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Le débat sur la survie de la personnalité morale de la société

Chapitre I : les problématiques caractérisitiques de la fusion transfrontalière et du transfert de siège social avec changement

Section 2 : Les problématiques distinctes de la fusion transfrontalière entre SA et du transfert de siège social d’une SA dans un autre Etat

A) Le débat sur la survie de la personnalité morale de la société

146. Contrairement à une fusion transfrontalière, la question de la validité d’un

transfert, conduit à s’interroger sur la survie de la personne morale dans cette opération229. Par définition, on ne parle pas de transfert de siège que si l’opération nécessite une reconstitution de la société suite à sa dissolution230. La question de la survie de la personne morale a fait l’objet d’un débat, dans lequel deux thèses se confrontent. Elle amène à s’interroger sur le caractère fictif ou réel de la personnalité morale.

147. Selon certains auteurs, la personnalité morale est une fiction puisqu’elle

découle de la loi et qu’elle est conférée par l’autorité publique231. La personnalité morale cesse d’exister au moment de la disparition de la loi qui la régit. Mais, une nouvelle personne juridique nait le jour de sa prise en compte par le droit du nouvel Etat d’implantation232. La personnalité morale ne survivrait donc pas au transfert international, puisque la compétence de l’autorité publique créatrice de cet attribut s’arrête aux

229 M MENJUCQ, Droit international et européen des sociétés, op. cit., p. 449. M. MENJUCQ, La mobilité

des sociétés dans l’espace européen, op. cit, p. 61. L’auteur rappelle que le transfert de siège social ne

remet en cause la personnalité morale que dans la mesure où il entraine le changement de la lex societatis. Seule cette hypothèse sera étudiée ici.

Envisagée cette hypothèse conduit à se poser la question suivante, « quand une société change de siège et veut s’immatriculer dans un autre pays est il possible d’admettre que c’est la même personnalité morale qui déplace son centre de gravité ou bien est on contraint de considérer que la société doit commencer par se dissoudre, pour se « désimmatriculer » dans le pays de départ, puis se reconstituer à neuf dans le pays d’arrivée ? », cf. J. BEGUIN, « Les sociétés commerciales sont-elles condamnées à l’immobilité internationale ? », op. cit., p. 43 s.

230M. MENJUCQ, La mobilité des sociétés dans l’espace européen, op. cit., p. 61. 231

« La personnalité morale juridique n’est pas une réalité naturelle, mais un bienfait de la loi, accordée et mesuré par celle-ci, la faveur cesse lorsque la loi qui l’a accordée est répudiée par les associés », cf. J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Traité de droit commercial, t. 1, vol. 2, Dalloz, 1981, n° 429, p. 86, cité par M. MENJUCQ, Droit international et européen des sociétés, op. cit., p. 420.

232

frontières de l’Etat initial233. Seul l’Etat d’accueil est habilité à attribuer ou non la personnalité morale au groupement régit par son droit234.

148. Une partie de la doctrine belge a également adhéré à la thèse de la fiction.

Elle se fonde sur la modification des éléments essentiels qui porte atteinte à « l’individualité de l’être moral » et aboutit « automatiquement » à la création d’une personne morale nouvelle235. Toute modification de ces éléments essentiels à la personnalité morale (telle que la nationalité) entraine le changement du centre d’intérêts et sauf dispositions contraires de la loi, la personne morale ne peut pas y survivre236. Il s’agit là d’une interprétation stricte du principe de spécialité. Le bouleversement de ces éléments essentiels conduit à la disparition de l’identité de la personnalité morale en vertu de ce même principe237.

149. Dès lors, non seulement la loi d’origine ne doit pas s’opposer au transfert

international du siège social, mais en plus, le droit d’accueil doit organiser le maintien de la dite personnalité morale.

150. Cependant, l’ancienne doctrine majoritaire ne l’est plus238. Un tel revirement de tendance se justifie en raison de l’absence totale de lien de cette thèse avec la réalité

233 J. BEGUIN, « Les sociétés commerciales sont-elles condamnées à l’immobilité internationale ? », in

Aspects organisationnels du droit des affaires, op. cit., p. 43 l’auteur cite des auteurs favorables à cette

conception, J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Traité de Droit commercial, op. cit., n° 429, selon eux, « la personnalité juridique n’est pas une réalité naturelle, mais un bienfait de la loi, accordé et mesuré par celle-ci, la faveur cesse lorsque la loi qui l’a accordée est répudiée par les associés ». Selon M. MENJUCQ, ils appuient leur démonstration sur l’hypothèse d’une SNC française dont le transfert de siège au Royaume Uni conduirait à sa transformation en partnership, dépourvu de personnalité morale, selon le droit anglais (même si selon l’auteur, cet exemple illustrerait plutôt le cumul des problèmes soulevés par la mobilité, celle-ci se traduisant, comme en l’espèce, par une transformation de type de société, cf. M. MENJUCQ, La mobilité des sociétés dans l’espace européen, op. cit., p. 62. Une nouvelle personne juridique naît le jour de sa prise en compte par le droit du nouvel Etat d’implantation, M. MENJUCQ, Droit

international et européen des sociétés, op. cit., p. 420.

234 J. BEGUIN et M. MENJUCQ, (sous la direction de), Traité de droit du commerce international, op. cit.,

p. 291.

235

« La mort ne saisit pas le vif même s’il existe, entre elles, des rapports d’héritage », FREDERICQ et DE SMET, « Rapport belge au Ve Congrès de l’Académie internationale de droit comparé », Bruxelles, 1958, « Le transfert de siège social », Revue belge de droit international et de droit comparé 1958, p. 147 et s. J. VAN RYN, note sous l’arrêt de la Cour de cassation belge du 12 novembre 1965, Soc. Lamot Ltd C/Willy

Lamot, RCJB 1966, p. 399. Cité par M. MENJUCQ, Droit international et européen des sociétés, op. cit., p.

421.

236 M. MENJUCQ, ibid, p. 421.

237 Le principe de spécialité pris sous l’angle de la théorie de la fiction, conduit à distinguer la capacité des

personnes physiques de celles des personnes morales et, à cantonner strictement la capacité des dernières à leur objet statutaire ou légal, les fictions étant d’interprétation stricte, cf. M. MENJUCQ, ibid, p. 421 ; M. MENJUCQ, La mobilité des sociétés dans l’espace européen, op. cit., p. 63.

238 La doctrine majoritaire contemporaine est favorable à la thèse de la réalité, cf. J. BEGUIN et M.

économique et une position contraire aux besoins des sociétés239. Or comme le rappelle J.M. BISCHOFF « le droit des sociétés doit être au service de celles-ci et non un frein à leur évolution et à leur développement »240.

151. Il existe une autre hypothèse qui admet la survie de la personnalité morale.

Le changement intervenu étant important, il apparaît nécessaire que le transfert du siège social soit décidé par un vote unanime des actionnaires241. Aussi, les partisans de cette thèse s’appuient sur le fait que l’existence de la personnalité morale est révélée par un vote des associés et non par une reconnaissance étatique242. L’acte constitutif est le fruit des statuts qui viennent de la volonté des constituants de la personne morale. L’immatriculation est relayée, quand à elle, à la simple fonction déclarative243. En conséquence, la personne morale peut survivre à son déplacement géographique et demeurer la même lorsqu’elle sera immatriculée dans l’Etat membre d’accueil244.

152. La doctrine française s’appuie sur les dispositions du Code de commerce.

Elle prend en exemple l’article L 225-97 du Code de commerce245. Ce dernier fait du changement de nationalité un cas particulier de modification des statuts, même si la

donnent quelques auteurs en exemple : H. BATTIFFOL et P. LAGARDE, Droit international privé, t. 1, LGDJ 1993, n° 197-1 ; Y. LOUSSOUARN et J.-D. BREDIN, Droit du commerce international, Dalloz 1969, n° 273 ; M. MENJUCQ, Droit international et européen des sociétés, op. cit., n° 223 ; J.-M. MOUSSERON, J. RAYNARD, R. FABRE et J.-L. PIERRE, Droit du commercial international, Litec 2003, 3e éd., n° 47.

239M. MENJUCQ, La mobilité des sociétés dans l’espace européen, op. cit., p. 65 ; M. Batiffol, « Le

changement de nationalité », Trav. comité français de DIP, 1969, p. 65.

240

J.-M. BISCHOFF, « Aspects de droit international », in La société européenne, colloque organisé le 7

février 2002 par le Centre du droit de l’entreprise de l’université Robert Schuman (Strasbourg III) avec la participation de la Quinzaine européenne, Petites affiches, 2002, n° 76, p. 43.

241 X. BOUCOBZA, « Les techniques de règlementation favorisant la mobilité des sociétés », op. cit., p. 23,

spéc. p. 26.

242 Il s’agit là de la conception de GENY,la volonté des associés n’est pas subordonnée à la reconnaissance

étatique, l’intervention des autorités étatiques n’est qu’instrumentaire, la personnalité morale peut survivre à son déplacement géographique et demeurer la même lorsqu’elle sera immatriculée dans l’Etat d’accueil, cf. J. BEGUIN et M. MENJUCQ, (sous la direction de), Traité de droit du commerce international, op. cit., p. 292.

243 Il convient de reconnaitre la réalité technique de la personnalité morale, en admettant qu’elle est créée

dès qu’elle représente un intérêt collectif organisé et qu’elle réunit les conditions fixées par la loi, M. MENJUCQ, La mobilité des sociétés dans l’espace européen, op. cit., p. 65 ; G. LAGARDE, « Propos de commercialiste sur la personnalité morale, Réalité ou réalisme ? », Etudes offertes à A. Jauffret, 1974, p. 429 et s. D’ailleurs selon M. MENJUCQ, la position de A. JAUFFRET permet « de dépasser la controverse entre fiction et réalité, au profit de la considération de l’être moral comme technique juridique ».

244

J. BEGUIN et M. MENJUCQ, (sous la direction de), Traité de droit du commerce international, op. cit., p. 292.

245 Les articles L 229-9, L 223-30 et L 225-97 du Code de commerce, régissent les sociétés en commandite

simple, les SARL et les SA, selon la doctrine majoritaire, ces dispositions considèrent le changement de nationalité comme un cas particulier de modification des statuts.

gravité de l’action engage l’unanimité des associés dans cette prise de décision246. Elle ne déroge pourtant pas aux conséquences des changements des statuts, à savoir le maintien de la personnalité juridique de la société247. De là, suivant la thèse de la réalité, la personnalité morale n’est pas touchée par une « simple » modification statutaire. Il ne s’agit que d’une simple volonté nouvelle des associés248.

153. Pour autant, le départ d’une société de l’Etat à laquelle elle est rattachée

entraîne des conséquences au regard de la loi applicable.

B) La remise en cause de la survie de la personnalité juridique de la société lié au

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