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Reconnaissance des entités issues d’une fusion transfrontalière

Chapitre I : les problématiques caractérisitiques de la fusion transfrontalière et du transfert de siège social avec changement

Section 2 : Les problématiques distinctes de la fusion transfrontalière entre SA et du transfert de siège social d’une SA dans un autre Etat

B) Reconnaissance des entités issues d’une fusion transfrontalière

132. Les Etats membres se doivent d’accueillir en leur sein les sociétés constituées

dans un autre Etat membre, mais également les sociétés issues d’une fusion transfrontalière. La liberté d’établissement comporte entre autre la constitution et la gestion des sociétés dans les conditions définies par la législation de l’Etat d’établissement201.

mère de Londres, Barclays PLC ; Financière SEMA SA absorbée par SEMA Group PLC ; absorption par PSA Finance Holding de sa filiale portugaise PSA Credito, et absorption par Belmart SA de sa filiale espagnole Damart.

200CJCE, 28 janvier 1992, Bachmann, aff. C-204/90, Rec., p. I-249 ; M. LUBY, « Liberté d’établissement

des sociétés et fusion transfrontalière », D., 2006, p. 451 s.

201

133. A l'instar, d’une transformation transfrontalière de société202, les fusions transfrontalières répondent aux nécessités de coopération et de regroupement entre sociétés établies dans différents Etats membres203. La CJUE fait de cette opération des modalités particulières d’exercice de liberté d’établissement, dont les Etats sont tenus au respect, en vertu de l’article 43 du Traité CE204. Dès lors, un Etat membre ne peut refuser d’inscrire au registre du commerce, une société issue d’une fusion entre une société établie dans cet Etat et une société dont le siège se situe dans un autre Etat membre. Cela risque d’entraver la réalisation d’une fusion transfrontalière205. C’est ce qu’il ressort de l’arrêt Sevic, rendu par la CJUE le 13 décembre 2005206.

134. Pour ce cas précis l’Allemagne, pays d’accueil de la société issue de la fusion

transfrontalière, refusait de la faire enregistrer dans ses registres et de l’immatriculer. L’étude du raisonnement des juges permet de comprendre l’insertion des fusions transfrontalières dans le champ d’application du principe de liberté d’établissement. La CJUE a raisonné en deux temps. Après avoir vérifiée l’applicabilité des articles 43 et 48 du Traité CE (49 et 54 du Traité FUE) relatifs au principe de liberté d’établissement, elle a vérifié la recevabilité des justifications proposées à l’entrave de l’application de ce principe.

135. En l’occurrence, la loi allemande (le paragraphe 1, alinéa 1, de la loi

allemande relative aux transformations des sociétés du 28 octobre 1994) réserve le régime de fusion absorption par transmission universelle du patrimoine, aux sociétés ayant leur siège social en Allemagne207. Dès lors, une société allemande ne peut pas participer à une fusion transfrontalière, puisque le droit international privé allemand s’y oppose. La

202 En effet, la CJUE considère que l’opération relève de la liberté d’établissement, à l’instar du transfert de

siège social avec changement de loi applicable comme une transformation en une société d’un autre Etat membre. Ainsi, si un Etat membre s’y oppose, il commet une restriction, à moins qu’elle ne soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, cf. considérant n° 113 de l’arrêt Cartesio.

203 Considérant n° 19 de l’arrêt Sevic,

204 « Les opérations de fusions transfrontalières, à l'instar des autres opérations de transformation de

sociétés, répondent aux nécessités de coopération et de regroupement entre sociétés établies dans des Etats membres différents. Elles constituent des modalités particulières d'exercice de la liberté d'établissement, importantes pour le bon fonctionnement du marché intérieur, et relèvent donc des activités économiques pour lesquelles les Etats membres sont tenus au respect de la liberté d'établissement prévue à l'article 43 CE », considérant n° 26 de l’arrêt Sevic.

205

G. BARANGER, note sous CJCE, 13 décembre 2005, Sevic Systems AG, Affaire C-411/03, Bull Joly

soc., 2006, n° 6, p. 771.

206 cf. CJCE, 13 décembre 2005, Sevic Systems AG, Affaire C-411/03. 207

« En 1994, légiférant sur les opérations extraordinaires de transformation, catégorie qui comprend les fusions, le législateur allemand a précisé que le domaine d’application de la loi est limité aux sociétés ayant leur siège en Allemagne », cf. T. BALLARINO, note sous CJCE, 13 décembre 2005, Sevic Systems AG Affaire, C-411/03, RTDE, 2006, p. 717 s.; R. DAMMANN, note sous CJCE 13 décembre 2005, Sevic

société doit être rattachée à l’Etat allemand. En outre, le gouvernement allemand avance un autre argument : seule une harmonisation des règlementations nationales relatives aux fusions transfrontalières peuvent éluder les conséquences liées au système de conflit de lois.

136. La CJUE ne s’attarde pas au système de conflit Outre Rhin, elle ne s’attache

qu’aux résultats parce que la localisation des sociétés importent peu208. La CJUE se prononce en faveur de la liberté d’établissement au détriment de cette loi impérative allemande209. Puis, la directive n’est pas pour la CJUE une condition préalable à la liberté d’établissement210 (considérant n° 26). Elle s’attache à répéter que l’harmonisation des règles de l’Union européenne ne servent pas à établir un certains nombre de droits garantis dans le traité, mais à en faciliter l’exercice211.

137. Autre point important, il est rappelé qu’il appartient à la seule CJUE de

définir le contour du principe de liberté d’établissement212. Elle est référente dans l’interprétation de l’article 43 du Traité CE, dans l’étendue de son champ d’application, et dans sa définition de la notion d’établissement. Aussi, aux termes de l’article 43 du Traité CE, « la liberté d’établissement comporte […] la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés […] dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants ». En outre, la CJUE, se ralliant à l'avis de l’avocat général Tizzano, annonce que le champ d’application du droit d’établissement couvre toute mesure qui permet, ou même ne fait que faciliter, l’accès à un Etat membre autre que celui d’établissement. De surcroît, le champ d’application couvre, l’exercice d’une activité économique dans cet Etat, en rendant possible la participation effective des entreprises intéressées à la vie économique dudit Etat membre, aux mêmes conditions que celles applicables aux opérateurs nationaux213. En effet, une fusion transfrontalière est une

208 BALLARINO T., « Les règles de conflit sur les sociétés commerciales à l’épreuve du droit

communautaire d’établissement » Rev. Crit. DIP, 2003, p. 373

209 Cette préférence avait déjà été marquée dans des arrêts rendus tel que l’arrêt Inspire Art. 210 Considérant n° 26 de la directive la directive 2005/56/CE du 26 octobre 2005.

211 M. LUBY, « Liberté d’établissement des sociétés et fusion transfrontalière », op. cit., p. 451 s. ; CJCE,

27 septembre 1988, Daily Mail, Affaire, 81/87, Rec., p. 5483.

212

T. BALLARINO, note sous CJCE, 13 décembre 2005, Sevic Systems AG, Affaire, C-411/03, op. cit., p. 717 s.

213 Considérant n° 18 de l’arrêt Sevic et point 30 des conclusions de l’avocat général Tizzano.

Cf. M. LUBY, « Liberté d’établissement des sociétés et fusion transfrontalière », op. cit., p. 451. Comme le fait remarquer l’auteur, dès 1995 la CJUE indiquait que la liberté d'établissement ait l'accès à une activité économique et non à une forme juridique : « participer, de façon stable et continue, à la vie économique d'un autre Etat membre », en référence à CJCE, 30 novembre 1995, Gebhard, Affaire, C-55/94, Rec., p. I- 4165.

modalité particulière d’exercice de la liberté d’établissement, participant au bon fonctionnement du marché intérieur214.

138. Dans l’arrêt Sevic, le gouvernement allemand a essayé de jouer sur la notion

d’établissement. Il a fait valoir que l’extinction de la personnalité morale de la société absorbée (en l’occurrence la société luxembourgeoise) faisait que l’opération de fusion ne donne pas lieu à un établissement au sens du Traité CE215.

139. Toutefois, cet argument ne tient pas. En effet, leur raisonnement repose sur

une des conséquences de la fusion. Or, durant toutes les phases qui précédent la fusion et ce jusqu’à l’enregistrement de cette opération, les sociétés qui y participent, continuent à exister. Refuser d’inscrire cette opération dans son registre revient à exclure l’opération de fusion transfrontalière216. Le régime allemand de fusion prive donc bien « des sujets de droit en pleine possession de leur capacité juridique », la possibilité de bénéficier de la liberté d’établissement dont les fusions transfrontalières font parties217.

140. Par ailleurs, il justifie l’existence de ses règles spécifiques pour la protection

de différents intérêts. Ces restrictions ne seraient que la conséquence de l’application de ces lois de police. Cependant, l’entrave à la liberté d’établissement naît de la différence de traitement entre les fusions internes et les fusions transfrontalières218. En entravant la réalisation de cette opération, parce qu’une des sociétés qui y participent à son siège qui se situe dans un autre Etat membre, on crée une différence de traitement entre sociétés

214

Elles « constituent des modalités particulières d'exercice de la liberté d'établissement, importantes pour le bon fonctionnement du marché intérieur, et relèvent donc des activités économiques pour lesquelles les États membres sont tenus au respect de la liberté d'établissement prévue à l'article 43 CE », considérant 19 de l’arrêt Sevic.

215

L’argument du gouvernement allemand repose sur la critique formulée par Kindler. Il s’attachait également à l’extinction de la société absorbée qui de par sa disparition ne pouvait pas participer à la vie économique d’un pays et ne pouvait donc pas bénéficier de la liberté d’établissement.

Pour un résumé des arguments de Kindler, voir T. BALLARINO, note sous CJCE, 13 décembre 2005, Sevic

Systems AG Affaire, C-411/03, op. cit., p. 717.

216 C’est ce qu’il ressort des points 25, 26 et 27 des conclusions de l’avocat général Tizzano.

217 Point 27 des conclusions de l’avocat général Tizzano. Cet argument est qualifié par l’avocat général de

logique à contre sens (point 25 de l’arrêt Sevic)

218

La CJUE n’emploie pas le principe de non discrimination, elle parle de différence de traitement. L’article 12 du Traité CE (qui interdit toute discrimination exercée en raison de la nationalité, dans le domaine d’application du présent traité) n’est donc pas employé. En effet, la jurisprudence en la matière trouve son noyau essentiel dans le droit des ressortissants européens. Et, l’article 293 du traité CE, invite les Etats membres à conclure entre eux des négociations en vue d’assurer, entre autre, la possibilité de fusion de sociétés relevant de législations nationales différentes. Ces conventions internationales spécifiques écartent d’emblées la notion de discrimination telle qu’elle apparait dans l’article 12 du Traité CE.

Voir T. BALLARINO, note sous CJCE, 13 décembre 2005, Sevic Systems AG Affaire, C-411/03, op. cit., p. 717 s. ; M. LUBY, « Liberté d’établissement des sociétés et fusion transfrontalière », op. cit., p. 451 s.

selon la nature interne ou transfrontalière de la fusion219. Une telle différence est contraire au droit d’établissement.

141. Elle ne peut être admise que si elle poursuit un objectif légitime, compatible

avec le Traité et justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général ; telles que la protection des intérêts des créanciers, des associés minoritaires, des salariés ou encore l’efficacité des contrôles fiscaux et de la loyauté transactionnelle220. En l’espèce, le « test de proportionnalité » n’est pas satisfait221. Ces règles prohibitives, mises en cause sont disproportionnées222. La CJUE s’oppose à une telle interdiction absolue et automatique, appliquée de manière générale et préventive à toute fusion transfrontalière, sans vérification préalable des préjudices éventuels ou des risques qui y sont liés223.

142. Par conséquent, ce refus d’inscription fondé sur l’inexistence en Allemagne

de règles générales applicables aux fusions transfrontalières, constitue une différence de traitement224. Les Etats membres ne doivent pas entraver le bon exercice de la liberté d’établissement, dont les fusions transfrontalières en sont une modalité puisqu’elles répondent aux nécessités de coopération et de regroupement225.

219 Considérant n° 22 de l’arrêt Sevic. En l’espèce, la demande d’inscription d’une fusion absorption d’une

société luxembourgeoise (Security Vison Concept SA) par une société allemande (Sevic Systems AG), au registre allemand de commerce, avait été rejetée au motif que la loi allemande ne régissait que les fusions internes. Cf. M. MENJUCQ, « Les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux », Rev. Lamy droit des

aff., n° 5, mai 2006, p. 10 s. ; M. LUBY, « Liberté d’établissement des sociétés et fusion transfrontalière »,

op. cit., p. 451 s. ; J. HEYMANN, note sous CJCE 13 décembre 2005, Sevic Systems AG, Affaire C-411/03, Rev. Crit. DIP, 2006, p. 662 s.

Le juge de renvoi (allemand) demande à la Cour de préciser si des règles nationales qui prohibent l'inscription au registre allemand des sociétés de fusions (fusions-absorptions) entre des sociétés allemandes et des sociétés d'autres Etats membres (en particulier le Luxembourg) sont contraires (ou non) au principe de la liberté d'établissement (art. 43 et 48 CE). Cette inscription est en effet possible, sous certaines conditions, lorsque les sociétés participant à la fusion ont toutes deux leur siège sur le territoire allemand. Plus précisément, le droit allemand prévoit que seuls les sujets de droit ayant leur siège sur le territoire national peuvent être l'objet d'une transformation par fusion.

220

La CJUE abonde dans le même sens que l’avocat général Tizzano, points 55 à 57 de ses conclusions. Considérant n° 23 et 24 de l’arrêt Sevic.

221 L. IDOT, note sous CJCE, 13 décembre 2005, Sevic Systems AG, Affaire C-411/03, Europe n° 2, fév.

2006, comm. 47. Il est de jurisprudence constante, que la charge imposée ne doit pas dépasser la mesure requise pour satisfaire l’intérêt en jeu (CJCE, 5 juillet 1977, Bela Mülhe, Affaire 114/76, Rec., p. 1233, a

contrario), M. LUBY, « Liberté d’établissement des sociétés et fusion transfrontalière », op. cit., p. 451.

222 Selon les points 28, 29 et 30 de l’arrêt Sevic, la législation allemande va au de là de ce qui est nécessaire

pour atteindre les objectifs visant à protéger des raisons impérieuses d'intérêt général telles que la protection des intérêts des créanciers, des associés minoritaires et des salariés (cf. CJCE du 5 novembre 2002,

Überseering, Affaire C-208/00, Rec. p. I-9919, point 92), ainsi que la préservation de l'efficacité des

contrôles fiscaux et de la loyauté des transactions commerciales (cf. CJCE du 30 septembre 2003, Inspire

Art, Affaire C-167/01, Rec. p. I-10155, point 132) (points 28 de l’arrêt).

223

M. LUBY, « Liberté d’établissement des sociétés et fusion transfrontalière », op. cit., pour avoir un aperçu du traitement de ces mesures par la jurisprudence .

224 Considérant n° 22 de l’arrêt Sevic.

225 La CJUE ne suit pas les arguments de l’avocat général Tizzano qui s’est référé à la notion

143. Désormais, d’une part, la directive 2005/56/CE du 26 octobre 2005, relatives

aux fusions transfrontalières, facilite leurs mises en œuvre et d’autre part, elle a pour effet d’écarter tout régime prohibitif. Les autorités publiques conservent certaines initiatives quant aux conditions liées aux fusions transfrontalières. Selon les termes de l’article 4 de la directive 2005/56226, les autorités nationales peuvent, notamment, s’opposer à la fusion transfrontalière, pour des raisons d’intérêt public, lorsque la législation de leur Etat membre le permet pour une fusion nationale227.

144. Une fusion transfrontalière comme un transfert de siège social transfrontalier

est un moyen d’exercice de la liberté d’établissement, cette dernière n’est pas conditionnée au vote de directives d’harmonisation. La CJUE ne se substitue ni aux législations nationales, ni aux directives européennes. Contrairement à une fusion transfrontalière pour qui les obstacles ont été levés, un transfert de siège social y parvient de manière plus nuancé (selon que l’Etat réceptionne ou pas le résultat de cette opération).

§ 2 : Les spécificités liées au transfert de siège social

145. Parmi les entraves empêchant tout transfert de siège social d’une société d’un

Etat membre à un autre, il existe le problème lié à la survie de la personnalité morale de cette société. Cependant, la problématique liée à la survie de sa personnalité morale, suite à son transfert dans un autre Etat (A), varie selon la thèse de la fiction ou de la réalité. Quelque soit le système juridique considéré, une société acquiert sa personnalité juridique par l’accomplissement de formalités et avec le concours d’une autorité publique permettant sa constitution et sa publicité à l’égard des tiers228. Dès lors, le changement de loi applicable peut mettre en cause la survie de la personnalité morale de la société souhaitant transférer son siège social (B) et constituer une entrave à l’opération.

comme une hypothèse d’établissement secondaire. Puisque la société absorbante (Sevic) aurait disposé d’un centre d’activité au Luxembourg (lieu de rattachement de la société absorbée), en y maintenant, notamment, des moyens de production. C’est ce qu’il ressort entre autres des points 35, 36, 37 des conclusions de l’avocat général Tizzano.

226

Selon l’article 4, 1), b) de la directive 2005/56 « Lorsque la législation d'un État membre permet à ses autorités nationales de s'opposer, pour des raisons d'intérêt public, à une fusion au niveau national, cette législation s'applique également à une fusion transfrontalière lorsqu'au moins une des sociétés qui fusionnent relève de la législation de cet État membre ».

227 Voir points 49 et 50 des conclusions de l’avocat général Tizzano.

228 Cf. J. BEGUIN, « Les sociétés commerciales sont-elles condamnées à l’immobilité internationale ? »,

op. cit., p. 43 s. ; J. BEGUIN et M. MENJUCQ, (sous la direction de), Traité de droit du commerce international, Litec, 2005, p. 291.

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