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Le sujet de l’intervention: une question de pouvoirs

I. 1 L’apport des théories morales de la responsabilité collective pour penser des crimes commis en groupe

I.1- Le sujet de l’intervention: une question de pouvoirs

Intervenir, c’est donc tenter quelque chose pour modifier une situation. Le premier critère pour évaluer une intervention ou pour déterminer ce qui aurait pu être attendu de la part d’une puissance est celui de l’adéquation de sa force avec ce qu’elle tente. Il ne s’agit pas pour nous de conclure sans autre forme de procès que toute puissance est tenue de faire tout ce qui est en son pouvoir – cette question demande l’examen de bien d’autres éléments, ce que nous examinerons par la suite – il s’agit plutôt de manière négative d’écarter des exigences, et donc de la question de la responsabilité, tout ce qui dépasse manifestement le pouvoir de l’agent. Par exemple, il serait incohérent de demander à un homme seul de se dresser devant un régime tyrannique, pareille tentative se solderait probablement par un échec et des poursuites. La réussite n’est pas impossible, si l’une des tentatives d’assassinat contre Saddam Hussein avait réussi, le peuple irakien aurait peut-être eu l’occasion de remplacer un régime tyrannique par un régime démocratique. Cependant, l’efficacité de l’opération est si aléatoire et si dangereuse pour celui qui l’entreprend qu’on ne peut considérer raisonnablement qu’il est du pouvoir de chaque personne de se dresser devant un régime. Intervenir dans ces conditions relève le plus souvent du sacrifice et il serait absurde de demander raison à chaque personne de sa non-intervention.

Certes, il est toujours possible de considérer qu’il existe d’autres formes d’intervention que la force, on a vu des situations retournées et des crimes empêchés par la force de persuasion d’une seule personne. L’image de cet étudiant chinois arrêtant à lui seul toute une file de char sur la place Tien’anmen en 1989 a fait le tour du monde. Les positions prônées par Gandhi ou Martin Luther King sont encore des exemples de résistances non-violentes menées sous l’impulsion d’un homme seul, qui a su convaincre d’autres personnes d’agir à ses côtés. On ne peut donc soutenir, à l’inverse, qu’une personne seule soit incapable de faire quoi que ce soit pour empêcher la commission de crimes. Cette possibilité existe toujours. Cependant, agir ainsi demande une personnalité hors du commun (tous ne possèdent pas une telle force de persuasion) et une prise de risque telle que l’intervention par d’autres voies que la force ne peut non plus être raisonnablement attendue de chaque personne par principe (rappelons que l’étudiant de Tien’anmen, dont le gouvernement chinois a tu le nom et le destin est, selon les tentatives de reconstitution, mort sous la torture une semaine plus tard; Gandhi fut assassiné

question si elle ne le fait pas. Ainsi, un gradé qui verrait ses hommes se livrer spontanément au pillage sans même leur donner l’ordre de cesser, pourrait bien être mis en question pour ce geste. Si on peut établir qu’il existe une responsabilité pour non-intervention, le fait d’être seul ne sera pas, par principe, un élément déresponsabilisant. Ce qui sera déresponsabilisant par contre, c’est la démesure entre les moyens à la disposition de l’agent et l’action qu’on lui reproche de ne pas avoir tenté d’empêcher. Là où l’agent n’avait raisonnablement pas le pouvoir d’empêcher la commission d’un crime de guerre, sa responsabilité ne saurait être mise en cause. Par conséquent, la question de la responsabilité pour non-intervention se joue dans le cadre d’un rapport entre moyens nécessaires pour empêcher un crime et moyens disponibles à l’agent.

Parallèlement, ce critère de l’adéquation du pouvoir et de l’efficacité de ce qui est tenté pour limiter la commission de crime nous permet également de refuser de nous satisfaire de certaines pseudo-tentatives d’interventions, manifestement insuffisantes compte tenu de la puissance de l’agent. Ainsi, un État qui aurait le pouvoir diplomatique de peser sur des parties d’un conflit commettant des crimes de guerre, voire qui aurait les moyens militaires de faire cesser rapidement tout abus et qui, à la place, se contenterait de lancer un appel au calme, ne pourrait légitimement se prévaloir sur la scène internationale d’une intervention. Parce qu’il peut bien plus et parce que cet appel au calme ne sera probablement d’aucune efficacité, on ne peut admettre ceci comme réelle tentative d’intervention. Par conséquent, n’importe quelle action n’est pas de nature, pour un agent, à valoir comme authentique tentative d’intervention et par suite à suspendre toute mise en cause de sa responsabilité. Encore une fois, il s’agit d’un ratio entre le pouvoir et les moyens employés. L’appel au calme, par exemple, n’est pas à ranger par nature dans les moyens insuffisants d’intervention. Lors d’une guerre de religion, par exemple, l’appel au calme des chefs religieux pourrait être efficace, et ce serait aussi l’arme la plus efficace dont pourraient disposer des pères spirituels désarmés. L’appel au calme dans ce cas-ci prendrait donc bien la mesure de la situation et des capacités d’intervention des acteurs.

Dès lors, le premier critère de la mise en cause, donc le premier pas vers une reconnaissance de responsabilité, réside dans le pouvoir de l’agent: est-ce que cette personne seule avait ou non le pouvoir d’interférer dans telle situation? Est-ce que cette ONG avait ou non le pouvoir de se faire entendre? Est-ce que tel petit État avait ou non une force militaire suffisante pour interveniret avait-il voix au chapitre sur la scène internationale? Ce premier critère, celui du

pouvoir, n’est bien sûr pas suffisant pour dégager des responsabilités et conclure à l’inverse que tout agent qui en a le pouvoir doit intervenir. L’établissement des responsabilités nécessite bien d’autres critères et soulève bien d’autres questions. Cependant, il permet de poser une première limite à la recherche des responsabilités pour non-intervention, que nous pourrions énoncer ainsi: tout témoin ne peut indifféremment être mis en question lorsqu’un crime de guerre est commis, sont écartés tous ceux qui, ratio fait du crime et de leur pouvoir propre, étaient dans l’incapacité d’empêcher – directement ou indirectement – la commission du crime sans prendre pour eux-mêmes des risques démesurés.

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