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1 Le Crime de guerre est défini comme crime «de guerre»

D’après sa définition générale telle que donnée dans les textes du droit international, le crime de guerre est nécessairement lié à la guerre. C'est d’ailleurs ce qui le distingue des crimes commis pendant la guerre. Définir le crime de guerre comme crime de guerre signifie que la notion implique d’emblée trois prérequis: tout d’abord, qu’il ne peut y avoir de crime de guerre qu’après avoir reconnu une guerre. La notion suppose ainsi un positionnement sur la définition et les critères de ce qui peut valoir comme guerre. Ensuite, pour qu’il y ait crime de guerre, il faut que le crime ait été commis en raison de la guerre et non à son occasion. La concordance spatio-temporelle n’étant pas l’élément pertinent, un lien de subordination doit

Explicitons ces points :

C'est presque une lapalissade : pour qu'il y ait crime de guerre, il faut avant tout qu'il y ait un état reconnu comme guerre. L'existence d'un conflit armé est nécessaire à l'application du droit international humanitaire, c'est-à-dire à l'application des textes reconnaissant un acte déterminé comme appartenant à la catégorie des crimes de guerre. Ceci paraît évident, ce n'est pourtant pas toujours si simple à déterminer. Pendant longtemps, on a considéré qu'il ne pouvait y avoir guerre que dans le cas de conflits armés internationaux. C'est surtout qu'en vertu du principe de souveraineté, on estimait que ce qui arrivait à l'intérieur des frontières d'un État ne regardait que lui, et que la communauté internationale n'était pas en droit d'intervenir. Pourtant, progressivement, les guerres civiles en sont venues à être considérées comme pouvant donner lieu à des crimes de guerre. Par exemple, le Tribunal de Nuremberg et celui de Tokyo, après la seconde guerre mondiale, n'avaient pas estimé nécessaire de définir la notion de guerre, tant elle semblait évidente à cette époque et dans ces circonstances. Par contre, quarante ans plus tard, les tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda se sont trouvés confrontés à la nécessité d'une définition, fixant du même coup les cadres de leurs compétences. Ainsi, le TPIY identifie un conflit armé : «chaque fois qu'il y a recours à la force armée entre États ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et les groupes organisés ou entre de tels groupes au sein d'un État»3

. Cette définition est maintenant acceptée par la doctrine.

Concrètement, ceci signifie qu'on peut bien admettre un acte comme crime indépendamment du fait de savoir si on est ou non en contexte de conflit armé, mais que juridiquement, on ne peut pas admettre un acte comme crime de guerre avant qu'une autorité compétente ait reconnu une situation politique comme conflit armé. Ce qui ressort clairement en passant par la pratique juridique vaut également au niveau moral. On peut bien admettre que ce n'est pas le fait qu'une cellule d'étude autorisée reconnaisse un état de conflit armé qui génère le crime de guerre. Si la cellule refuse de reconnaître un conflit comme tel par intérêt politique ou pour quelque autre raison que ce soit, les actes commis ne pourront effectivement pas être poursuivis juridiquement comme crimes de guerre, même s'ils apparaissent comme tels avec évidence à la morale publique. Et c'est bien sur cette évidence morale que s'est appuyé de Tribunal de Nuremberg lorsqu'il a estimé inutile de définir les évènements de 1939-45 comme guerre. Sans entrer sur les difficultés d’applications que nous venons d’esquisser, retenons ici

un premier critère : pour pouvoir admettre un crime de guerre, il faut antérieurement que soit reconnue une guerre.

Le deuxième prérequis pour que soit reconnu un crime de guerre est que le crime ait été commis en raison de la guerre. La notion de crime de guerre suppose l'établissement d'un lien de subordination entre le crime et le contexte de guerre, désigné dans le langage juridique comme «lien suffisant»4

. Le lien de subordination implique qu'il ne suffit pas que la guerre soit l'occasion du crime. Par exemple, profiter de la confusion et du climat de violence pour assassiner un voisin avec lequel on a depuis longtemps un différend ne constitue pas un crime de guerre. Ainsi, tous les crimes commis pendant la guerre ne sont pas des crimes de guerre. Poser comme critère que le crime de guerre soit commis «en raison de la guerre» signifie que le crime doit servir la guerre elle-même ou indirectement en servir des objectifs militaires précis. Il peut soit la servir de façon directe et intentionnelle : par exemple le bombardement de civils si l’on estime que la réussite d'une opération est au prix de leur sacrifice, ou encore le recours à la torture si l’on pense que les informations ainsi soutirées seraient de nature à épargner nos propres soldats. Mais on peut aussi admettre comme crimes de guerre des actes qui la favorisent de façon indirecte et opportuniste : par exemple, la hiérarchie constatant la commission fréquente ou massive de viols contre les individus du camp opposé, pourrait choisir de laisser faire, estimant que ces crimes ne sont pas inutiles à l'affaiblissement du moral de l’ennemi. Cependant, l'utilité directe d'un crime est bien un indicateur, mais n'est pas un élément nécessaire de la reconnaissance d'un crime de guerre. Un «lien suffisant» peut être identifié dès lors que le crime commis l'est en raison de l'appartenance de la victime à une nation ou à un groupe considéré comme ennemi. Par exemple, un viol commis par un soldat sur une personne appartenant au même groupe que lui ne peut être un crime de guerre, il s'agit d'un crime classique. Pour qu'il y ait crime de guerre, il est au moins nécessaire que ce même viol soit commis d'un soldat envers une personne appartenant au groupe d'un belligérant opposé. Et peu importe, finalement, qu'il l'ait fait pour «servir la guerre» ou qu'il ait vraiment opéré une forme de discrimination parmi les victimes potentielles. Le fait même qu'elle appartienne au groupe du belligérant opposé est susceptible d'entamer le moral de l'ennemi et de servir la guerre. 

Ainsi, ces deux critères de reconnaissance du crime de guerre sont pertinents dans la question de savoir si le crime de guerre est, ou non, un crime de nature collective. En effet, le premier point fait découler la possibilité du crime de guerre de l'existence d'une guerre (laissons de côté ici la question de savoir quand et comment admettre l'existence d'une guerre). Le second point met en évidence la nécessité d'un lien entre le crime commis et la guerre. Ces deux points combinés soulignent le fait que chaque crime de guerre n’a de sens qu’à l’intérieur d’un système d’activités coordonnées vers un but. Est-ce que ceci doit pour autant nous pousser à admettre qu'un crime de guerre est nécessairement un acte commis de façon collective?

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