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Section 1 : L’articulation des dispositions européennes et nationales

A) Un projet de Règlement originairement ambitieu

500. Le rattachement juridique de la SE est issu de l’évolution des combinaisons

des règles formelles et substantielles qui se sont succédés depuis les premières propositions de Règlement SE624.

501. A l’origine, le Règlement envisageait la SE comme une société de droit ,

appelée à flotter au dessus du droit des Etats membres625. Au point qu’elle se fondait essentiellement sur des règles matérielles, et les renvois étaient rares. Le Règlement ne faisait pas référence aux droits nationaux, afin de garantir « l’unicité du régime »626. Cependant, les mesures fiscales et pénales, qui restent des prérogatives régaliennes, faisaient l’objet de renvoi vers les droits nationaux627. Hormis cela, le rattachement des sociétés aux Etats membres faisait obstacle aux opérations de concentrations transfrontalières, car les sociétés qui en étaient issues prenaient de ce fait « une coloration nationale »628. Or, une telle coloration était peu appréciée des sociétés participant à l’opération. Par ailleurs, le rattachement étatique paraissait comme un obstacle à

624

M. MENJUCQ, « La société européenne », op. cit., p. 225 ; M. MENJUCQ, « Le droit applicable à la SE : articulation des textes communautaires et des règles françaises », op. cit., p. 27 ; M. MENJUCQ, « Un modèle de mobilité : la société européenne », op. cit., p. 35.

625 J.-P. BERTREL, « La société européenne entre son passé et son avenir », op. cit., p. 50.. 626

Projet de 70, article 7-1.

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En effet, selon le 2° de l’article 7 du projet de règlement SE de 1970, les matières qui ne sont pas régies par le règlement sont soumises au droit national applicable à l’espèce. En revanche, les rédacteurs de la proposition n’envisageaient nullement les lacunes qui pourraient se faire jour dans le statut dans le cadre du droit des sociétés ; Y. LOUSSOUARN, « Nationalité de sociétés et communauté économique européenne »,

RJ com., 1990, p. 145. C’est ce qu’il résulte de la lecture de l’article 7 § 1 in fine du projet de règlement SE

de 1970.

628 M. MENJUCQ, « Le droit applicable à la SE : articulation des textes communautaires et des règles

l’acquisition de la taille européenne629. Les sociétés devaient donc être libérées de tout lien avec les législations nationales.

502. Puis au grès des modifications des diverses propositions de Règlement qui

ont suivi, les renvois aux législations nationales sont devenus de plus en plus nombreux. En effet, les premières propositions avaient pour ambition de créer un modèle de société de droit avec un statut des groupes de sociétés et des règles sur la participation des salariés. Le premier projet de Règlement qui date de 1970, était par conséquent très complet, afin de suffire à lui-même. Il ne comptait pas moins de 284 articles. En cas de lacunes (et dans le silence des statuts), il convenait de se référer aux principes généraux du droit européen et, à défaut, aux principes généraux communs aux droits des Etats membres630. Les questions laissées sans réponse étaient confiées à l’actuel CJUE, ou à une juridiction nouvelle créée à cette fin631. Pour autant, le texte proposé était complet, puisqu’il prévoyait aussi bien les règles de constitution de la SE que celles de son fonctionnement. Ceci, en passant par les modalités de transmission des titres, la participation des travailleurs, mais également la faillite, son inscription à un registre européen632.

503. Ainsi, la SE était à l’origine une société de droit, rattachée à aucun des Etats

membres, puisque elle était exclusivement et directement rattachée à un ordre juridique européen. Dès lors aucune des lacunes présentes dans le corps de texte , ne pouvaient être résolues par une loi nationale. La société est entièrement régie par le Règlement proposé, à défaut par les principes généraux dont le statut s’inspire, et à défaut par les règles ou

629 M. MENJUCQ, ibid, p. 27.

630 Projet de 70, article 7 § 1. Ce qui revenait à confier au juge le soin de faire émerger « les principes

communs d’un droit commercial européen », N. LENOIR, « Pourquoi choisir le statut de la société européenne », op. cit., p. 74.

631

J. BEGUIN, « Le rattachement de la société européenne », op. cit., p. 31; Y. LOUSSOUARN, « Nationalité de sociétés et communauté économique européenne », op. cit., p. 145.

632 A propos de la proposition du 24 juin 1970 présentée au Conseil le 30 juin 1970 par la Commission des

Communautés européennes, Y. LOUSSOUARN, « La proposition d’un statut des sociétés anonymes européennes et le droit international privé », op. cit., p. 383 ; Th. CATHALA et K. GLEICHMANN, « Le statut des sociétés anonymes européennes selon la proposition de la Commission des Communautés européennes », Rev. soc., 1972, p. 7; « Texte de la proposition d’un Règlement du Conseil portant statut des sociétés anonymes européennes », Rev. soc., 1972, p.

principes généraux communs aux droits des Etats membres633. Un tel mécanisme n’est pas inconnu, il a déjà été adopté634.

504. Néanmoins, Le rattachement exclusif de la SE au Règlement SE, constituait

une source d’insécurité et d’imprévisibilité635. En raison de l’absence de rattachement subsidiaire aux droits nationaux, les lacunes susceptibles d’exister dans le texte, ne pouvaient être comblées qu’au fur et à mesure par une juridiction compétente lorsque cette dernière était saisie. En conséquence, la résolution de ces problèmes se posait avec « une acuité beaucoup plus grande »636.

505. Ce projet était plus qu’ambitieux. Il était complexe à mettre en œuvre. En

outre, il s’était heurté à une réaction négative de la part des Etats membres, sans doute parce que le modèle choisi était celui du droit allemand des sociétés637. En effet, les premiers projets de 1970 et 1975 prévoyaient d’appliquer un système de gestion dualiste (connu en droit allemand depuis 1937), avec une représentation des salariés au sein du conseil de surveillance (connu en Allemagne sous le nom de Mitbestimmung) et un droit des groupes « à l’allemande »638. Si ce projet s’inspirait du droit allemand cela s’expliquait par le fait qu’il était le seul des six Etats membres de la CEE, à être pourvu d’un droit des groupes complet639. L’intégration de ce droit des groupes dans le projet de Règlement SE, s’explique en raisons des liens qui existent entre le statut de la SE et le droit des groupes640. Cependant, plusieurs des Etats membres n’étaient pas prêts à

633

Ainsi, « toutes les matières régies par les statuts de la société européenne devraient faire l’objet d’une interprétation sui generis », S. MOUSOULAS, « La société européenne : Société de type ou société nationale ? », Petites affiches, n° 18, 1992, p. 16 ; K. GLEICHMANN, « Société européenne et marché commun : nouvelle étude sur la proposition du règlement instituant une société anonyme européen », n° 151, Petites affiches, 1986, p. 30.

634 Y. LOUSSOUARN donne des exemples. Les statuts de la société Air Afrique issue du Traité de

Yaoundé du 28 mars 1961, renvoient à titre subsidiaire aux principes communs à la législation des Etats signataires du Traité. Les statuts de l’Union Charbonnière Sarro-Lorraine, née du Traité franco allemand du 27 octobre 1956, est soumise au Traité, à ses statuts et aux principes communs du droit français et du droit allemand. Cf. Y. LOUSSOUARN, « La proposition d’un statut des sociétés anonymes européennes et le droit international privé », op. cit., p. 383.

635 Y. LOUSSOUARN, « Nationalité de sociétés et communauté économique européenne », op. cit., p. 145. 636

Y. LOUSSOUARN, ibid, p. 145.

637

« Avec le recul, on mesure à quel point cette confiance des juristes allemand dans leur système, confinant à l’égocentrisme juridique, ne pouvait que susciter un blocage […] », cf. J.-P. BERTREL, « La société européenne-Aspects du droit des sociétés », op. cit., p.50.

638

J.-P. BERTREL, ibid, p. 50 ; R. SINAY, « Le droit des groupes dans le projet de statut des sociétés anonymes européennes », op. cit., p. 118.

639 R. SINAY, ibid.

640 Mémorandum de la Commission de la CEE « sur la création d’une société commerciale européenne » du

imposer des contraintes entravant la gestion des groupes de sociétés, ou encore d’introduire des représentants des salariés au sein de leurs organes sociaux641.

506. Les caractères du projet de Règlement SE, rigide par essence, expliquent son

échec et l’arrêt de ses travaux en 1982. Le projet a été relancé dans le cadre du Livre sur l’achèvement du marché intérieur en 1985-1985642. Les projets suivants se sont allégés et assouplis. En effet, les susceptibilités des différents Etats membres et leurs traditions juridiques ont été pris en compte. De plus, un important avancement dans les travaux d’harmonisation des différents droits nationaux des sociétés, a été entrepris. Les projets de Règlement SE sont devenus réalistes et il devient « hybride »643.

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