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II. 1 Développement historique de la doctrine

II.1. b La forme «classique» : saint Thomas

La question 40 (secunda secundae) de la Somme théologique est consacrée à la thématique de la guerre. Notamment, l'article 1 se demande si on peut admettre qu’il y ait des guerres licites. Conformément à la méthode observée dans la Somme Théologique, saint Thomas commence par examiner les arguments de la position qu'il va réfuter. Ici: les arguments voulant que la guerre étant un péché, aucune guerre ne puisse jamais être dite licite.

l’ordre de qui l’on doit faire la guerre. Il n’est pas du ressort d’une personne privée d’engager une guerre, car elle peut faire valoir son droit au tribunal de son supérieur ; parce qu’aussi le fait de convoquer la multitude, nécessaire pour la guerre, n’appartient pas à une personne privée. Puisque le soin des affaires publiques a été confié aux princes, c’est à eux qu’il appartient de veiller au bien public de la cité, du royaume ou de la province soumis à leur autorité. De même qu’ils le défendent licitement par le glaive contre les perturbateurs du dedans quand ils punissent les malfaiteurs [...], de même aussi il leur appartient de défendre le bien public par le glaive de la guerre contre les ennemis du dehors. [...] _2° Une cause juste : il est requis que l’on attaque l’ennemi en raison de quelque faute. [...] _3° Une intention droite chez ceux qui font la guerre : on doit se proposer de promouvoir le bien ou d’éviter le mal. [...] En effet, même si l’autorité de celui qui déclare la guerre est légitime et sa cause juste, il arrive néanmoins que la guerre soit rendue illicite par le fait d’une intention mauvaise.»

Trois règles du jus ad bellum (règles de l'entrée en guerre) sont présentées dans l'article 1. saint Thomas les présente comme étant chacune une condition nécessaire pour qu'une guerre puisse être déclarée juste. Par conséquent, ne sont justes que les guerres qui : sont déclarées par une autorité compétente ET qui sont motivées par une juste cause ET qui relèvent d'une intention droite.

De plus, à côté des autres articles traités dans la question 40 : «Est-il permis aux clercs de combattre?» (article 2) et «Est-il permis de guerroyer les jours de fête?» (article 4), le troisième article : «Est-il permis, à la guerre, d'employer la ruse ?» possède un intérêt pour la doctrine de la guerre juste. Il peut en effet être perçu comme une des premières règles élaborées du jus in bello (règles de la conduite de la guerre).

À la question de la licéité de l'emploi de la ruse, saint Thomas répond en faisant une distinction : «Il y a deux manières pour quelqu’un d’être trompé par les actions ou les paroles d’un autre. Ou bien, parce qu’on lui dit une chose fausse ou qu’on ne tient pas une promesse. Et cela est toujours illicite. [...] Ou bien quelqu’un peut se tromper sur nos paroles ou nos actes parce que nous ne lui découvrons pas notre but ou notre pensée. Or, nous ne sommes pas toujours tenus de le faire [...]. À plus forte raison devons-nous cacher ce que nous préparons pour combattre les ennemis.»

Ce qui nous intéresse ici est moins ce que nous sommes autorisés à faire pendant la guerre que ce qui nous est interdit. Cette réponse de saint Thomas indique clairement que tromper l'ennemi par une ruse, un mensonge ou une promesse non tenue ne saurait être admis au rang des procédés auxquels un chrétien peut avoir recours.

Est-ce pour autant une quatrième règle de la doctrine que nous pouvons admettre ici ? Si ce doit être une quatrième règle, alors il faut admettre que la tromperie n'engage pas uniquement la justice de celui qui y a recours mais la justice de la guerre dans son entier. Par conséquent, il faudrait admettre que l'emploi de la tromperie pourrait être de nature à remettre en cause la justice de la guerre elle- même, quand bien même on observerait le respect des trois règles précédentes du jus ad bellum. Saint Thomas ne donne pas de réponse directe à cette question, mais sa position peut se lire dans la manière dont il traite l'objection qu’il renvoie à saint Augustin. Selon ce dernier : «lorsqu’une guerre juste est entreprise, que l’on combatte ouvertement ou avec ruse, cela n’importe en rien à la justice.» Peu importe donc, pour Augustin, la manière dont on combat : la justice de la guerre dépend des conditions qui ont aboutit à la guerre. Une fois entreprise, une guerre juste reste juste. La réponse que donne saint Thomas est donnée implicitement, sans doute pour ne pas avoir à contredire de front une autorité de l'Église sur un aspect de sa pensée que saint Thomas ne reprend pas à son compte. En distinguant deux types de tromperies, Thomas arrive à concilier deux affirmations opposées : celle d’Augustin soutenant que l'emploi de la ruse est licite en temps de guerre, et celle des tenants de la première position présentée dans l'article pour qui au contraire l'emploi de la ruse ne peut jamais être licite. Par cette distinction, Thomas admet l'assertion d'Augustin dans certains cas et la refuse dans d'autres. Effectivement, si l’on conçoit la tromperie comme le fait de ne pas découvrir nos plans (il faut alors entendre «avec ruse» par opposition à «ouvertement»), alors la tromperie est licite et la justice de la guerre ne peut en rien être remise en cause. Par opposition et en creux, nous pouvons donc reconstruire ce que saint Thomas n'affirme pas directement : que la justice de la guerre peut parfois être remise en cause pour des raisons de conduite des hostilités, parmi lesquelles la tromperie, entendue cette fois comme tromperie volontaire et active, («avec ruse» s'entend alors comme mensonge).

Par conséquent, si la conduite des hostilités est susceptible de remettre en cause la justice même de la guerre dans sa totalité, alors c'est bien comme une quatrième règle de la doctrine de la guerre juste qu'il faut admettre l'article 3 de la question 40.

La forme classique de la doctrine de la guerre juste, qu'on place à raison chez saint Thomas, doit donc être considérée comme regroupant quatre règles : trois règles de jus ad bellum et une règle de

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