Chapitre 4. La formation en français
2. FRAN 1903, un cours de sociolinguistique obligatoire
2.2. Quelle application sur le terrain ?
2.2.2. Un accueil partagé de la part des étudiants
Dans les archives du vice-rectorat à l’enseignement et à la recherche, j’ai pu retrouver une
petite enquête, menée par un professeur de Moncton auprès de ses étudiants sur le cours 1903.
Celle-ci est mentionnée dans le rapport d’évaluation de 2005, qui en fait une synthèse très
rapide. Cette enquête est assez éclectique, elle a été menée sur deux ans (2002 et 2003) sur six
groupes d’étudiants, quatre suivaient dans le même temps le cours 1903 et deux l’avaient déjà
complété. Le problème qui se pose est que ce ne sont pas les mêmes questions qui ont été posées
à chaque groupe. J’ai donc récupéré les 40 pages d’enquête, et reconstitué quel questionnaire
avait été attribué à quel groupe, pour me rendre compte que 155 étudiants y avaient répondu –
la très grande majorité ayant répondu en décembre 2003 durant un cours 1903. Aussi, si la
méthodologie n’est pas des plus rigoureuses, on a là un vivier d’avis porté par des étudiants de
tous horizons sur le cours La langue et les normes. Je propose donc une synthèse qui résume
mon regard sur l’ensemble des quarante pages de données. Toutefois je n’en ferai aucune étude
approfondie, les données restent trop incertaines (sur le mode d’attribution des questionnaires
112
notamment, sur l’identité des répondants, etc.) ; ces quelques pages ne sont là que pour éclairer
les avis circulant sur ce cours.
Globalement, on trouve deux attitudes qui ne sont pas mutuellement exclusives l’une de
l’autre : en premier lieu, une tendance critique lourde à l’égard de ce cours, qui semble troubler
ces étudiants. Ceux-là ont d’abord l’impression d’apprendre des choses qui ne leur seront pas
utiles ; ensuite, l’aspect fourre-tout du cours leur déplait : histoire, variation, classement de
langue, cours de grammaire fondamentale… Dans un second temps, d’autres, trouvent malgré
tout le contenu intéressant et ont l’impression d’apprendre des choses. Et certains, plus rares,
déclarent que ce cours leur a permis de comprendre que leur variété vernaculaire n’était pas
mauvaise en soi. Ces deux groupes ne sont pas étanches. Et pour cause, beaucoup d’étudiants
fonctionnent à la concession de type « le cours est inutile mais intéressant quand même » (ou
l’inverse). Par exemple, à la question « Que pensez-vous, globalement, des objectifs et du
contenu du cours FRAN 1903 ? », voici deux réponses qui résument assez bien l’ensemble
121:
Déc. 2003, étudiant ou étudiante du cours FRAN 1903
Etu n°7 : Les objectifs sont O.K. mais j'aurais pu me passer du cours 1903 et prendre des cours
de grammaires au lieu. »
Etu n°9 : Inutile ! (À mon avis). Intéressant, mais… pas ce que j'expectais d'un cours de
français.
Il est probable que ces pratiques de la concession permettent simplement de faire passer plus
facilement une critique. Car quand vient le moment de suggérer des changements
122, si certains
(rares) demandent le statu quo, d’autres – la très grande majorité – demandent à ce qu’on « fasse
plus de grammaire, de syntaxe », ce qui est contraire à l’esprit du cours 1903 et qui revient ni
plus ni moins à en supprimer l’essence-même.
Déc. 2003, étudiant ou étudiante du cours FRAN 1903
Etu n°9 : Enlever ce cours et donner un cours de grammaire/syntaxe au lieu. (plus important
dans le futur que celui-ci)
Etu n°15 : Ma suggestion serait de rejeter ce cours, car il n'a aucune importance par rapport
au français en général.
Dans la même question, beaucoup d’étudiants suggèrent que ce cours reste optionnel, ou
obligatoire seulement pour certaines filières. Beaucoup semblent avoir du mal à comprendre
121 Les exemples fournis dans cette section sont recopiés à la virgule près du document de l’enquête retrouvé dans les archives. J’attribue moi-même les numéros aux étudiants pour les différencier.
113
qu’on leur enseigne quelque chose qui ne soit pas directement profitable (par une bonne note
ou par des concepts applicables immédiatement dans leur domaine).
Déc. 2003, étudiant ou étudiante du cours FRAN 1903
Etu n°14 : Je ne pense pas que ce cours devrait être obligatoire pour tout les étudiants;
seulement pour les étudiants en français.
Etu n°28 : Je pense que le cours FRAN 1903 ne devrait pas concentrer son temps sur l'histoire
du français… Je pense qu'il devrait y avoir plus de cours portant sur la grammaire, la syntaxe…
affin d'aider à nos classements.
Beaucoup se plaignent des notations et de leurs résultats, et incriminent le contenu des cours.
Et à la fin de la lecture des 155 questionnaires, l’impression se dégage que la majorité de ces
étudiants attend d’être nourrie avec un contenu immédiatement utile. Les exemples de
commentaires ne manquent pas où l’auteur semble perdu dès lors qu’un contenu de cours sort
des sentiers battus. Certains même semblent penser que toutes leurs compétences linguistiques
doivent leur venir des cours, et s’ils échouent à la fin, c’est qu’il y a une injustice quelque part.
Je prends un dernier extrait car il est très complet
123, et qu’à travers lui, c’est tout une vision de
l’université en général qui se dévoile.
2003, étudiant ou étudiante du cours FRAN 1913
Etu n°137 : Dans le cadre d'une vie universitaire, un étudiant aura à suivre des classes qui lui
donnera le baggage nécessaire pour pourvoir poursuivre une vie professionnelle. Peu importe
le domaine d'étude choisi, le français est la classe qui se retrouve dans l'horaire de tous les
étudiants et étudiantes. Est-ce que la classification pour savoir quelle classe de français donner
à chaque étudiant ce fait vraiment dans le but d'améliorer ses difficultés linguistiques ? #
124En
tout premier lieu, je ne crois pas mentir si je dit que les erreurs de langue et les fautes
d'orthographes sont les grosses bètes noires de la quasi majoritée des étudiants. Alors
pourquois ne pas accentuer l'apprentissage du français dans la classe fran 1903? Pour ma part,
l'écriture d'un test de quelque cent mots ne me cause pas beaucoup de problème, mais la
principale raison pourquois j'ai énormément de difficulté avec mes classes de français, c'est que
j'ai des problèmes avec la conjugaison, l'agencement et l'accord des mots. # En second lieux, si
la fondation d'une maison n'est pas bien construite, bien encré dans le sol et bien solide, la
maison n'a aucune chance de survit, aussitôt qu'une surcharge va se rajouter, la maison va
s'écrouler. Le même problème se retrouve dans les salles de classe de l'Université de Moncton.
Du moin pour ma part, l'éducation de base de mon français écrit à été négligé. Mon
encadrement du cour de Fran 1923 a été négligé, et j'ai l'impression que se même problème ne
se retrouve pas seulement dans mon cas puisque la moyenne du français écrit du
Nouveau-Brunswick est réduculement basse comparé au reste des moyennes des provinces du Canada. #
123 La question posée est simplement un « commentaire libre » aux étudiants du cours de Rédaction universitaire.
124 Le dièse signale un retour à la ligne. Chaque réponse de chaque étudiant a été entrée dans un fichier Excel dont les cellules n’acceptent pas les retours à la ligne.
114
Bref, je crois que si plus d'emphase serait mit sur des cours de français de base, l'apprentissage
des structures de phrases et de texte serai grandement amélioré.
Cette personne, comme la grande majorité des autres répondants, réclame un retour à un
enseignement plus traditionnel, en tout cas normatif, à base de grammaire, de syntaxe et
d’orthographe – chose qu’on lit parfois même quand la personne en question dit avoir apprécié
le contenu de FRAN 1903. On se demande si c’est plus sécurisant pour les étudiants ou plus
facile peut-être. Ou encore, est-ce que cela correspondrait plus à l’image qu’ils se font d’un
« bon cours de français » ? De manière générale, on ressent comme une gêne chez les étudiants
dès lors que l’Université délivre un message nouveau.
Les étudiants semblent placer beaucoup d’attentes dans l’Université, en même temps qu’ils
lui accordent une très grande autorité (l’un va peut-être avec l’autre). On comprend dans les
mots de l’étudiant ou l’étudiante 137, et aux tournures passives utilisées (« mon encadrement a
été négligé », répété plusieurs fois), que la responsabilité repose sur l’Université. Ce
commentaire, comme ceux de beaucoup d’autres, conçoivent l’enseignement de façon très
verticale, où les étudiants n’ont qu’à être « le réceptacle » d’un savoir tout prêt à être absorbé,
dupliqué, appliqué. Dans cette approche, on comprend qu’ils jugent sévèrement toute tentative
d’un enseignement et d’une pédagogie différente.
Dans le document
Discours, idéologies linguistiques et enseignement du français à l'Université de Moncton
(Page 121-124)