CHAPITRE 3 Les compétences sociales et la réussite des élèves
III.1. Le développement et l’organisation de l’accompagnement scolaire en France
Selon Le Bail (2007), l’accompagnement scolaire français revêt un statut particulier, résultat
d’un processus historique dans lequel la place de l’école au sein de la société a constamment
été mise en tension. Cette « exception française » provient du statut de l’éducation qui a
toujours été, au sein de la République, assimilée à l’école de l’État. Une conception de l’école
centrée sur le savoir semble être à l’origine de la « forme scolaire » que nous connaissons
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dans notre système éducatif. L’une des caractéristiques de cette forme scolaire est la
distinction permanente entre pratiques sociales et apprentissages scolaires (Le Bail, 2007).
Héritier de la Révolution, l’État français sépare les rôles éducatifs, attribuant l’instruction à la
seule institution scolaire en déléguant aux parents le rôle proprement éducatif de leurs enfants.
De telles conceptions ont mené à une querelle qui a traversé les XIX
èet XX
èsiècles dans
laquelle les défenseurs de l’idéal républicain n’ont cessé de revendiquer le rôle éducatif de
l’école.
Ce bref retour historique en guise d’introduction est nécessaire à la compréhension des
mouvements d’éducation populaire imprégnés de cette vision de l’école et qui sont à l’origine
de la création des premiers programmes à destination des élèves des milieux populaires, dont
les dispositifs d’accompagnement scolaire en vigueur aujourd’hui sont les héritiers.
III.1.1. Éducation de masse et difficulté scolaire
À la fin du XIX
èsiècle, apparaissent des associations ayant pour objectif d’apporter aux
enfants, dont l’école n’a pu se charger, les moyens d’exercer leur rôle de citoyens. Après la
Grande Guerre, laissant une « génération sans pères », l’éducation populaire va élargir son
public en proposant aux jeunes des actions éducatives et sociales. C’est à partir de la
Libération que les associations vont se multiplier à l’image des MJC (Maisons des Jeunes et
de la Culture), PEC (Peuple Et Culture) et autres CEMEA (Centre d’Entraînement aux
Méthodes d’Éducation Active) (Le Bail, 2007). En plus d’apporter des solutions à visée
sociale, l’éducation populaire expérimente de nouvelles formes éducatives mettant l’enfant
dans sa globalité au centre de ses préoccupations. Ces différentes actions vont très vite être
reconnues officiellement et l’éducation populaire va s’emparer du problème de la
démocratisation dans l’optique de compléter la mission de l’école (Goujol, 2000
90). La
professionnalisation du monde associatif dans les années 1970 atteste du développement du
secteur socio-éducatif et socio-culturel qui s’intéresse dès lors à l’accompagnement scolaire.
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Avec la crise économique des années 1970, le rapport au travail est différent ; l’école est alors
considérée comme étant un socle nécessaire dans la recherche d’un travail. Le système
éducatif qui s’empare de ces préoccupations va changer et s’uniformiser : la lutte contre
l’échec scolaire devient un objectif prioritaire dans les années 1980 car l’école est désormais
considérée comme étant synonyme de réussite sociale. Le rapport à l’école évolue car celle-ci
est devenue « passage obligé » et non plus « perte de temps », elle est considérée ainsi par une
majorité du milieu populaire qui ne se sentait pas concernée par l’école, seule « affaire de
bourgeois ». L’échec scolaire et l’échec social sont envisagés comme allant de pair, c’est
pourquoi l’institution scolaire va se concentrer sur l’échec scolaire. Les acteurs du système
éducatif envisagent différemment la difficulté scolaire reconnue désormais en tant que telle,
car les élèves qui restent en marge de l’école sont ceux qui potentiellement occuperont dans
l’avenir une place en marge de la société. Le lien est donc fait entre désocialisation et échec
scolaire. L’accompagnement scolaire se conçoit comme un « espace intermédiaire », comme
nouvelle instance de socialisation en dehors de la famille et de l’école, et accueillant les
« exclus » du système éducatif. Contrairement à aujourd’hui où les dispositifs travaillent en
partenariat avec l’école et utilisent parfois même sa structure, l’éducation populaire visait
surtout les enfants en dehors du système et appartenant aux milieux populaires.
En outre, les concepts sociologiques d’« acculturation à l’école » ou de « métier d’élève »
font leur apparition et l’on est conscient que pour réussir à l’école, il faut « apprendre l’école
pour apprendre à l’école » (Chartier, 1992, 1994
91). Ces nouvelles considérations vont
entraîner l’évolution des contenus des apprentissages scolaires et le système éducatif se trouve
partagé entre une exigence de qualité des savoirs transmis d’une part, et d’autre part,
l’exigence d’évaluer ses élèves dans un système massifié où la compétition entre élèves et la
rentabilisation des efforts de scolarisation sont de mise.
L’école en mutation laisse place à une nouvelle action en marge de l’école avec toujours pour
objectif la réussite scolaire. La politique de lutte contre l’échec scolaire fixe un de ces enjeux
dans l’accompagnement scolaire réservé aux publics « difficiles » jugés en partie responsables
de l’insécurité par le grand public, ce qui légitime l’intervention des travailleurs sociaux au
sein des dispositifs en marge de l’école. En effet, la scolarité étant le passage obligé pour
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l’insertion sociale, les travailleurs sociaux s’impliquent notamment dans les Zones
d’Éducation Prioritaire, en affirmant posséder des compétences pour aider les élèves en
difficulté, considérés plus comme « enfants » qu’« élèves ». Ceci laisse donc place à
l’émergence de ces travailleurs aux côtés des enseignants et autres professionnels du système
éducatif. Ces travailleurs sociaux des « quartiers » se constituent en association(s) dans une
démarche d’accompagnement des publics en difficulté.
Le monde associatif des quartiers va également s’impliquer dans la question de
l’immigration : les populations immigrées aspirant à rester en France, il est du devoir des
associations de s’occuper des enfants en plus des adultes dans leur intégration. Les
municipalités participent aussi en créant de nouveaux dispositifs qui ont pour vocation d’aider
les jeunes en difficulté, la scolarisation apparaissant comme essentielle pour l’intégration et
l’insertion professionnelle et sociale.
C’est le début de l’institutionnalisation qu’illustre l’apparition de termes chez les
professionnels tels que « partenaires du système éducatif » ou « acteurs et usagers » dans la
circulaire d’inauguration des ZEP en 1981. Ces termes seront employés pendant toute la
décennie dans les différentes applications institutionnelles visant l’échec scolaire. De plus, la
décentralisation et les nouvelles politiques publiques ont laissé un champ d’action plus large
pour les collectivités dont l’implication peut s’expliquer tout d’abord par la lutte contre le
chômage (en lien direct avec l’échec scolaire) ou la délinquance (Duru-Bellat et Van Zanten,
2006). On assiste alors à la création par les municipalités de véritables politiques éducatives
locales dont l’école est le centre.
III.1.2. L’essor de l’accompagnement à la scolarité après 1981
En réaction aux problèmes d’échec et d’intégration, la circulaire datée de 1981 accompagnant
la mise en place des Zones d’Éducation Prioritaire et proposant de l’aide scolaire aux enfants
d’immigrés, fait office de point de départ de la politique en matière d’accompagnement à la
scolarité. Dans cette circulaire, les associations sont appelées à créer des études dites
« assistées » pour les élèves issus de l’immigration.
En 1990, le dispositif s’étend avec la création des Actions Educatives Périscolaires (AEPS) à
destination des élèves étrangers et d’origine étrangère ainsi qu’aux élèves des Zones
139
d’Éducation Prioritaire. C’est en 1992 que la première Charte de l’accompagnement scolaire
apparaît, à la suite de laquelle les Réseaux Solidarité École (RSE) sont créés. Le début des
années 1990 voit les dispositifs expérimentaux AEPS et RSE s’élargir sur le territoire en
intégrant tous les élèves des Zones et en passant progressivement de l’école au collège puis au
lycée. En 1996, les Contrats Locaux d’Accompagnement à la scolarité (CLAS) sont créés à
destination des élèves de ZEP et de Zones Urbaines Sensibles (ZUS) des premier et second
degrés. Les CLAS sont étendus à tous les élèves français en 1999.
Depuis 1981, année charnière dans la lutte contre l’échec scolaire en France, les dispositifs se
sont donc multipliés et développés, mais en l’an 2000, certainement dans une volonté
d’uniformisation, les AEPS, RSE et CLAS fusionnent en un seul contrat local
d’accompagnement à la scolarité. Rapidement, une nouvelle Charte de l’accompagnement à la
scolarité est signée en 2001. Elle se fonde sur la Charte de 1992 et réaffirme la volonté de
l’État de s’occuper de la difficulté scolaire en ciblant un public large (6-16 ans) dont l’objectif
est la réconciliation de l’élève avec l’école, le renforcement de ses repères et un accès facilité
à la culture. En incitant le travail en partenariat avec les collectivités locales, le gouvernement
rappelle dans sa circulaire de rentrée en 2005, l’importance de l’action éducative locale
partenaire de l’institution et des dispositifs mis en place.
La multiplication de ces dispositifs semble signifier l’évolution du modèle scolaire classique
vers un « nouvel âge de l’organisation scolaire » (Barrère, 2013, p. 96). Cette évolution prend
compte des différences qui s’individualisent au sein d’un système éducatif ayant pour
vocation historique de les réduire. Aujourd’hui sur le territoire français, le nombre de
dispositifs d’accompagnement scolaire, tout comme le nombre de participants, reste en effet
très complexe à évaluer, tant la diversité des dispositifs est importante (Barrère, 2013). De
plus, les temps périscolaires sont soumis à des changements fréquents à la fois au niveau local
mais aussi au niveau national, la réforme des rythmes scolaires mise en place à la rentrée 2013
en est la preuve. Il est nécessaire d’évoquer les grandes lignes de cette réforme car, par la
réorganisation du temps scolaire et du temps extra-extrascolaire, les dispositifs
d’accompagnement à la scolarité (et notamment le dispositif en place sur notre terrain
d’enquête) en sont impactés. Cette réforme a pour objectif principal d’adapter le temps
scolaire hebdomadaire au rythme des apprentissages des élèves. La semaine de classe est
désormais répartie sur les cinq jours de la semaine afin d’alléger le temps en classe chaque
jour. L’ambition étant de permettre aux élèves de « mieux apprendre et de favoriser la
140
réussite de tous les élèves », l’organisation des activités périscolaires est renforcée avec la
mise en place d’un projet éducatif territorial (PEDT) afin de « garantir une continuité
éducative entre les projets des écoles et les activités proposées aux élèves en dehors du temps
scolaire et offrir à chaque enfant un parcours éducatif cohérent et de qualité » (Ministère de
l’Éducation Nationale et de l’Enseignement Supérieur, 2014a). La journée de classe
s’achevant désormais à 16h05, les dispositifs périscolaires sont également réformés : un
temps d’activités périscolaires (TAP, ou NAP pour « nouvelles activités périscolaires ») est
proposé jusqu’à 16h50 et les dispositifs d’accompagnement à la scolarité doivent donc,
localement, s’adapter à celle nouvelle organisation du temps périscolaire
92. La réforme des
rythmes scolaires n’étant suivie par toutes les écoles françaises que depuis la rentrée 2014, il
est encore prématuré de tirer un quelconque enseignement ou résultat de cette nouvelle
organisation du temps périscolaire.
III.1.3. Des dispositifs multiples et un public large
Compte-tenu de la multiplication des dispositifs et des appellations, la désignation
sociologique de l’objet « accompagnement scolaire » est-elle possible et fait-elle sens ? Sur le
plan institutionnel, il existe une uniformité de l’appellation avec un processus d’homologation
institutionnelle de la dénomination des dispositifs, mais l’unité sociologique n’en découle pas.
Elle part d’un constat de la situation du système éducatif : il y a un impact de plus en plus
conséquent de la réussite scolaire sur l’avenir des élèves avec un accroissement de la
compétitivité de l’école. Le rôle primordial de l’école semble être dans la détermination des
carrières scolaires donc face à cela, les familles tentent de mettre toutes les chances de
réussite du côté de leurs enfants et l’accompagnement scolaire peut être une des formes
possibles d’accès à la réussite. Ce sont tous ces enjeux qui sont contenus dans l’expression
sociologique d’« accompagnement scolaire ».
Le développement de l’accompagnement scolaire suit deux logiques qui peuvent caractériser
l’évolution des dispositifs et la situation actuelle. La politique actuelle tend vers le
92 Dans le chapitre suivant, nous reviendrons plus en détails sur l’organisation du dispositif d’accompagnement
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développement et la multiplication des dispositifs d’aide aux élèves, ceci sans doute face au
constat de la réalité que sont la difficulté scolaire, le problème de l’écart de performances et
de réussite des élèves. La déclinaison de l’évolution de l’aide institutionnalisée s’est d’une
part déroulée en quantité par la mobilisation de ressources supplémentaires et d’autre part en
qualité par le changement des pratiques et de l’organisation pédagogique.
L’évolution de la politique en ce sens entraîne une multiplicité de l’offre (associations et ville)
avec une institutionnalisation en marche (système éducatif) que l’on peut constater ces
dernières années, d’où la difficulté de les caractériser. Suchaut (2009) propose donc de classer
les dispositifs selon les critères suivants : temps consacré à l’aide, statut des intervenants et
organisation, contenu éducatif
93.
Le public accueilli dans les dispositifs n’est pas homogène, notamment parce que la
motivation principale ne concerne pas uniquement la difficulté scolaire. Ces disparités
peuvent s’expliquer par les caractéristiques d’organisation de l’accompagnement scolaire et
par ses objectifs, parmi lesquels les élèves peuvent y trouver un intérêt pour leur scolarité. On
ne trouve pas que des élèves en difficulté scolaire : les bons élèves y cherchent un cadre
propice au travail qu’ils ne peuvent pas toujours avoir au domicile familial (même s’ils sont
encouragés par leurs parents), ce qui est en accord avec les objectifs de l’accompagnement à
la scolarité voulant offrir à tous les élèves les conditions de réussite scolaire. Les élèves
moyens sont aussi présents dans les dispositifs, à la recherche d’encouragements pour se
mettre au travail mais aussi d’un soutien des animateurs. Quant aux élèves en difficulté,
n’étant pas le public principalement ciblé par les textes – car ils sont identifiés comme ayant
plus besoin de « soutien » que d’« accompagnement » – venir aux séances d’accompagnement
relève plus d’une perte de temps car ils n’ont pas été préalablement aidés à l’école pour
comprendre ce qui leur est demandé. Les enseignants se reposent parfois trop sur ces
dispositifs, demandant aux animateurs de pallier les difficultés de ces élèves alors qu’ils ne
sont pas formés pour.
93 Lorsque nous présenterons, dans le quatrième chapitre, le dispositif d’accompagnement scolaire suivi par les
142
Néanmoins, il existe un désir courant chez les parents d’inscrire leurs enfants aux séances
d’accompagnement scolaire car ils pensent que les dispositifs peuvent leur apporter ce qu’ils
ne se sentent pas eux-mêmes capables d’assumer (Glasman et Besson, 2004). Ces parents sont
conscients (ou non) de leur manque de « capital culturel » et/ou du trop peu d’informations
quant aux attentes explicites et implicites de l’école (curriculum formel et curriculum caché).
Le plus souvent, la démarche est volontaire de la part des parents qui tentent d’offrir toutes les
chances de réussite à leurs enfants ou parfois, ils se laissent convaincre par les enseignants.
Toutefois, il reste difficile de dénombrer les effectifs car les dispositifs sont bien trop
nombreux et présentent des disparités ne permettant pas aux instances nationales de les
recenser. Quelques chiffres ont été donnés en l’an 2000 : on dénombrait alors entre 120 et 150
000 élèves bénéficiant de l’accompagnement scolaire (Glasman et Besson, 2004). Ce chiffre
reste approximatif car il dépend du contexte local et bien que l’accompagnement scolaire ait
principalement lieu dans les ZEP, ces élèves ne sont pas les seuls à y participer.
Pour conclure, nous pouvons dire que la déclinaison des dispositifs locaux est multiple, car
tous les acteurs locaux tentent d’adapter leur programme au public accueilli. De plus,
l’organisation des temps périscolaires relevant des autorités locales (point central de la
réforme des rythmes scolaires), avec une si grande diversité, pose donc le problème de
l’évaluation de ces dispositifs ainsi que ceux de leur gestion ou de leurs financements. En
effet, il n’est pas suffisant de mettre en place des programmes sans en mesurer les effets
produits. Cette question de l’évaluation des effets est tout de même délicate (Glasman, 2001)
car elle est sous-tendue d’enjeux politiques notamment, mais aussi de problèmes plus
méthodologiques comme la place de l’évaluateur ou la définition de l’objet évalué. Une
évaluation généralisée des dispositifs sur tout le territoire n’est donc pas réaliste, mais il existe
tout de même de nombreuses études de dispositifs locaux analysant leur effet sur la réussite
des élèves. Nous allons en citer à présent quelques-unes.
Dans le document
Les compétences sociales et la réussite scolaire des élèves de cycle III : l'effet de l'accompagnement scolaire
(Page 146-153)