• Aucun résultat trouvé

b Tension entre souveraineté et droit d’intervention modulée par la conception de souveraineté: les pensées du contrat social

II. 2 Arguments en faveur de l’intervention humanitaire

II.2. b Tension entre souveraineté et droit d’intervention modulée par la conception de souveraineté: les pensées du contrat social

Une des caractéristiques des pensées du contrat social est d’envisager le contrat comme un moment de rupture avec une situation anté juridique dans laquelle les rapports humains se réalisent sur leur mode «naturel». Ces interactions naturelles se déclinent, suivant les auteurs, d’une quasi-indifférence comme chez Rousseau jusqu’à des rapports violents induisant une guerre de tous contre tous comme chez Hobbes. Le contrat social intervient alors en vue d’une fin, inaccessible à l’état de nature, mais que l’entrée en société se propose de fournir. Selon les auteurs, il peut s’agir de la préservation de la vie, de la sécurité des biens, du développement des potentialités humaines ou tout simplement d’un mieux-vivre. Pour permettre la réalisation de cette fin, les individus abandonnent une part plus ou moins grande de liberté au souverain, lequel se trouve investi d’un pouvoir sur ses sujets pouvant aller jusqu’à leur sacrifice. Dans la logique des pensées du contrat social, le respect du souverain est plus qu’une condition de la réalisation de la fin sociale, c’est aussi l’expression même de la volonté du peuple qui a choisi de contracter. Qu’en est-il, alors, si le souverain se retourne contre ses citoyens? La souveraineté est-elle maintenue?

L’idée de l’intervention d’une puissance étrangère pour se porter au secours de citoyens qui ne sont pas les siens apparaîtrait probablement à Hobbes comme une incongruité. Cela dit, la souveraineté est chez Hobbes une force interne à la société civile qui n’implique que les parties au contrat et n’a pas de réelle existence en dehors. Toutes les puissances étrangères restent entre elles comme en l’état de nature. Aucun engagement n’est donc susceptible de retenir un État qui voudrait se porter au secours des citoyens opprimés d’un autre. S’il a le pouvoir de renverser le souverain, d’imposer sa loi et d’acquérir son peuple, rien ne peut l’en empêcher; et que les motivations de cette violence soient une visée humanitaire ou autres sont des raisons qui lui appartiennent.Seul le rapport de force domine le rapport entre États chez Hobbes, il n’y a pas lieu pour l’un de respecter la souveraineté de l’autre. Par conséquent, l’intervention humanitaire d’un État dans les affaires internes d’un autre serait permise de fait, dans la logique hobbesienne, puisque ne pouvant être l’objet d’une interdiction légale. Il n’en est pas de même de la recevabilité de l’intervention au sein de la société civile, par exemple si un individu ou un groupe voulait se porter au secours

conséquent, l’essence même du gouvernement»16

. Autant il reste toujours à l’individu un droit naturel inaliénable de se défendre lui-même et de s’unir pour se défendre en groupe, même contre la sanction juste du souverain, autant il n’existe aucun droit à défendre autrui. En effet, le droit à la vie est le seul droit naturel inaliénable chez Hobbes Ce droit ne concerne alors que la personne qui le possède et ne peut se transmettre à autrui. C’est pour protéger ce droit que chacun, dans le contrat, abdique une part de sa liberté pour confier à l’État la protection de son droit à la vie. Chacun conserve alors dans le contrat une part de liberté inaliénable issue directement de ce droit naturel d’autoconservation, lequel ne peut donc s’exercer que comme légitime défense et non comme défense d’autrui. Il y a ainsi chez Hobbes un véritable devoir de réserve de chacun des citoyens vis-à-vis de ce qui arrive aux autres. Tout se passe comme s’ils ne devaient considérer que leurs fins propres dans l’entrée en société: ils ont contracté pour vivre en sécurité? Ils doivent donc s’estimer satisfaits si leur propre sécurité est assurée, toute autre considération ne viendrait qu’introduire au sein de la société des dissensions contreproductives. Par conséquent, l’intervention, entendue comme tentative de faire cesser des abus au sein de l’État, prend la forme, chez Hobbes, d’une inutile mise en danger du souverain, incohérente avec l’entrée en société. Nous pouvons donc en conclure que la pensée hobbesienne autorise par défaut l’intervention au niveau interétatique du fait que la souveraineté d’un État ne peut en rien obliger les autres États; mais elle l’interdit au niveau intraétatique, où la souveraineté reflète toujours la volonté de chaque individu contractant, quel que soit le degré d’injustice dont le souverain fait preuve à leur égard. La souveraineté est donc bien d’application absolue chez Hobbes. Ainsi, lorsqu’il pose que «l’obligation des sujets envers le souverain s’entend aussi longtemps, et pas plus, que dure la puissance grâce à laquelle il a la capacité de les protéger»17

, il ne faut pas tant comprendre que le souverain pourrait perdre sa souveraineté en ne respectant pas les termes du contrat, comme il a parfois été avancé par certains commentateurs, mais que le nombre d’individus portés en son sein à se défendre eux-mêmes contre l’oppression peut grossir jusqu’à excéder la force du souverain et à lui faire perdre de fait sa souveraineté.

S’il faut se défier du contresens voulant faire poser à Hobbes que la souveraineté serait conditionnelle, ce pas est par contre franchi par Locke. En effet, à partir d’une pensée du contrat social ayant sensiblement des bases similaires, Locke en arrive pourtant à la conclusion inverse. La souveraineté n’est pas absolue chez Locke, elle dépend clairement du

16

HOBBES, T., Léviathan, (trad.G.Mairet), Paris, Gallimard, Folio essais, 2007 (1651), Chapitre21, p.348

17

mandat qui lui a été assigné par l’entrée en société et ne dure que tant et aussi longtemps que ce mandat est respecté : «la raison pour laquelle on entre dans une société politique, c’est de conserver ses biens propres […] quand les législateurs s’efforcent de ravir et de détruire les choses qui appartiennent en propre au peuple, ou de le réduire en esclavage, sous un pouvoir arbitraire, ils se mettent dans l’état de guerre avec le peuple qui, dès lors, est absous et exempt de toute sorte d’obéissance à leur égard»18

. Ici, la souveraineté est bien conditionnelle, si la confiance placée dans le souverain par le peuple est trahie, la souveraineté est d’emblée dissoute par le fait du souverain. Nul n’est besoin de la part du peuple d’une reprise de pouvoir dans l’affrontement, les abus du souverain valent pour destitution. Par conséquent, une pensée du contrat comme celle de Locke nous permettrait de donner une autre conclusion que celle de Hobbes quant à la tension entre respect de la souveraineté et droit de se porter au secours d’opprimés. En effet, lorsque l’oppression dont certains sont victimes remet en cause les raisons de l’entrée en société, la souveraineté tombe. Il y a donc bien prévalence de l’intervention sur la souveraineté, qui n’est pas à comprendre comme «droit à outrepasser» la souveraineté, mais comme disqualification de la souveraineté par elle-même.

II.2.c - Souveraineté et droit d’interventioncomme deux forces en opposition :

Outline

Documents relatifs