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Le développement de la notion de compétence dans le champ scolaire

CHAPITRE 3 Les compétences sociales et la réussite des élèves

I. L ES COMPETENCES ET L ’ ECOLE

I.2. Le développement de la notion de compétence dans le champ scolaire

L’« irrésistible ascension » de la notion de compétence (Romainville, 1996, d’après le titre de

l’article) dans le champ scolaire n’implique pas une imitation stricte de l’approche en milieu

professionnel par le système éducatif. L’objectif premier de l’approche par compétences est

de proposer aux élèves une formation en lien avec les nouvelles réalités sociales (OCDE,

2001). De plus, le développement de l’autonomie cognitive des individus, c’est-à-dire le

fameux « apprendre à apprendre » devient un objectif et les tâches à accomplir sont désormais

envisagées comme des problèmes à résoudre où seules les connaissances et les aptitudes ne

peuvent suffire (Audigier, 2008). Le développement de la compétence à l’école pourrait aider

les élèves qui se retrouvent en échec face aux savoirs décontextualisés, sans lien avec la

réalité pratique et sociale. L’approche par compétences permettrait alors de lier culture

scolaire et pratiques sociales, c’est-à-dire d’insérer dans la réalité sociale des élèves les

compétences afin d’éviter qu’ils ne se déconnectent pas de leurs usages sociaux. En effet,

même pour les élèves qui maîtrisent les savoirs scolaires, il y a peu de transfert, de

mobilisation des connaissances entre l’école et un autre contexte.

En outre, les trois caractéristiques de la notion de compétence en milieu professionnel – qui

sont l’originalité, l’efficacité et l’intégration – peuvent être mises en lien avec l’école

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:

l’approche par compétences est une façon originale d’aborder les apprentissages car elle

apprendrait à réfléchir et non à uniquement donner la « bonne réponse ». Son efficacité

semble résider dans le fait d’apporter une réponse utile et pertinente socialement et elle

apporterait enfin une réponse intégrée par la mobilisation des acquisitions et des compétences

à partir des savoirs, savoir-faire et savoir-être (Bosman, Gérard et Roegiers, 2000).

65 Vous trouverez en annexe n°2 un tableau tiré du travail de Martineau (2006) résumant ces trois dimensions

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Si certains chercheurs et institutions internationales prônent le passage à la compétence pour

les multiples arguments que nous venons d’énoncer, une approche historique du

développement de la compétence dans le champ scolaire permet de comprendre comment, de

nos jours, la compétence est intégrée au système éducatif français.

Dans ce système éducatif, si la notion est apparue dans les débats au sujet de la formation

initiale dans les années 1980 (Duru-Bellat, 2015), son développement au début des années

1990 s’opère à la suite de deux courants pédagogiques des années 1980 : (i) la pédagogie par

objectifs qui centre l’apprentissage sur l’activité de l’élève et (ii) la pédagogie de maîtrise

présupposant que chaque élève peut gérer un savoir si on lui laisse le temps nécessaire, ce

dernier pouvant varier d’un apprenant à l’autre. D’un point de vue institutionnel, la loi

d’orientation de 1989, initiée par le ministre Lionel Jospin, évoque la notion de compétence,

en mettant notamment en place des cycles d’apprentissage à l’école maternelle et à l’école

primaire, et en établissant une liste de compétences à acquérir à la fin de chaque cycle. En

outre, il est inscrit dans cette loi qu’« “il faut mettre l’élève au centre du système éducatif ”»

(p. 105), conception qui s’inscrit dans le prolongement des théories interactionnistes (Planche,

2012). Néanmoins, cette loi ne fait pas encore basculer le système éducatif dans l’approche

par compétences, même si elle symbolise tout de même un « tournant idéologique » des

missions du système éducatif (Planche, 2012).

La notion de compétence à acquérir apparaît officiellement dans un Bulletin Officiel de 1992,

sans pour autant se détacher du disciplinaire (« le programme énonce les contenus

disciplinaires en termes de connaissances et de compétences à acquérir », B.O., 1992

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).

Cependant, dans le milieu des années 1990, le système éducatif ne reprend pas réellement la

logique des compétences (Planche, 2012), même si les programmes de l’école primaire de

1995 listent des compétences (Duru-Bellat, 2015). Le rapport Thélot (2004) qui s’inscrit dans

une logique différente des précédents rapports en déclarant que l’école n’est pas en échec,

insiste sur le « socle des indispensables » ainsi que sur « l’éducation au vivre-ensemble » et

prône également le développement des compétences sociales (intra et inter) indispensables sur

le marché du travail (« l’émergence et le développement des emplois requérant des

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qualifications fondées sur le savoir-être et la relation à autrui », Thélot, 2004

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). L’évolution

conceptuelle de ce rapport est remarquable car les précédents rapports (Fauroux, 1996 ;

Ferrier, 1998) préconisaient le retour aux fondamentaux (lire, écrire, compter) tandis que

Thélot évoque les « compétences (y compris comportementales) » (Planche, 2012).

Tandis que la notion de compétence avait déjà été adoptée dans les programmes au sein de

plusieurs systèmes éducatifs francophones comme la Belgique et Québec ou dans d’autres

pays européens, le Socle Commun de connaissances et de compétences naît en France avec un

décret daté de juillet 2006, suite aux recommandations des institutions européennes et dans la

cadre de la loi d’orientation de l’école de 2005. L’école « scolarise » ainsi la compétence

(Duru-Bellat, 2015). L’approche par compétences est adoptée par le système éducatif français

et elle est même désignée comme la solution pour les apprentissages à l’école et en dehors.

Dans ses recommandations pour la mise en place du socle, le Haut Conseil de l’Éducation

(2006) indique en ce sens, qu’« il faut mettre l’accent sur la capacité des élèves à mobiliser

leurs acquis dans des tâches et des situations complexes, à l’Ecole et dans la vie : le socle

doit donc être pensé en termes de compétences » (p. 3). Même si la notion de compétences ne

fait pas consensus et reste « protéiforme » (Planche, 2012), le Socle Commun est qualifié de

« ciment de la Nation » par les décideurs politiques. Il se structurait alors autour de sept

grandes familles de compétences

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:

- la maîtrise de la langue française,

- la pratique d’une langue vivante étrangère,

- les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et technologique,

- la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication,

- la culture humaniste,

- les compétences sociales et civiques,

67 Ibid, p. 126.

68 Nous employons ici le passé car, nous le verrons par la suite, ce Socle Commun de 2006 est soumis à la

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- l’autonomie et l’initiative.

Cette trame suit globalement la liste des compétences nécessaires pour l’apprentissage tout au

long de la vie instaurée par le Parlement Européen et le Conseil de l’Union Européenne.

Quelques aménagements ont cependant été opérés par les politiques français : la huitième

section de cette liste intitulée « sensibilité et expression culturelles » est supprimée et

certaines compétences sont redistribuées au sein des sept familles de connaissances et de

compétences. La section « Apprendre à apprendre » est également supprimée, pourtant

emblématique des objectifs principaux de l’approche par compétences.

Chacune des sept grandes compétences du Socle Commun de 2006 est déclinée en

connaissances, en capacités à les mettre en œuvre et en attitudes. Un livret de compétences

accompagne ce premier document dans lequel sont proposés divers énoncés permettant

l’évaluation individuelle de chaque élève à trois moments-clés de l’école (CE1, CM2 et

Sixième).

Or, le « ciment de la Nation » n’est pas inscrit dans la pierre. En effet, le Socle Commun est

sujet à la réforme : la loi d’orientation de 2013 tente de réformer le socle, mais aussi les

programmes de l’école maternelle, de l’école primaire et du collège ainsi que les programmes

d’enseignement moral et civique. En ce sens, une concertation est organisée en 2014-2015,

avec pour mission de réfléchir sur le nouveau « Socle Commun de connaissances, de

compétences et de culture ». Les acteurs de cette concertation ont tout d’abord recensé les

éléments sensibles pour lesquels la réforme a notamment été mise en place. Cinq critiques

négatives ont en effet été adressées par les acteurs qui animaient le débat (Conseil Supérieur

des Programmes, 2014) :

- la relation entre le socle et les programmes paraissait insuffisante,

- l’architecture du socle n’était pas assez homogène, avec un « sentiment de traitement

inégal des différents champs disciplinaires » (p. 1),

- un manque de clarté a été souligné au sujet de la relation entre les connaissances,

capacités et attitudes,

- les procédures d’évaluation et le livret des compétences ont semblé trop complexes,

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Différents points forts du socle de 2006, au nombre de cinq également, ont tout de même été

soulignés et seront conservés dans le nouveau socle (Conseil Supérieur des Programmes,

2014) :

- le fait qu’il permette un continuum cohérent entre les différents degrés de scolarité,

- l’idée selon laquelle les « incontournables » (p. 2) à maîtriser en fin de scolarité

obligatoire soient énoncés,

- le cadre de réflexion européen dans lequel il s’inscrit,

- la nécessité de se centrer sur les apprentissages effectifs des élèves,

- le fait de « penser la cohérence globale d’un projet d’enseignement avant de le

détailler » (p. 2), c’est-à-dire de partir d’un projet clairement énoncé avant de préciser

les éléments disciplinaires qui le composent.

Suite à la concertation, cinq dimensions qui constituent l’architecture du nouveau socle, ont

été retenues afin de permettre « l’acquisition d’une culture commune constituée

indissociablement de connaissances, compétences et valeurs » (p. 2), tout en soulignant par

exemple l’importance du « développement individuel en interaction avec le monde » (p. 2).

Ces cinq points fondamentaux sont :

- les langages pour penser et communiquer,

- les méthodes et outils pour apprendre,

- la formation de la personne et du citoyen,

- l’observation et la compréhension du monde,

- les représentations du monde et de l’activité humaine.

Notons que la tripartition du socle de 2006 entre « connaissances, capacités et attitudes » a été

remplacée par des objectifs d’apprentissage structurés en trois niveaux. Ces trois niveaux sont

constitués désormais des définitions globales du domaine, des connaissances et des

compétences pour la maîtrise du socle commun et la mise en perspective des champs

d’activités correspondants (Conseil Supérieur des Programmes, 2014). Le trio de savoirs

(savoirs, savoir-faire, savoir-être) auquel renvoyait fortement la tripartition du socle de 2006,

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n’est pas pour autant abandonné. Dans le second niveau pour la définition des objectifs, la

maîtrise des connaissances et des compétences est en effet entendue « comme la capacité à

mobiliser des ressources (savoirs, mais également savoir-faire ou savoir-être) devant une

tâche ou situation complexe » (p. 3). Nous retrouvons ici des éléments qui composent la

définition de la compétence que nous avons développée dans le premier chapitre. Les

compétences sociales, renvoyant aux savoir-être, sont également intégrées au Socle Commun

de connaissances, de compétences et de culture.

Pour comprendre l’effet des compétences sociales sur la réussite ou l’échec des élèves, il

paraît important de comprendre les mécanismes et les processus en jeu dans la socialisation

des individus. En effet, lors de l’élaboration du cadre théorique de la définition des

compétences sociales, nous avions développé l’idée selon laquelle les apprentissages et les

compétences se construisent en interaction avec autrui. Nous allons maintenant revenir sur la

construction des compétences sociales dans les divers espaces de socialisation qui encadrent

le développement personnel des individus. Avant de nous centrer plus spécifiquement sur

l’espace de socialisation que sont les dispositifs d’accompagnement scolaire, nous allons nous

intéresser dans une perspective plus large, au développement des compétences sociales à

l’école et en dehors de l’école, c’est-à-dire dans tous les environnements sociaux de l’enfant.

II. Le développement des compétences sociales de l’enfant à l’école et en

dehors de l’école

Afin de comprendre l’impact des compétences et des compétences sociales de l’élève sur sa

réussite scolaire, il est important de revenir sur les théories psychosociales qui mettent en

lumière les mécanismes en jeu dans le développement de l’enfant. Le processus de

socialisation d’un enfant provient de son adaptation au milieu socioculturel qui l’entoure et

dans lequel il évolue ; bien que ce dernier agisse chez tous les enfants, les normes et valeurs

culturelles véhiculées par la famille et la société dépendent du rapport à l’éducation que

développe chaque groupe social (Florin, 2008).

Nous évoquerons tout d’abord la perspective socioconstructiviste de l’approche par

compétences et les théories sociales de construction des apprentissages qui en découlent.

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D’autres théories, issues de la Psychologie pour la plupart, seront ensuite abordées dans le but

d’identifier les composantes qui entrent en jeu dans le processus de construction des

apprentissages des élèves. Nous aborderons enfin le lien entre le social et la réussite scolaire à

l’aide des théories relevant des buts sociaux poursuivis par les individus, qui guident la

performance en situation.