CHAPITRE 3 Les compétences sociales et la réussite des élèves
IV. D ES VARIABLES EXPLICATIVES DE LA REUSSITE DES ELEVES
IV.1. Les déterminants classiques de la réussite scolaire
IV.1.3. L’environnement scolaire
Ces facteurs contextuels, liés à l’environnement scolaire de l’enfant, doivent entrer dans les
modèles d’explication des différences de réussite car, à caractéristiques individuelles égales,
des différences peuvent encore être observées entre les élèves et cela en fonction de leur « lieu
de scolarisation » (Suchaut, 2004). En effet, « l’école n’est pas qu’une simple chambre
d’enregistrement des différences initiales entre élèves » (Bressoux, 2009, p. 131). L’effet du
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contexte de scolarisation convient d’être intégré au processus d’explication des différences de
réussite.
Traditionnellement, trois niveaux sont identifiés parmi les facteurs contextuels de
l’environnement scolaire de l’élève : son enseignant, sa classe et son établissement. On parle
ainsi « d’effet-maître », « d’effet-classe » et « d’effet-établissement » (Mingat, 1991 ;
Bressoux, 1994, 2009 ; Grisay, 1997 ; Felouzis, 1997). L’effet-maître peut être envisagé à
partir des pratiques pédagogiques mises en place par les enseignants, mais aussi de leur
ancienneté, de leurs caractéristiques personnelles ou encore des représentations qu’ils ont de
leurs élèves. Cet effet-maître présente d’ailleurs un poids plus important sur le niveau
d’acquisition des élèves en fin de CP que le niveau social des familles (Bressoux, 1994). Cet
effet-maître est à mettre en lien avec le jugement des enseignants. Le jugement des maîtres est
d’autant plus décisif dans le parcours des élèves qu’il conditionne leur réussite, notamment
par la notation scolaire, ne reflétant pas en revanche la seule performance scolaire des
apprenants : les caractéristiques individuelles, sociodémographiques et scolaires des élèves
interviennent dans ce jugement scolaire que l’on peut alors qualifier de « subjectif ». Bien que
ce jugement ne soit pas uniquement fondé sur les seules performances scolaires des élèves, il
reste néanmoins relativement conforme à la valeur scolaire des élèves, tout en reposant
également sur la « valeur sociale » des élèves (Bressoux, 2003). Ce jugement influe sur la
réussite
101, tout comme les modalités d’organisation de l’environnement scolaire (Bressoux et
Pansu, 2003).
Concernant l’effet-classe, c’est la composition de la classe qui est mesurée, tant du point de
vue social que du niveau scolaire général, intervenant à la fois sur le jugement des enseignants
et sur le parcours des élèves (Bressoux et Pansu, 2003 ; Bressoux, 2009). L’effet de
composition peut également se retrouver au niveau de l’établissement (school mix et
effet-établissement, Grisay, 2006 ; Felouzis et Perroton, 2007). Dans le cas de l’école primaire, les
effets classe et établissement ne jouent que très peu, voire pas du tout, face à l’effet-maître
(Suchaut, 2004).
101 Ce jugement varie d’un enseignant à l’autre car certains biais peuvent intervenir et modifier le jugement. On
parlera de prophétie auto-réalisatrice lorsqu’un décalage existe entre le jugement des enseignants et les performances effectives des élèves (Bressoux, 2003).
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Même dans un modèle des plus complets, dans lequel on aurait la possibilité de prendre en
compte ces trois indicateurs contextuels (enseignant, classe, établissement), auxquels on
ajouterait les variables liées aux caractéristiques individuelles, la part de variance inexpliquée
resterait encore importante. Autrement dit, la recherche en Éducation ne parvient pas encore à
identifier tous les indicateurs qui entrent en jeu dans l’explication des inégalités de réussite
– une telle démarche restant fortement complexe à mettre en place. Dans ce travail de thèse,
nous proposons d’apporter des éléments supplémentaires en considérant les compétences
sociales comme l’une des variables explicatives de la réussite des élèves. En effet, quelques
recherches commencent à montrer l’importance de ces compétences pour la réussite des
élèves.
IV.2. Les compétences sociales et la réussite des élèves
Les recherches évaluant l’impact des compétences sociales dans le champ scolaire sont encore
peu nombreuses. Même si elles ne désignent pas directement les compétences étudiées dans
ce travail en tant que telles, nous retrouvons dans la recherche en Éducation plusieurs preuves
de l’importance des comportements pour la réussite des élèves. En effet, les compétences
sociales semblent nécessaires à la réussite scolaire, elle-même prédictive du futur économique
et social des individus. Bowles et Gintis (1976) parlaient déjà du poids de ce type de
compétences en évoquant le poids de la persévérance dans les tâches scolaires ou encore de la
régularité dans les apprentissages et le travail scolaire d’un élève. Ces auteurs insistent sur
l’effet des compétences sociales telles que la persévérance et sur leur caractère prédictif à
court et à long terme, c’est-à-dire à la fois pour les résultats scolaires des élèves et pour leur
vie future (la réussite ayant dans ce cas un rôle de médiateur des résultats futurs).
Selon Heckman et Rubinstein (2001), il est en effet désormais connu qu’en dehors du champ
académique, la motivation, la ténacité, le sérieux ou la persévérance sont des
« comportements » importants pour réussir dans la vie. Il existe en effet de nombreux
exemples d’individus avec un QI élevé qui ne réussissent pas et d’autres avec moins de
capacités cognitives qui réussissent grâce à leur persévérance ou leur autodiscipline. Il paraît
donc étonnant, d’après ces auteurs, que les débats autour des compétences scolaires ne se
focalisent que sur les capacités cognitives, tout en laissant de côté les compétences «
non-cognitives », c’est-à-dire les compétences sociales. De plus, la plupart des réformes
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éducatives insiste sur la nécessité de mesurer les performances à l’aide de tests cognitifs. Les
tests standardisés les plus largement répandus dans l’évaluation et pour la sélection à l’école
se fondent sur la croyance selon laquelle ces compétences représentent l’essentiel de la
réussite scolaire. Le manque d’analyse de l’effet des compétences non-cognitives sur les
revenus, la scolarité ou d’autres résultats provient notamment de l’absence de mesure
pertinente des compétences. Il est ainsi important de mesurer les compétences non-cognitives
et de ne pas se fier uniquement aux tests d’aptitudes cognitives ou aux tests de réussite pour
mesurer les performances des élèves (Heckman, Humphries et Mader, 2011).
Ces recherches américaines (Bowles et Gintis, 1976 ; Heckman et Rubinstein, 2001 ;
Heckman, Humphries et Mader, 2011) restent relativement larges car elles traitent de l’effet
des compétences sociales sur la réussite de la vie des individus. Pour compléter ces travaux à
visée politique notamment, nous pouvons citer des recherches travaillant plus précisément sur
l’effet des compétences sociales sur les performances scolaires et les compétences cognitives,
indicateurs de la réussite scolaire. Les compétences sociales des élèves semblent en effet
exercer un effet sur le fait de suivre une formation, de s’intégrer dans la vie scolaire et sociale
et être fondamentales pour la réussite des élèves (Epinoux et Lafont, 2014).
Tout d’abord, nous montrerons qu’un impact des compétences sociales a été démontré sur la
réalisation des tâches cognitives et sur la mise en situation d’apprentissage. Nous verrons
ensuite, dans le champ théorique du capital émotionnel, quelles sont les compétences qui
jouent sur la réussite des élèves. Enfin, nous envisagerons le poids des compétences sociales
en comparaison avec l’effet des compétences cognitives.
Dans le document
Les compétences sociales et la réussite scolaire des élèves de cycle III : l'effet de l'accompagnement scolaire
(Page 166-169)