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L’approche par compétences et son évaluation : une pratique élitiste ?

CHAPITRE 1 Les compétences sociales : de quoi parle-t-on ?

I. L A NOTION DE COMPETENCE

I.4. Le débat autour de la notion de compétence : la question de l’évaluation

I.4.3. L’approche par compétences et son évaluation : une pratique élitiste ?

Certains chercheurs insistent sur le caractère inégalitaire de l’approche par compétences et

notamment son évaluation, qui ne ferait qu’augmenter les différences de réussite entre élèves :

« Adopter pour critère de compétence la résolution de problèmes à la fois complexes et

inédits, c’est confronter les élèves à un niveau d’exigences extrêmement élevé, niveau que la

grande majorité n’atteindra probablement pas du simple fait de la haute probabilité des

erreurs de mesure. Par erreur de mesure, nous signifions ici le fait de déclarer incompétents

des élèves qui ne le sont pas moins que leurs condisciples qui réussissent à l’épreuve »

(Crahay, 2006, p. 103). L’auteur prend en exemple une tâche à réaliser qui ferait appel à six

procédures différentes pour la réussir. Si les élèves ne maîtrisent pas une des six procédures,

ils ne peuvent pas réussir l’épreuve. Or, maîtriser ces procédures est nécessaire mais pas

suffisant : en effet, l’élève doit aussi présenter une analyse du problème afin d’identifier les

procédures à mettre en place – ce qui ne signifie pas qu’il est incompétent. L’approche par

compétences risque de confondre la situation d’apprentissage et la situation évaluative, ce qui

dans ce cas, retire tout droit à l’erreur.

En ce sens, la pédagogie centrée sur les compétences serait donc une pratique inégalitaire et

élitiste, autant qu’une pédagogie centrée sur la transmission de savoirs, contre laquelle s’est

pourtant érigée l’approche par compétences (Planche, 2012). Ceci aurait en effet pour

conséquence l’accroissement ou en tous cas, le maintien des inégalités d’apprentissage mises

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au jour lors de l’évaluation des élèves, voire même une forme de légitimation des inégalités.

Duru-Bellat (2015) signale en ce sens que le recours à la compétence peut être « une version

euphémisée de la quête des dons, des aptitudes ou du mérite des élèves, contrainte par

l’existence d’évaluations et de classements qui seraient ainsi légitimés (Duru-Bellat, 2009) »

(p. 21). Rey et Carette (2010

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) déclarent à ce propos que « si toute évaluation de compétence

devrait porter sur des tâches complexes et inédites […], nous partagerions alors l’idée que

l’approche par compétences augmente dangereusement le niveau d’exigence et entraînerait

rapidement une hausse importante de l’échec scolaire » (p. 7). Ce débat semble loin d’être

clos parmi les acteurs du système éducatif.

En conclusion, les sujets de controverse relevants de la définition et de l’évaluation de la

compétence sont multiples mais les chercheurs, les décideurs politiques et les acteurs du

système éducatif tendent tout de même à parvenir à un consensus sur certains aspects. Les

travaux sur la notion de compétence sont effectivement nombreux mais il paraît nécessaire de

revenir, comme nous avons tenté de le faire, sur cette notion complexe afin de délimiter le

cadre de notre travail. Relever les arguments des détracteurs de l’approche par compétence

permet effectivement de prendre conscience de la complexité du concept mais surtout de

contribuer à l’enrichissement de la définition que nous tentons d’établir pour ce travail de

thèse.

Rappelons alors les apports principaux de cette première partie : la compétence n’existe

qu’en actes et se mobilise en situation, dans un contexte donné, fonctionnant comme un

réseau intégré. Elle nécessite la mobilisation de plusieurs ressources pour la résolution

d’une tâche complexe, ressources externes mais surtout internes qui s’organisent selon

un trio de savoirs (savoirs, savoir-faire et savoir-être). Les compétences se constituent en

un système dynamique, pouvant être transversales (aux domaines et situations),

complémentaires (entre elles), interdépendantes et/ou évolutives (dans le temps).

Le travail de définition de la compétence nous a permis d’opter dans cette recherche, pour une

triologie de compétences, dans le sens des travaux de Paul et Suleman (2005) qui définissent

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les compétences théoriques, pratiques et comportementales. Renvoyant à la troisième

dimension de cette typologie, les « compétences sociales » sont l’objet central de cette thèse.

Tant d’un point de vue théorique qu’empirique, ces compétences semblent en effet jouer un

rôle important dans la vie des individus.

Illustrant cette double approche théorique et empirique, l’OCDE a publié un rapport sur l’effet

des compétences sociales et émotionnelles sur la réussite à long terme des individus : les

auteurs de ce rapport (OCDE, 2015) accordent à la fois une place théorique centrale aux

compétences sociales, tout en démontrant empiriquement leur importance dans la vie des

individus. Le rapport s’ouvre d’ailleurs sur la phrase suivante : “Children and adolescents

need a balanced set of cognitive, social and emotional skills in order to succeed in modern

life” (p. 3). L’on peut traduire cette citation ainsi : « Les enfants et les adolescents ont besoin

d’un ensemble équilibré de compétences cognitives, sociales et émotionnelles pour réussir

dans la vie moderne ». Ce positionnement théorique pris par les auteurs du rapport signifie

que toutes les compétences sont utiles dans la vie des individus.

Les compétences cognitives d’une part et sociales et émotionnelles d’autre part, composent la

typologie entre deux catégories des compétences définies par l’OCDE. Le schéma suivant

résume les différentes compétences et leur définition.

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Figure 4 – Définition des compétences (source : OCDE, 2015)

Cette figure illustre la dichotomie des compétences selon l’OCDE tout en symbolisant le

poids équivalent accordé à deux natures de compétences : les compétences cognitives d’une

part et les compétences sociales et émotionnelles d’autre part. Le poids de ces dernières dans

l’explication des différences des parcours individuels de formation et professionnels paraît de

plus en plus important dans les recherches en Éducation, en Psychologie ou en Économie.

Ceci nous incite à porter un intérêt particulier à cet objet en construction.

II. Les compétences sociales

Dans la première partie de ce chapitre, nous avons présenté des éléments pour définir la

notion de compétence. Il est désormais nécessaire de revenir plus en détails sur la définition

des compétences sociales. Troisième volet du triptyque des compétences précédemment

Cognitives : - capacité intellectuelle à acquérir des connaissances, des idées et de l’expérience - interpréter, réfléchir et concevoir à partir des connaissances acquises

Sociales et émotionnelles : Capacités individuelles qui :

- se manifestent par des pensées, sentiments et comportements

- qui peuvent se développer au travers d’expériences d’apprentissage formelles et informelles

- et qui influencent de nombreux résultats socio-économiques tout au long de la vie de l’individu Utilisation des connaissances : - réfléchir - raisonner - conceptualiser

Atteinte des buts : - persévérance - autodiscipline - passion pour les objectifs Travail avec les autres : - sociabilité - respect - bienveillance Gestion des émotions : - estime de soi - optimisme - confiance en soi Capacités cognitives de base : - reconnaissance des formes - vitesse de traitement - mémoire Connaissances acquises : - mobiliser/accéder - utiliser/extraire - interpréter

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présenté, la compétence sociale revêt certains aspects particuliers, bien qu’on puisse tout de

même lui attribuer des caractéristiques communes à la notion de compétence.

Le débat autour de la définition et de l’évaluation de la compétence existe particulièrement à

propos de la compétence sociale. Une réflexion doit s’engager avant tout sur les termes à

employer pour la désigner. Nous tenterons ensuite de recenser les définitions et les

caractéristiques attribuées à la compétence sociale et nous pourrons alors analyser quelques

typologies des compétences sociales afin d’en préciser la définition.