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Chapitre 1. Etudier les idéologies linguistiques

3. L’éducation en français en Acadie

3.3. L’Université de Moncton

Dans cette section, je m’appuierai largement sur le site internet de l’Université de Moncton

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,

qui fournit des données et des informations historiques importantes.

70 Ils s’appuient pour ça sur la définition de Giles, Bourhis et Taylor (1977) : la vitalité ethnolinguistique étant les « facteurs structuraux qui permettent à une communauté linguistique de demeurer une entité active et distincte » (cité par Landry et Allard, p. 410).

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A l’élection de Louis J. Robichaud, une commission d’enquête sur l’enseignement supérieur

au Nouveau-Brunswick est mise sur pied (la commission Deutsch). Un plus tard, elle remet son

rapport, la première recommandation propose :

Que l’assemblée législative accorde une charte en vue de l’établissement de l’Université de

Moncton, comme seule institution d’enseignement supérieur de langue française au

Nouveau-Brunswick autorisée à conférer des grades, à laquelle les universités actuelles de Saint-Joseph,

du Sacré-Cœur et de Saint-Louis seront, pour les fins de leur enseignement, affiliées sous la

forme et la désignation de collèges (1962, p. 99).

C’est chose faite l’année suivante ; le 19 juin 1963, « Son Honneur le

Lieutenant-gouverneur, J. Leonard O’Brien, accordait l’assentiment royal à la loi d’incorporation donnant

l’existence légale à l’Université de Moncton » (Cormier C. , 1975, p. 45)

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. Pour Cormier qui,

je le rappelle, prit la tête de l’Université en devenant son recteur, cette date est « l’une des plus

importantes dates dans l’histoire de la Renaissance acadienne ». Il ajoute que

c'était comme si [le gouvernement] disait aux Acadiens: réorganisez vos effectifs de façon

rationnelle; acceptez un judicieux régime de collaboration et la province vous dotera d'une

université. Jamais auparavant avons-nous pu jouir d'une pareille aubaine. Une attitude d'équité

compatible avec les principes des droits de l'homme l'emportait enfin sur la pratique décadente

de l'oubli des minorités (idem, p. 43).

Il se félicite que le rapport Deutsch, comme le gouvernement, établissent « une fois pour

toutes le principe que la proportion des francophones dans la province était suffisamment élevée

pour justifier une véritable université de langue française » (idem). Au passage, on note là

l’importance des recensements dont j’ai parlé plus haut. On comprend donc dans les mots de

son fondateur, que l’Université de Moncton est amenée à jouer un rôle tout particulier pour la

population francophone des Maritimes.

Dès les premières années, L’Université de Moncton participe de l’émancipation politique

des Acadiens en les faisant entrer de plain-pied dans la modernité. Les nouveaux enseignements

qui y sont délivrés, en sciences humaines notamment, couplés à la volonté d’ouverture et

d’accueil d’un nombre grandissant d’étudiants, créent une génération de plus en plus

conscientisée aux processus idéologiques de domination. L’Université devient un espace de

revendications. En 1968, elle est le théâtre d’importantes grèves pour geler les frais de

scolarité ; la situation financière encore précaire de la nouvelle université était perçue comme

un reflet des inégalités qui touchent les Acadiens. Les mouvements réclament aussi de la ville

72 La pagination de la référence est celle de la numérisation de l’ouvrage et non de l’ouvrage lui-même. Celle-ci est disponible dans les archives du site de l’Université de Moncton.

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de Moncton le bilinguisme de ses institutions

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. Annette Boudreau écrit quelques belles pages

sur le sujet (2016, pp. 29-34), elle dit :

Ces luttes, largement menées par les étudiants des sciences humaines et sociales (du moins à

Moncton), s’inscrivaient dans les évènements qui secouaient alors l’Occident. Nous lisions

Frantz Fanon (Les damnés de la terre), Albert Memmi (Portrait du colonisé), et Pierre Vallières

(Nègres blancs d’Amérique), lectures qui donnaient sens à notre action. Nous avions

l’impression de sortir de notre silence atavique, de nous affirmer, de briser les chaînes de notre

asservissement, d’avoir le droit et le devoir de le faire. Nous lisions Sartre (L’existentialisme

est un humanisme) et Gide (Les nourritures terrestres), lectures qui nous incitaient à nous libérer

sur le plan individuel et à délaisser les valeurs du passé. La revendication pour les droits

linguistiques participait de cette libération (2016, p. 31).

La jeune génération rompt avec les idéologies traditionnelles (Belliveau, 2008). Elle prend

le relais des revendications politiques en s’inscrivant en opposition d’organisations du genre de

l’Ordre de Jacques-Cartier, trop liée à un modèle patriarcal religieux ; et souhaite rompre avec

une forme de « bon-ententisme », fossoyeur des idéaux d’égalité.

C’est pourquoi, quand bien même ces mouvements de revendications se positionnent parfois

contre l’administration de l’Université elle-même ou contre ses orientations idéologiques, c’est

bien dans ses murs qu’ils ont pu naître. En cela, l’Université de Moncton est un contre-pouvoir,

un vivier politique qui permit (et y participe encore) l’émancipation des francophones. Plus

qu’un symbole, l’Université est aujourd’hui une institution centrale dans l’Acadie du

Nouveau-Brunswick et exerce un pouvoir d’attraction dans toute la province (Higgins & Beaudin, 1988).

Son rôle dans la démocratisation de l’enseignement supérieur est capital dans les Maritimes.

C’est d’ailleurs la première mission qu’elle se donne. Sur le site officiel, ses missions sont

présentées ainsi :

a) [L’université] fournit à la population acadienne et à la francophonie en général des

programmes de formation de la plus haute qualité;

b) elle contribue, par ses activités de recherche, à l'avancement des connaissances dans divers

domaines du savoir; et,

c) elle participe au développement et à l'épanouissement de la société, grâce aux services à la

collectivité offerts par les membres de la communauté universitaire.

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Et par ailleurs, la première des valeurs qu’elle endosse est l’accessibilité

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, revendiquant un

« programme enrichi de bourses et d’aides financières permettant de recruter des étudiantes et

73 Sur le sujet des grèves, voir le film L’Acadie, l’Acadie ?!? (Brault & Perreault, 1971).

74 Je reprends la mise en forme originale, voir http://www.umoncton.ca/enbref/node/3.

75 Même lien. Ajoutons toutefois que la question des frais de scolarité (qui sont élevés, comme souvent en Amérique du Nord) reste d’actualité. En témoigne, chaque année, diverses mobilisations de la principale fédération étudiante (voir, pour la dernière en date, le communiqué de la FÉÉCUM : http://www.feecum.ca/index.php/477-2-d-augmentation-des-frais-de-scolarite-pour-les-etudiants-a-l-universite-de-moncton).

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étudiants » locaux ou non. L’Université insiste également dans ses valeurs sur l’ouverture

extérieure, désirant attirer des étudiants étrangers et venus du reste du Canada ; elle se présente

également comme un lieu de passage important pour la recherche (ce que A. Boudreau

confirme, 2016, p. 28). Enfin, il faut noter que parmi les valeurs endossées, l’Université parle

de son engagement communautaire en ces termes :

Engagement communautaire. Tout en respectant les principes éthiques qui régissent le

développement, elle tisse des liens avec la communauté qu’elle dessert et arrime ses actions

avec celle-ci en s’insérant dans des activités économiques, communautaires et culturelles; de

plus, elle facilite le transfert des connaissances et des technologies et incite le développement

de partenariats dans divers secteurs d’activités.

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Ainsi, l’Université de Moncton se présente comme une institution généraliste et à portée

internationale, tout en étant ancrée en Acadie et en œuvrant pour la communauté (je reprends

ici le terme choisi par l’Université).

Pour résumer, et de façon globale, l’Université est un espace de réflexion et d’opportunités.

C’est donc aussi un espace de revendication. En cela elle est un contre-pouvoir, je l’ai dit, mais

également un espace de circulation des idées et de reproduction sociale. En outre, et pour revenir

à mon sujet, elle est doublement au cœur de la question linguistique puisque constituée de trois

campus : Moncton au sud-est du Nouveau-Brunswick, région que j’ai décrite plus haut comme

une zone de contacts forts, Edmundston, dans le nord-ouest et Shippagan au nord-est, plus

homogènes sur le plan linguistique. Ci-après une petite carte permet de situer les trois terrains

où j’ai effectué cette recherche doctorale ; Moncton fut le terrain principal.

Entre ces trois localités existent des différences dans les discours, j’aurai l’occasion d’y

revenir. Mais c’est pour son positionnement, son rôle et son histoire que l’Université de

Moncton constitue un lieu incontournable pour l’étude des idéologies linguistiques en Acadie.

Le prochain chapitre exposera la méthodologie d’enquête, ma méthode de travail et mon

approche épistémologique.

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Figure 3 - Situation géographique des trois campus (https://www.google.fr/maps)

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