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Le conflit mobile dans les opérations de transfert de siège social

Chapitre I : les problématiques caractérisitiques de la fusion transfrontalière et du transfert de siège social avec changement

Section 1 : Les problématiques communes à la fusion transfrontalière entre SA et au transfert de siège social d’une SA vers un autre Etat

A) Le conflit mobile dans les opérations de transfert de siège social

95. Le principal obstacle aux opérations de transfert et de fusion transfrontalière

est lié au risque de changement de loi applicable, conséquence inhérente à ces opérations. En effet, elles entrainent une modification de la loi applicable et requiert que l’opération soit décidée à l’unanimité des associés ; du fait du risque d’augmentation des engagements des dits associés 146.

96. Les associés d’une société, que ce soit à l’occasion d’un transfert de siège

social ou d’une fusion transfrontalière, perdent le bénéfice de la loi en vertu de laquelle ils se sont engagés147. L’absence de changement de nationalité d’une société qui disparaît n’est pas remise en cause148. En revanche, le changement occasionné aux associés par ces opérations est indéniable. Ce changement fonde l’exigence d’une décision des associés à l’unanimité149, puisque chacun des associés s’est engagé dans la société par la loi ayant présidé à leur engagement150. Ce dernier est soumis à un conflit mobile.

146 Une telle modalité serait due au changement de loi applicable et pour certains à un changement de

nationalité de la société. Les problèmes liés au changement de nationalité des sociétés seront traités dans le cadre des difficultés propres au transfert de siège. Voir infra n° 147 et s.

147 M. MENJUCQ, La mobilité des sociétés dans l’espace européen, op. cit., n° 82, p. 57. ; G. BEITZKE,

« Les conflits de lois en matière de fusions de sociétés (droit et droit international privé) », Rev. Crit. DIP, 1967, p. 1 s.; H. SYNVET, « Enfin la société européenne ? », RTDE, 1990, p. 253 s., spéc. p. 261, note 17.

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B. GOLDMAN déduit de l’absence de continuité de la personne juridique, l’absence de corrélation entre les questions relatives à la fusion transfrontalière et au transfert de siège social, cf. B. GOLDMAN, « Rapport concernant le projet de convention sur la fusion internationale des sociétés anonymes », RTDE, 1974, p. 468.

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Voir infra n° 253, pour l’impact du risque d’augmentation des engagements des associés à l’occasion de ces opérations transfrontalières dans la prise de décision.

150 M MENJUCQ, Droit international et européen des sociétés, op. cit., n° 312, p. 334. ; H. SYNVET,

« Enfin la société européenne ? », op. cit., p. 253. Ils considèrent aussi que les opérations transfrontalières doivent être prises à l’unanimité des associés.

97. Le conflit mobile est caractérisé lorsqu’il existe une modification du point de

rattachement pour un même support donné151. Le facteur de rattachement peut être défini comme un élément de fait qui lie une situation à un Etat déterminé. Cela justifie sa soumission au droit de cet Etat. L’engagement de l’associé est soumis au droit de l’Etat auquel la société est rattachée. Cet engagement est bien relatif à deux lois successives et à un conflit mobile. Le changement de loi applicable à l’engagement des associés justifie l’exigence de l’unanimité comme lors du transfert. Effectivement, le transfert de siège de la société entraîne un conflit mobile puisque le siège social détermine la loi applicable. L’élément de rattachement juridique de la société est modifié, en soumettant successivement cette dernière à deux systèmes juridiques différents152. Le transfert de siège153 entraîne, en principe, un changement de loi applicable, ce qui justifie l’exigence de l’unanimité.

98. Toutefois, concernant le transfert du siège social d’une SA vers un Etat

étranger, la législation française prévoit que l’Assemblée générale extraordinaire de la SA décide ce transfert aux conditions de quorum et de majorité requises, pour les modifications statutaires154. Afin de pouvoir bénéficier de ces conditions avantageuses, il existe un prérequis. Il s’agit de l’existence d’une convention spéciale, maintenant la personnalité morale de la société, permettant ainsi à cette entité d’acquérir la nationalité du pays d’accueil155. A défaut d’une convention spéciale, le transfert ne peut être décidé à la majorité qualifiée. Pourtant, à l’exception du Traité franco-éthiopien du 12 novembre 1959, relatif au nouveau statut de la Compagnie de chemin de fer de Djibouti à Addis- Abeba, il n’existe aucune autre convention spéciale.

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Le problème dit du conflit mobile surgit toutes les fois qu’à la suite d’une modification de l’élément localisateur d’une situation d’après la règle de conflit à elle applicable, l’on est conduit à hésiter entre la compétence de la loi telle qu’elle résulte de l’élément localisateur avant sa modification ; Y. LOUSSOUARN, P. BOUREL et P. DE VAREILLES-SOMMIERES, Droit international privé, Précis Dalloz, 9e édition 2007, n° 225-1, p. 288, cité par Th. MASTRULLO, Le droit international des sociétés

dans l’espace régional européen,op. cit., n° 100.

152 M. MENJUCQ répertorie trois positions par rapport au déplacement de l’élément de rattachement. Deux

d’entre elles consistent à supprimer le conflit mobile, en organisant la survie de la loi d’origine ou en faisant rétroagir la loi nouvelle. Comme le fait très justement remarquer cet auteur, « l’application immédiate de la loi nouvelle reconnaît le conflit mobile et paraît être la solution la plus adaptée à la réalité du transfert car elle consacre l’intégration de la société dans un milieu économique et juridique nouveau », cf. M. MENJUCQ, La mobilité des sociétés dans l’espace européen, op. cit., n° 85, p. 58.

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On entend par siège aussi bien le siège social réel que statutaire, voir infra.

154 Aux termes de l’article L 225-97 du Code de commerce, « l'assemblée générale extraordinaire peut

changer la nationalité de la société, à condition que le pays d'accueil ait conclu avec la France une convention spéciale permettant d'acquérir sa nationalité et de transférer le siège social sur son territoire, et conservant à la société sa personnalité juridique ».

155 Certaines législations n’exigent qu’une majorité simple ou qualifiée, pour certains types de sociétés,

d’autres imposent en toute hypothèse l’unanimité des associés, M. MENJUCQ, La mobilité des sociétés

99. Cependant l’unanimité des associés peut suppléer l’absence de convention156, puisqu’il s’agit de la condition générale pour les autres types de sociétés. En effet, aux termes de l’alinéa 1er de l’article L 222-9 du Code de commerce, les associés d’une société en commandite simple ne peuvent, si ce n’est à l’unanimité, changer la nationalité de la société. C’est aussi le cas pour les associés d’une SARL, selon l’alinéa 1er de l’article L 223-30 du Code de commerce, ainsi que les associés d’une SAS, puisque les Etats membres ne connaissent que rarement des formes nationales équivalentes à la SAS. Le transfert de siège conduit presque systématiquement à la modification des clauses statutaires autorisées, la décision ne peut être votée qu’à l’unanimité des associés157.

100. De surcroît, le transfert de siège social avec changement de loi applicable

entraîne le changement de nationalité de la société158. En conséquence, même s’il n’existe pas de texte explicite en matière de transfert de siège des autres formes sociales, les dispositions relatives au changement de nationalité s’appliquent au transfert de siège avec changement de loi applicable159. Une réponse établit par le Ministère de la Justice, le 3 juillet 1973, lève toute incertitude en matière de décision par les associés de transfert de siège d’une SA, avec changement de loi applicable, en l’absence d’une convention spéciale160. La décision doit être prise à l’unanimité des associés.

101. Par conséquent, cette dernière est maintenue, tant que les conditions atténuant

les effets d’une opération transfrontalière, à l’égard des associés, ne sont pas réunies. Selon G. Beitzke161, il s’agit de l’exercice effectif des droits à l’étranger, de la garantie de l’exécution réciproque des jugements et enfin l’équivalence de protection à l’égard des associés pour le droit des sociétés. Ce, dans le cadre de l’harmonisation de ces droits au

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H. LE NABASQUE, « Le droit européen des sociétés et les opérations transfrontalières », op. cit., p. 417 s., spéc. p. 429 ; M. MENJUCQ, La mobilité des sociétés dans l’espace européen, op. cit., n°109, p. 76.

157 M. MENJUCQ, Droit international et européen des sociétés, op. cit., n° 440, p. 435. 158 Voir supra.

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Comme le fait remarquer J. BEGUIN, la majorité des internationalistes les interprètent de la même façon, cf. J. BEGUIN, « Les sociétés commerciales sont-elles condamnées à l’immobilité internationale ? »,

op. cit., p. 43 s.

160 « Le législateur n’a certainement pas voulu interdire que joue la règle normale de l’unanimité lorsqu’il

s’agit de décisions fondamentales comme, par exemple, celle décidant le transfert du siège social dans un pays étranger » ; la majorité des internationalistes les interprètent de la même façon, cf. J. BEGUIN, ibid, p. 43 s.

161 G. BEITZKE, « Les conflits de lois en matière de fusions de sociétés (droit européen et droit

sein des Etats membres. Les deux premières conditions sont réunies162 mais la dernière semble encore faire défaut163.

102. Pour autant, le Règlement SE qualifie le transfert de siège social comme une

modification statutaire. Le § 6 de l’article 8 du Règlement renvoie à l’article 59 de ce même texte. Ce dernier renvoie aux législations nationales pour connaitre les modalités de vote de décision de transfert164. Comme toute modification statutaire, le transfert doit être voté à la majorité des deux tiers. Les conséquences ne sont donc pas les mêmes que celles qui ont été précédemment explicitées.

103. Pourtant, de même que le changement de loi applicable occasionné lors du

transfert du siège social d’une SA peut conduire à un risque d’augmentation d’engagements des associés, le transfert du siège social d’une SE conduisant à un changement de loi applicable peut conduire à un même risque. La SE, selon le lieu du nouveau siège, garantit peut être moins bien les droits des associés minoritaires165. En conséquence, la loi applicable à la société change nécessairement du fait du transfert de siège social vers un autre Etat. La loi qui lui sera applicable sera celle du nouveau lieu de son siège social, ce qui induit un risque d’augmentation des engagements des associés.

104. Lors d’une fusion transfrontalière, ce risque n’est pas systématique, puisque

l’engagement des associés166 n’est pas nécessairement soumis à une nouvelle loi.

162 L’auteur rappelle que « le démantèlement du contrôle des changes pour les investissements directs ou

indirects en vertu de la directive n° 88/361 du 24 juin 1988 (JOCE, n° L 178 du 8 juillet 1988), les rapprochements structurels des entreprises pour lutter contre la concurrence internationale et de façon plus générale la mise en œuvre du marché unique ainsi que l’incitation subséquente à l’établissement secondaire des entreprises font que, dans la pratique, l’exercice à l’étranger des droits des actionnaires ne pose pas de difficultés suffisamment importantes pour empêcher » les opérations transfrontalières. Cf. M. MENJUCQ,

La mobilité des sociétés dans l’espace européen, op. cit., p. 187.

En ce qui concerne la garantie de l’exécution réciproque des jugements, elle est assurée par la Convention de Bruxelles du 27 mars 1968, modifiée le 26 mai 1989.

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Voir en infra, l’étude de la protection des droits des actionnaires minoritaires.

La protection des créanciers et des salariés des sociétés prenant part à l’opération, justifient également les obstacles dans la mise en place de ces opérations. Voir infra n° 336 s. et 364 s.

164 Une large manœuvre est laissée en la matière. Pour en connaitre les modalités voir infra. 165

La SE est dite à géométrie variable, en ce sens que les caractéristiques de cette forme sociale varie selon l’Etat dans lequel elle se situe, voir infra.

166 Après un transfert de siège social, la société est soumise à une nouvelle loi applicable. Tandis qu’après

une fusion transfrontalière c’est l’engagement des associés qui peut être soumis à une loi applicable. Voir infra n° 105 s.

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