CHAPITRE 1 Les compétences sociales : de quoi parle-t-on ?
I. L A NOTION DE COMPETENCE
II.1. Les termes employés : nuances sémantiques ou différences théoriques ?
Avant même de se demander comment définir ou mesurer la compétence sociale, se pose le
problème de la désignation de l’objet et de l’expression à utiliser pour le désigner. En effet, de
nombreuses expressions existent pour qualifier les « compétences sociales » (Duckworth et
Yeager, 2015). A partir d’exemples issus de la littérature scientifique, nous allons examiner si
ces différences relèvent simplement de nuances sémantiques ou de contradictions
conceptuelles.
De même que pour la notion de compétence, il existe un réel débat scientifique autour de la
définition de la compétence sociale, les auteurs ne choisissant pas tous les mêmes vocables
pour qualifier ce concept. Ceci s’explique notamment par le fait que les recherches
s’intéressant aux compétences sociales renvoient à différentes disciplines et que la notion
spécifique de compétence sociale est plus récemment étudiée que la notion plus large de
compétence.
II.1.1. Discussion des termes employés dans la littérature
Nous pouvons constater au travers de différentes lectures que les termes employés pour
désigner l’objet nommé a priori dans ce travail de thèse « compétences sociales », sont
multiples : compétences comportementales, soft skills, non-cognitive skills, traits de
personnalité, character skills, compétences psychosociales, etc. On peut se demander si dans
ce champ théorique en construction, les différents termes employés dans la littérature
scientifique soulignent ou non de réels points de divergences théoriques. Il semble tout
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d’abord nécessaire d’interroger les concepts que renferme chaque dénomination avant de
pouvoir arrêter une définition.
La question sémantique mérite en effet d’être discutée, au regard de toutes les appellations
recensées dans les différents travaux cités dans ce chapitre. Nous choisirons un terme pour la
suite de notre travail en justifiant ce choix. Tout d’abord, le terme « compétence non
académique » ne peut convenir car ces compétences font désormais partie des référentiels
académiques des programmes de formation et sont en un sens évaluées par l’institution. Nous
n’opterons pas non plus pour l’appellation « savoir-être » car les « savoirs » renvoient aux
ressources à mobiliser pour la compétence et semblent également renvoyer à une dimension
figée. Constat que nous pouvons également faire avec les termes de « traits de personnalité »,
qui évoquent la notion d’inné, dénomination sur laquelle nous allons revenir en détails. En
procédant ainsi par élimination, nous pouvons interroger l’expression « compétences
comportementales » : ces termes ne paraissent pas appropriés car, même si la compétence
sociale se traduit par un comportement, ils restent trop connotés au courant behavioriste. Nous
avons également rencontré lors de nos lectures le concept de « compétences psychosociales »
qui risque cependant de renvoyer soit aux compétences de l’OMS – donc au champ de
l’éducation à la santé dans lequel les compétences méthodologiques sont intégrées aux
compétences psychosociales – soit au champ encore plus spécifique de la Psychopathologie.
Nous avons fait le choix de nommer notre objet « compétences sociales » car elles permettent
la vision large et pluridisciplinaire que nous souhaitons adopter dans ce travail.
Nous proposons à présent de réfléchir spécifiquement à la différence entre les termes « traits
de personnalité » et ceux de « compétences », régulièrement employés, et cela pour plusieurs
raisons : cette discussion pourra d’une part approfondir le débat sur la définition de la notion
de compétence et d’autre part, cette notion est mobilisée par Heckman, économiste américain
dont les travaux participent largement à la construction de notre champ théorique.
II.1.2. Trait de personnalité ou compétence sociale ?
Dans ses travaux les plus récents (par exemple Heckman et Kautz, 2013), l’économiste
emploie les termes character skills pour désigner notre objet. C’est lors du travail de
définition de ces compétences que la notion de « traits de personnalité » apparaît.
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En effet, pour les définir, il cite Roberts (2009
11) dont nous proposons la traduction suivante :
« les traits de personnalité sont des modèles de pensées relativement durables, des sentiments
et des comportements qui reflètent la tendance à répondre à certains moyens dans certaines
situations ». Certes, nous retrouvons dans cette définition les caractéristiques accordées à la
compétence (mobilisation de plusieurs ressources en contexte donné), mais ce sont bien les
termes personality traits (traits de personnalité) qui nous interpellent, d’autant plus lorsqu’ils
sont associés à l’expression relatively enduring (relativement durables). En effet, le trait de
personnalité semble être intrinsèque à l’individu et relever d’une dimension figée voire
déterminée, tandis que la compétence peut être le fruit d’un processus d’apprentissage au sein
de la famille ou du système éducatif. Les « traits » font référence à la permanence ou à
l’hérédité tandis que les skills (les compétences) suggèrent davantage un apprentissage. Les
compétences pouvant certes être influencées par certaines variables déterminées, sont des
« constructions singulières, spécifiques à chacun » (Le Boterf, 2013, p.100), constructions qui
résultent d’un apprentissage familial, social, scolaire et/ou professionnel. Dans tous les
environnements et à tous les âges de la vie, l’individu se développe en acquérant de nouvelles
compétences et il doit s’adapter aux normes sociales propres aux domaines dans lesquels il
évolue. Il tente d’adopter les comportements personnels adéquats dans le but d’exécuter des
tâches, d’atteindre des objectifs. Au vu des définitions et des caractéristiques attribuées à la
compétence, il paraît donc malvenu de choisir l’expression « traits de personnalité »,
conceptuellement trop connotée.
Heckman et son équipe adoptent pourtant les termes character skills en les définissant d’après
les travaux de Roberts (2009) qui lui, parle de traits de personnalité. La distinction que nous
opérons dans ce travail entre « le trait inné » et la « compétence, fruit d’un apprentissage »
n’est pas retenue par Heckman et son équipe car ces derniers paraissent mettre sur le même
plan sémantique les personality traits, les character skills ou encore les soft skills
12. Ils
insistent pourtant dans leurs recherches sur le fait que les traits de personnalité ne sont pas
innés et sont des compétences qui peuvent se développer par l’orientation et l’éducation
(Heckman et Kautz, 2013). Nous rejoignons l’économiste sur cette définition mais, pour les
11 Cité par Heckman et Kautz (2013) : Roberts, B. W. (2009), « Back to the future: Personality and assessment and personality development », Journal of Research in Personality, 43 (2), p. 137–145.
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raisons évoquées, nous ne pouvons pas considérer les « traits de personnalité » comme des
compétences. Les travaux d’Heckman participent néanmoins à notre champ théorique car,
bien que nous soyons en désaccord sur les termes employés, les concepts et travaux
empiriques qui y sont mobilisés rejoignent la démarche que nous tentons d’adopter.
Dans leur publication de 2013, Heckman et Kautz précisent que la part de variance expliquée
dans les modèles des différences de réussite reste très faible car les tests de QI et les notes ne
mesurent pas les character skills, qualifiées de fondamentales par les auteurs, comme par
exemple la conscience, la persévérance, la sociabilité ou la curiosité, qui sont valorisées dans
différents domaines de la vie des individus. Ces compétences sociales, dont nous allons
désormais définir les caractéristiques, furent longtemps ignorées. L’importance de leur prise
en compte a notamment été mise en évidence par la recherche en Économie et la recherche en
Psychologie. Les économistes américains utilisent d’ailleurs des échelles de mesure des
compétences sociales créées par des psychologues et font implicitement référence aux
théories psychologiques telles que l’interactionnisme.
Dans le document
Les compétences sociales et la réussite scolaire des élèves de cycle III : l'effet de l'accompagnement scolaire
(Page 43-46)