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CHAPITRE 1 Les compétences sociales : de quoi parle-t-on ?

I. L A NOTION DE COMPETENCE

II.5. Quelques échelles et typologies des compétences sociales

Dans la littérature scientifique et plus particulièrement dans le domaine de la Psychologie, il

existe de nombreuses échelles d’évaluation des compétences sociales et des comportements

ciblant à la fois des enfants présentant des problèmes de comportement spécifiques mais

également des enfants au développement dit typique. Nous analyserons donc quels sont les

points communs et les divergences entre ces typologies afin de préciser la définition de la

compétence sociale, selon les caractéristiques énoncées précédemment.

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II.5.1. L’exemple de deux recensions

Les recensions de Matson et Wilkins (2009) et Crowe et al. (2011) décomptent

respectivement 48 et 200 échelles. En plus de recenser près d’une cinquantaine d’outils,

Matson et Wilkins (2009), mettent en lumière les échelles les plus fréquemment étudiées par

la recherche. Les trois échelles les plus fréquemment utilisées sont la Matson Evaluation of

Social Skills with Youngsters (MESSY), la Social Skills Rating Scale (SSRS) et la List of

Social Situation Problems (LSSP). Celles-ci présentent des points de convergence et des

différences.

Les trois échelles évaluent tout d’abord des problèmes de comportement comme l’anxiété,

l’arrogance, l’intériorisation, etc. Sans pour autant les mettre clairement au même niveau

théorique que les compétences envisagées positivement, ces « non-compétences » tiennent

tout de même une part importante parmi les items. De plus, deux des trois outils envisagent la

compétence sociale d’un point de vue principalement interindividuel mais avec tout de même

une mesure intra-individuelle de l’affirmation de soi

28

. On peut ajouter enfin que dans le

MESSY, la compétence sociale est considérée dans son sens large et unidimensionnel, au sens

d’être compétent socialement. Donc, bien que souvent utilisées, ces échelles ne vont pas dans

le sens que nous tentons de donner à la compétence sociale et ceci s’explique certainement par

les objectifs de ces évaluations qui, pour la plupart, sont la détection de comportements

perturbateurs chez des enfants à risque(s). Le constat pour les trois outils les plus utilisés

recensés par Crowe et al. (2011) (la SSRS, le FQQ-Frienship Qualiy Questionnaire et la

SSPI-Social Information Processing Interview) va dans le même sens car les trois échelles

sont en partie construites pour mesurer la qualité de la relation aux pairs ou pour évaluer les

comportements agressifs et dépressifs des enfants. Il paraît ainsi nécessaire, avant d’utiliser

une échelle dans son ensemble, de comprendre quels en sont les fondements théoriques ainsi

que ses objectifs (cliniques ou éducatifs par exemple).

28 L’affirmation de soi ou l’assertivité, qui est la traduction française du concept d’assertiveness, renvoie à la

capacité à exprimer ses émotions et ses opinions, sans entrer en conflit avec autrui. Nous considérons cette compétence sociale comme une compétence intra-individuelle car elle demande une certaine gestion de ses émotions avant de pouvoir les communiquer. Or, d’autres comportements intra-individuels comme ceux renvoyant à l’image de soi et à la conscience de soi, semblent importantes pour évaluer la dimension intra-individuelle des compétences sociales.

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II.5.2. Des typologies à destination du milieu professionnel

Le dictionnaire des compétences du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la

Recherche à destination des professionnels (2011) présente un cas plus contextualisé où l’on

comprend qu’une place non négligeable est aussi donnée à l’intra-individuel. En effet, en

adoptant la théorie de la trilogie des savoirs composée des savoirs/connaissances,

savoir-faire/compétences opérationnelles et des savoir-être/compétences comportementales, le

Ministère dresse une liste de compétences à détenir en fonction du domaine professionnel.

Parmi les vingt-trois compétences désignées comme étant transversales, on retrouve

l’autonomie, la confiance en soi, la curiosité intellectuelle, la maîtrise de soi ou encore la

capacité à gérer le stress. Toujours dans le monde professionnel, d’autres compétences ou

comportements intra-individuels peuvent être pris en compte tels que la motivation, la

conscience dans le travail ou le professionnalisme (Kechagias et al., 2011

29

). Les soft skills

sont en effet ici définies comme les compétences socio-émotionnelles inter et

intra-individuelles essentielles pour le développement personnel, social et la réussite

professionnelle.

II.5.3. Les Big Five : le modèle en cinq facteurs

En dernier exemple de typologie des compétences sociales, nous proposons la classification

des Big Five utilisée tout d’abord par Heckman et Kautz (2012). Les auteurs du rapport de

l’OCDE (2015) se fondent également sur cette classification pour définir les compétences

sociales et émotionnelles.

Dans cette typologie construite à partir d’enquêtes d’auto-évaluation, on retrouve cinq « traits

de personnalité » différents. Nous entendons bien sûr ici les character skills d’Heckman (et

non les « personality traits »). Nous choisissons également de la présenter plus en détails pour

plusieurs raisons. Cette typologie est tout d’abord largement utilisée par les chercheurs et

notamment par Heckman et son équipe dont les recherches font aujourd’hui figure de

référence. De plus, cette classification offre une traduction des comportements chez l’enfant.

29 Dans le cadre du projet européen Measuring and Assessing Soft Skills (MASS) du Lifelong Learning

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Les définitions données ici sont tirées du Dictionnaire de l’Association Américaine de

Psychologie et de l’interprétation qu’en font Heckman et Kautz (2012). Les cinq familles de

compétences sociales de ce modèle sont :

- L’application, qui est la « tendance à être organisé, responsable et studieux », se

traduit chez l’individu efficace et organisé qui fait par exemple preuve de

détermination ou de persévérance.

- L’ouvertureà l’expérience est la « tendance à être ouvert à de nouvelles expériences

artistiques, culturelles ou intellectuelles » et se traduit en termes de personnalité par

l’inventivité, la curiosité ou le non-conformisme.

- L’extraversion se traduit quant à elle en « intérêts personnels et énergie tournés vers

le monde extérieur plutôt que vers soi et son monde intérieur » et se caractérise par un

affect positif et de la sociabilité chez un individu amical, sociable et/ou aventureux.

- L’agréabilité est un trait que l’on trouve chez une personne indulgente, chaleureuse

et/ou modeste et on peut le définir comme étant la « tendance à être coopératif et à

penser aux autres ».

- Le névrosisme est opposé à la stabilité émotionnelle. Le premier se définit par un

« niveau d’instabilité émotionnel chronique et une tendance à la détresse

psychologique » caractérisé chez les individus par l’angoisse, l’irritabilité ou le

mal-être, tandis que le second est la « prévisibilité et la constance dans les réactions

émotionnelles », soit une absence de sauts d’humeur.

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Ces cinq familles de comportements sont déclinées en compétences, pour un public large mais

également en termes de comportements chez l’enfant et chez l’élève

30

. Dans ces différentes

recherches sur les soft skills, Heckman et son équipe utilisent donc cette typologie des

compétences pour évaluer les comportements des individus et leur impact sur la vie future

31

.

Pour résumer nos propos, nous pouvons constater que les typologies présentées

précédemment diffèrent en de nombreux points. Tout d’abord, la dimension « intra » des

compétences sociales n’est pas systématiquement envisagée : si elle se définit dans le modèle

en cinq facteurs (notamment avec les dimensions de l’application ou de la stabilité

émotionnelle), elle n’est pas prise en compte dans la typologie du MESSY. Comme autre

exemple de divergence, nous pouvons rappeler le fait que certaines échelles évaluent le

versant négatif de la compétence, tandis que d’autres envisagent uniquement les compétences

sociales performantes et positives. Notons à ce propos, comme nous l’avons souligné lors de

l’exposé du caractère « positif » des compétences sociales, que nous ne sommes pas en

mesure de désigner les problèmes de comportements, les déficits de compétence ou

l’instabilité émotionnelle en tant que compétences, telles que nous les avons définies. En

revanche, leur prise en compte dans une évaluation des compétences sociales paraît pertinente

et la dimension du « névrosisme » dans le modèle en cinq facteurs (Big Five) atteste de cette

position.

Toujours dans une perspective d’analyse des éléments considérés dans les typologies de

compétences sociales, il convient de mentionner que d’autres outils d’évaluation envisagent

même les compétences sociales d’un point de vue plus « macro » en considérant l’individu au

sein du groupe social et au sein de l’environnement dans lesquels il évolue. Plus précisément,

certaines typologies considèrent la dimension de socialisation et de développement de l’enfant

30

Nous rappelons toutes ces dimensions dans le tableau en annexe n°1 issu et traduit de Heckman et Kautz (2012).

31 D’un point de vue opérationnel, c’est le questionnaire du NEO PI-R, l’inventaire de personnalité de Costa et

McCrae (1992) qui est utilisé pour évaluer les compétences des Big Five. La version américaine de cet outil a été traduite et adaptée en Français par Rolland et Petot (1994). Les différentes dimensions comportementales évaluées dans le NEO PI-R respectent les cinq grandes familles des Big Five, chacune déclinée en comportements sociaux et émotionnels et « penchants personnels ».

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pour évaluer les compétences sociales. Nous souhaitons nous arrêter sur ce point car cette

position traduit la prise en compte de l’environnement social de l’élève dans le

développement des compétences sociales, position que nous tentons de démontrer dans cet

exercice théorique. Pour illustrer nos propos, nous pouvons prendre en exemple le cas de

l’évaluation du programme du Developmental Studies Center (DSC) : en plus d’évaluer des

compétences sociales inter et intra-individuelles, les concepteurs du questionnaire

d’évaluation envisagent également le rapport à l’école des enfants (Developmental Studies

Center, 2005). Dans une section intitulée « Sentiments des élèves envers l’école et la classe »,

on retrouve l’évaluation de comportements comme le fait d’aimer l’école, de prendre plaisir à

être en classe ou la confiance et le respect envers les enseignants. Même si ce ne sont pas des

compétences sociales en tant que telles, ces dimensions semblent bien s’intégrer dans une

évaluation des compétences sociales chez les élèves. La compétence étant contextualisée et le

développement des compétences s’inscrivant dans un cadre de socialisation, il est en effet

intéressant de connaître le ressenti des individus face à l’environnement dans lequel ils

évoluent.

Ces différents exemples montrent que les objectifs des évaluations et les typologies des

compétences qui les accompagnent, peuvent d’une part être très spécifiques, comme c’est le

cas avec des typologies telles que celle issue de l’échelle du MESSY, qui tentent de détecter

des problèmes de comportement chez des élèves à risque(s). D’autre part, il est possible

d’envisager les compétences sociales dans un contexte de socialisation plus large, comme

avec le questionnaire d’évaluation du DSC qui prend aussi bien en compte les aspects

interindividuels, intra-individuels et contextuels afin, certainement, d’obtenir une image fiable

des compétences de la population enquêtée.