Chapitre 4. La formation en français
4. La structure actuelle de la formation en français
4.1. La structure globale
Depuis les rapports de 2005, comme avant, la formation en français est obligatoire à
l’Université de Moncton pour tous les étudiants. Celle-ci prend la forme d’une série de cours
qu’il faut avoir suivis à un moment donné du baccalauréat. En 2013 et 2014, dates des enquêtes,
et jusqu’à 2016 du moins, la structure du parcours de français se déclinait en différentes étapes.
Avant l’entrée à l’Université (généralement au mois d’août), chaque étudiant passe un test
de classement en français. Ses résultats à ce test vont déterminer le parcours qu’il aura à suivre
durant son baccalauréat. Selon les dernières normes en vigueur en 2016
131, s’il échoue au test,
il doit suivre des cours de renforcement : avec moins de 57% de bonnes réponses, le
renforcement dure un an (dans un cours siglé FRAN 1006) ; entre 57 et 73%, le renforcement
dure un semestre (cours siglé FRAN 1003) ; au-delà de 73%, l’étudiant est autorisé à passer
directement au bloc obligatoire de cours de français.
Ce « bloc obligatoire » se divise en deux : un cours intitulé « communication orale » (FRAN
1500), et un cours intitulé « communication écrite » (FRAN 1600). Depuis 2015, l’étudiant peut
être exempté de ce dernier avec des résultats excellents au test (au-delà de 93%) et une rédaction
de niveau universitaire. Ces deux cours obligatoires (pour tous les étudiants, je le rappelle)
doivent techniquement être complétés avant la 3
eannée du baccalauréat sous peine de ne pas
pouvoir poursuivre sa formation ; ils sont des préalables pour éventuellement poursuivre sa
formation en français avec d’autres cours (qui peuvent s’avérer obligatoire pour certaines
filières, comme par exemple l’Education, mais restent globalement des options). Dans les faits
cette règle n’est pas respectée, il n’est guère possible de retenir les étudiants tant qu’ils n’ont
pas fini leurs cours de français. Car parfois ils doivent les reprendre une ou deux fois, ce qui
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représente autant de semestres qui s’écoulent et durant lesquels le reste de leur formation
n’attend pas.
Je vais revenir en 4.2 dans le détail sur les cours 1500 et 1600 qui ont constitué mon principal
terrain de recherche. Je vais d’abord toucher un mot du test du classement et des cours 1003 et
1006. Et pour simplifier, voici ci-dessous un résumé schématique de la formation en français et
du parcours que chaque étudiant est amené à suivre :
Figure 6 - Structure de la formation linguistique en français à l'U. de Moncton (2015)
4.1.1. Le test de classement
A quelques exceptions marginales près, le test de classement en français est un préalable
pour chaque étudiant souhaitant s’inscrire dans un parcours baccalauréat de l’Université de
Moncton. A l’issue du test, un code est délivré à l’étudiant, code qui dépend de son résultat au
test et correspond au parcours qu’il aura à suivre (cf. explication des seuils ci-dessus).
La page d’information en ligne sur le test indique ceci quant à son contenu :
Test informatisé sur Clic comprenant 51 questions de grammaire et de syntaxe : choix multiples,
vrai ou faux, questions à trous. Aucun outil de référence n’est permis.
132J’ai moi-même passé ce test, à l’automne 2014 durant mon complément d’enquête. Je
souhaitais savoir ce qu’il contenait, lui dont j’avais si souvent entendu parler et qui déterminait
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à ce point le parcours universitaire des étudiants. La demande étant incongrue et hors des
sessions normales, je n’ai pas pu le faire de façon informatisée, je l’ai passé en version papier
et l’ai fait corriger par la directrice du Secteur langue
133. On ne m’a pas permis d’en conserver
une copie, j’ai respecté ce souhait sans copier ou photocopier les feuilles. Je peux donner
quelques informations supplémentaires, sans présumer de sa forme actuelle. A cette époque, il
comportait 74 questions, essentiellement sous forme de questionnaire à choix multiple. Il
s’agissait parfois de remplir des trous avec les formes linguistiques correctes, parfois de
retrouver des erreurs, parfois de cocher les formes correctes ou incorrectes dans une liste. Le
tout portait alternativement sur de la conjugaison, de l’orthographe, de la syntaxe, du lexique.
Je me souviens avoir été particulièrement perturbé par la tournure piégeuse des questions, qui
au bout de plusieurs dizaines en viennent à nous faire douter de tout – et d’abord de ce dont on
n’aurait pas douté hors situation de test. Je m’en étais ouvert à la direction du Secteur langue
en remettant « ma copie ». Je ne sais rien de ce qu’il est advenu de tout ceci par la suite.
Toujours est-il que ce test dans sa forme ne va pas sans susciter de débats. Le principe du
QCM sur logiciel apporte un certain nombre d’avantages : les corrections sont automatisées,
les résultats immédiats, chaque étudiant doit répondre aux mêmes questions ce qui permet de
les classer tous en fonction des mêmes critères. Le problème étant qu’aux yeux des professeurs
de français, ce test a les inconvénients de ses avantages : aucun suivi personnalisé, un test
déshumanisé qui ne tient aucun compte des répondants ni de leur état au moment du test, qui
ne permet pas de cibler efficacement les zones problématiques pour les étudiants, etc. J’ai
présenté au point 2.3 de ce chapitre les avis de professeures concernant le cours La langue et
les normes et on a vu qu’un des rares points positifs qu’elles relevaient systématiquement était
le système d’évaluation des étudiants, qui permettait un ciblage précis des besoins. En creux, il
s’agissait bien souvent de critiquer le test actuel. Les critiques vont généralement dans deux
sens pas toujours concordants : on le trouve injuste et pas assez proche de la réalité du
répondant, ou alors on le trouve trop facile. Certains professeurs trouvent leurs étudiants mal
classés, trop faibles pour un cours trop exigeant, trop forts pour un cours de renforcement. Et
parfois, l’aspect « test statistique » amène une série d’incertitudes, comme Sylvie l’explique :
(Ext11, entretien, 23-10-14, 24
e) Sylvie : ben soyons logique + un test objectif ils ont/
statistiquement ils ont cinquante pourcent des chances d’avoir les bonnes réponses (...) quelques
fois ils ont ils ont peut-être une réponse à écrire là accorder un participe ou/ mais quand même
ils ont quand même cinquante pourcent des chances de l’avoir là
133 Résultat 96,6%.
129
Trop simple ou trop difficile, dans un cas comme dans l’autre je n’ai entendu aucun
témoignage défendant ce principe de test durant mon enquête. Je rappelle toutefois encore que
depuis l’enquête ce test a changé, passant de 74 à 51 questions ; je ne sais rien de son contenu
en 2016 qui peut-être tient un peu plus compte des reproches qui lui sont adressés de longue
date par les professeurs.
4.1.2. Les cours FRAN 1003 et 1006, une mise à niveau ?
Je reviens maintenant sur les cours 1003 et 1006, car j’y ferai régulièrement référence dans
les prochains chapitres. Le 1003 est intitulé « éléments de grammaire moderne », sur le
répertoire en ligne de l’Université, il est décrit ainsi :
Maitrise des principales notions grammaticales et syntaxiques de la grammaire moderne :
phrase de base, transformations et systèmes d'accord. Approfondissement de la réflexion sur la
langue (métalangue). Acquisition d'automatismes d'autocorrection. Utilisation du dictionnaire
et décodage de l'information. Écriture et lecture.
134Le 1006, lui, est intitulé « grammaire moderne » et est résumé ainsi dans le répertoire :
Apprentissage et maitrise des principales notions grammaticales et syntaxiques de la
grammaire moderne : phrase de base, transformations et systèmes d'accord. Développement et
approfondissement d'une réflexion sur la langue (métalangue). Acquisition d'automatismes
d'autocorrection. Utilisation du dictionnaire et décodage de l'information. Écriture et lecture.
135Les deux sont donc globalement identiques, ce qui fait leur différence c’est la durée et le
public qu’ils accueillent. Ces deux cours s’avèrent obligatoires lorsque les résultats au test ont
été jugés insuffisants. Pour rappel, moins de 73% entraine un suivi obligatoire du 1003, sur un
semestre ; moins de 57%, celui du 1006, sur un an. J’ai cherché longtemps à savoir combien
d’étudiants échouaient au test et se retrouvaient classés dans ces cours. Les chiffres qui
circulaient chez les professeurs situaient la proportion autour de la moitié, voire des deux tiers.
Et puis la direction du Secteur a répondu que la proportion se situait entre 45 et 55%. La moitié
de cet effectif étant concerné par le 1006, l’autre moitié par le 1003.
Proposé à des étudiants jugés « faibles » (terme employé sur le site et dans les rapports
d’évaluation, cf. point 3.4), l’appellation de ces cours suscite des débats. Lorsque je demande à
Diane si ces cours sont présentés comme une « remédiation », elle répond :
134 http://www.umoncton.ca/repertoire/1er_cycle/fran1003.htm
130
(Ext12, entretien, 16-10-14, 81
e) Diane : ben moi je le présente beaucoup comme l’occasion de
enf/
ENQ : de pratiquer
Diane : de pratiquer de comprendre puis de réfléchir au système de la langue ok peut-être d’une
d’une autre façon que celle que vous aviez déjà abordée ou tu sais comme faite au secondaire
fait que je je/ pas remédiation parce qu’on veut pas nécessairement/ parce que quand on dit ça
ils vont penser que tout ce qui ont fait ça valait rien
Le terme « remédiation » est donc écarté parce que trop connoté. Dans les faits, ces cours
sont bien souvent appelés de « mise à niveau » (cf. encore le point 3.4). Mais encore-là,
l’appellation est critiquée, car il s’agit d’éviter une impression de dévalorisation des personnes
et de leurs savoirs déjà acquis (de la même manière, jusqu’à une certaine époque on évitait la
hiérarchie dans les numéros attribués aux cours). Mais de l’avis du corps professoral, ce système
ainsi hiérarchisé fait que les cours 1003 et 1006 sont perçus par les étudiants comme une
punition. J’en exposerai plusieurs exemples dans le chapitre 6, mais voyons simplement cet
extrait d’entretien avec Nadine :
(Ext13, entretien, 22-10-14, 13
e) Nadine : la lecture qu’ils en font c’est que le test est trop
difficile puis que bon E ça fait que ça passe moins bien j’ai l’impression là
ENQ : d’accord oui ils ont l’impression que c’est une forme de punition quand ils sont classés
en 1006 ou 1003 ou/
Nadine : oui puis ça on on/ j’ai eu cet écho là justement je suis allée y avait une rencontre c’est
une rencontre aux deux ans là avec les conseillers en orientation des écoles c’est une grosse
rencontre là avec tout E
ENQ : des écoles secondaires donc c’est-à-dire E
Nadine : oui les écoles secondaire et et le milieu universitaire là y a même le recteur est venu
tous les vices recteurs sont là E tous les doyens des facultés E en tout cas c’est c’est E/ puis
toutes les personnes qui travaillent avec les étudiants là au niveau de/ le programme d’appui à
la réussite tout ce monde-là et un écho qui est ressorti justement d’une conseillère c’est elle a/
elle l’a même dit carrément là c’est ça elle disait qu’à Ottawa y avait un un autre système puis
que on punissait pas les les jeunes + en sous-entendant qu’à Moncton on on les punissait parce
qu’on leur imposait des cours de/ supplémentaire de français
Le classement dans les 1003 ou 1006 a donc souvent valeur de sanction pour les étudiants,
de nombreux témoignages de professeurs concordent sur ce point. D’autant que les étudiants
voient bien souvent une différence considérable entre leurs notes au secondaire et leur résultat
au test. Le tout impose au corps professoral de ménager les sensibilités de chacun, et j’y
reviendrai au chapitre 6. Quoi qu’il en soit, l’Université de Moncton se trouve devant un
dilemme : ces cours sont vus comme essentiels pour un public étudiant largement perçu comme
étant « en déficit » (et j’y reviendrai également au chapitre 6), mais dans le même temps,
131
professeurs et administration craignent qu’ils ne soient mal perçus, mal compris, voire même
qu’ils fassent fuir les étudiants vers d’autres universités.
Cette présentation des cours préalables étant posée, je reviens aux deux cours principaux,
ceux qui furent suivis durant l’enquête.
Dans le document
Discours, idéologies linguistiques et enseignement du français à l'Université de Moncton
(Page 136-141)