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CHAPITRE 1 Les compétences sociales : de quoi parle-t-on ?

I. L A NOTION DE COMPETENCE

I.3. Quelques typologies de compétences

Les typologies existantes de compétences sont multiples et présentent de nombreuses

différences, la discipline scientifique et le domaine institutionnel dans lesquels elles sont

développées pouvant expliquer principalement cette diversité. Nous choisissons d’en

développer certaines afin d’illustrer cette variété et de préciser la définition de la compétence.

Les typologies des compétences ont pour point commun de désigner différentes catégories de

compétences en fonction de leur nature, de leurs caractéristiques (les auteurs sous-entendent

alors qu’il existe différents types de compétences). Les différentes typologies se distinguent

selon le nombre des catégories, le public et le domaine visés (scolaire, professionnel, etc.)

ainsi que le domaine scientifique dans lequel s’inscrivent les auteurs qui les présentent.

I.3.1. Une trilogie de compétences

Pour débuter, nous pouvons citer une typologie composée de trois catégories de compétences.

Conçue par Paul et Suleman (2005) pour décrire les compétences d’un public de diplômés de

l’enseignement supérieur sur le marché du travail, cette typologie n’est pas sans rappeler le

trio des savoirs de Stroobants (1998). Une différence notable doit cependant être soulignée :

les trois dimensions du modèle des chercheurs de l’IREDU ne renvoient pas aux savoirs en

tant que ressources à mobiliser pour constituer la compétence comme chez Stroobants, mais

elles désignent trois types de compétences de nature différente. Les premiers définissent une

trilogie de compétences (théoriques, pratiques et comportementales) tandis que la seconde se

réfère à trois types de savoirs (savoir, savoir-faire et savoir-être) que nous avons désignés

précédemment comme ressources à mobiliser au sein d’une compétence.

Les trois dimensions se déclinent chez Paul et Suleman (2005) en « connaissances et

compétences théoriques, pratiques et comportementales » (p. 28) :

- Les compétences théoriques, que l’on peut associer aux savoirs, renvoient à des

connaissances théoriques générales ou spécifiques à un domaine,

- Les compétences pratiques ou savoir-faire définissent des compétences transversales

telles les compétences de communication ou d’informatique,

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- Les compétences comportementales, relevant des savoir-être, sont d’ordre à la fois

individuel et collectif.

Il est important de rappeler que même si la ressemblance est manifeste entre cette trilogie de

compétences et le trio de savoirs, il ne faut pas assimiler savoir et compétence : le savoir

renvoie à une ressource interne que l’individu peut mobiliser en vue de la réalisation d’une

tâche, tandis que la compétence va se réaliser dans l’action et ne préexiste pas à la situation et

à la tâche, contrairement au savoir. Ceci étant dit, si l’on retrouve les mêmes dimensions pour

les ressources et les compétences, cela tient certainement au fait que pour mobiliser une

compétence de type théorique, il est nécessaire de mobiliser principalement des savoirs

théoriques, même si les autres types de savoirs (savoir-faire et savoir-être) ne sont pas exclus

dans la mise en œuvre de cette compétence.

I.3.2. Typologies en quatre catégories

Il est intéressant de remarquer que la trilogie de compétences théorisée par Paul et Suleman

(2005) s’inspire d’une typologie de connaissances existante. Ces auteurs font en effet

référence à la classification de Lundvall et Johnson (1994) qui classent les connaissances en

quatre catégories :

- Les know what ou connaissances factuelles spécifiques à un domaine,

- Les know why qui se rapportent à la compréhension des phénomènes,

- Les know how qui témoignent des capacités de l’individu à évoluer dans son

environnement social,

- Les know who qui s’apparentent à des compétences relationnelles.

Quatre catégories caractérisent cette typologie, ce qui montre que les typologies ne

comportent pas systématiquement le même nombre de dimensions. En outre, l’analogie entre

connaissances et compétences faite par Paul et Suleman (2005) montre le lien étroit entre

connaissance, savoir et compétence et expose la difficulté théorique et conceptuelle de les

distinguer. Bien que faisant référence à des connaissances et non à des compétences, cette

typologie en quatre volets rappelle néanmoins les dimensions de la trilogie des compétences

et donc du trio des savoirs.

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Dans le contexte scolaire cette fois, mais toujours selon une catégorisation en quatre

dimensions, Duncan et Magnuson (2011) proposent une typologie des compétences scolaires.

Les deux premières sont appréhendées de façon positive pour la scolarité et les deux autres de

façon négative :

- Les compétences de réussite (achievement skills) en lien avec les performances

académiques,

- Les compétences d’attention (attention skills),

- Les problèmes de comportement faisant référence aux « comportements externalisés »

de la littérature en Psychologie,

- Les compétences de santé mentale (withdrawn behavior) qui se traduisent en

problèmes émotionnels pouvant mener à l’exclusion sociale et autres comportements

internalisés.

Cette typologie a comme particularités d’une part de provenir du champ de la Psychologie et

d’autre part d’appréhender les compétences sous deux prismes (positif et négatif). Cependant,

il nous paraît complexe, voire malvenu, d’envisager la compétence en négatif. En effet, si

nous définissons la compétence comme une mobilisation de ressources, de savoirs internes (et

externes) à l’individu, le versant négatif de la compétence est finalement envisagé comme un

déficit de celle-ci. Comment peut-on parler de compétence lorsque l’on souligne des

problèmes de comportement ou de santé mentale alors que ceux-là même entravent la

réalisation d’une tâche et ne font pas preuve de compétence ? Ces « non-compétences »

participent certainement de l’explication de l’échec face à une tâche dans une situation ; c’est

donc pourquoi il est effectivement intéressant de considérer ces problèmes de comportements

ou de santé mentale pour expliquer certaines différences entre individus.

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Afin de poursuivre sur les typologies, nous pouvons citer Greenspan et Driscoll (1997

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) qui

déclinent les compétences dites « personnelles » en quatre aspects :

- La compétence académique avec l’intelligence conceptuelle,

- La compétence quotidienne avec l’intelligence pratique et sociale,

- La compétence physique,

- La compétence affective.

Cette typologie, d’après Lenzen, Dénervaud et Poussin (2012), ne semble pas faire de

distinction nette entre la compétence personnelle et la compétence sociale. On peut encore

citer McGrew et Bruininks (1990

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), chez qui on retrouve également la compétence physique,

l’intelligence pratique, l’intelligence conceptuelle et la compétence émotionnelle. Ici, ce sont

les notions de compétence et d’intelligence qui sont confondues, c’est pourquoi il est utile de

bien distinguer les concepts avant de dresser toute typologie.

I.3.3. Typologies en cinq catégories

Pour terminer à propos des typologies de compétences, il est intéressant de citer les travaux de

Delorme (2008) qui, à partir d’un certain nombre d’autres travaux, a tenté de résumer les

différentes natures de compétences en composant une typologie en cinq catégories :

- Les « compétences scolaires ou pédagogiques » renvoyant aux savoirs didactiques et

disciplinaires,

- Les « compétences de nature instrumentale et méthodologique » qui semblent

transversales bien qu’influencées par le disciplinaire,

- Les « compétences de type transversal » transdisciplinaires, cognitives ou

socioaffectives et favorisant les apprentissages,

7 Cités par Lenzen, Dénervaud et Poussin (2012).

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- Les « compétences centrées sur la vie quotidienne » nécessaires à la vie active,

- Les « compétences de nature sociale, culturelle » renvoyant aux valeurs citoyennes.

Suite à l’exposition de cette typologie, plusieurs remarques doivent être émises. D’une part, il

semble peu approprié de constituer une catégorie pour les compétences transversales car elles

seraient trop singularisées du reste des compétences. Or, la transversalité d’une compétence

est une caractéristique que l’on peut trouver pour des compétences de différentes natures,

aussi bien méthodologiques que sociales. D’autre part, toutes les compétences relationnelles,

interindividuelles et les compétences sociales semblent écartées de cette typologie car les

« compétences de nature sociale, culturelle » ne prennent en réalité en compte que la

dimension collective de ces compétences (citoyenneté).

I.3.4. Quelle typologie adopter ?

L’exposé de ces différentes typologies présente l’intérêt de mettre en avant la variété et la

pluralité existantes dans les travaux scientifiques qui s’attachent à définir les compétences.

Mais cet intérêt est d’autant plus important dès lors que l’on y appose un regard critique : les

remarques théoriques et conceptuelles sont nombreuses et participent à la précision de la

définition de la compétence. Nous pouvons en rappeler quelques enseignements : la

distinction à faire entre savoir, intelligence et compétence, la place des « non-compétences »

ou « compétences négatives », ou encore la prise en compte du caractère transversal de la

compétence comme une caractéristique constitutive de nombreuses compétences.

Dans ce travail de thèse, nous choisissons de considérer la nature des compétences selon la

trilogie théorisée par Paul et Suleman (2005) avec les compétences théoriques d’une part, les

compétences méthodologiques d’autre part, et enfin, les compétences comportementales ou

sociales

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. Ce choix théorique de ne considérer que trois catégories peut sembler au premier

abord réducteur, ces trois dimensions regroupent néanmoins toutes les compétences, tout en

opérant les distinctions nécessaires entre les trois natures principales des compétences. Au

sein de chacune des trois catégories, pourront être distinguées différentes « sous-catégories »,

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si cela est nécessaire. Toutefois, une typologie à trois composantes nous semble être

intellectuellement lisible et pertinente.

Bien que les travaux sur la notion de compétence abondent, aucun consensus n’existe encore

aujourd’hui pour définir la notion ainsi que pour évaluer la compétence – l’exposé des

différentes typologies en témoigne. En effet, le processus de définition de la notion de

compétence étant étroitement lié à la question de l’évaluation des compétences, il semble

nécessaire d’établir une forme de consensus, particulièrement lorsque le travail de recherche

mené exige la mise en place d’un protocole d’évaluation des compétences. Il convient de

revenir sur ce débat.