous ceux qui ne sont pas intervenus, mais plus spécifiquement celui des responsabilités collectives des civils pour non-intervention face à des actes commis dans le cadre de l’activité de leurs soldats. Cette responsabilité est soutenue par la liaison d’assistance et de communauté d’intérêt des civils avec les soldats dans un collectif large. La question introduite ici est donc celle de savoir dans quelle mesure les populations civiles peuvent ou non, avoir une responsabilité morale collective dans la commission des crimes de guerre.

I.2.b - Les personnes civiles: peut-on penser une responsabilité pour non-

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