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Les comportements intra-individuels ayant un effet positif sur les revenus

CHAPITRE 2 Les compétences sociales : un prolongement de la théorie du capital

II. L ES COMPETENCES SOCIALES ET LES PARCOURS DES INDIVIDUS

II.3. Les compétences sociales et la détermination des revenus

II.3.2. Les comportements intra-individuels ayant un effet positif sur les revenus

La persévérance

Certains chercheurs en Psychologie se penchent sur des problématiques économiques afin de

déterminer les liens entre les « traits psychologiques », les compétences sociales d’un individu

et ses résultats sur le marché du travail. La persévérance face à une tâche, que l’on retrouve

dans la classification des BigFive, a été l’objet de travaux des chercheurs suédois Andersson

et Bergman (2011) qui la définissent ainsi : la persévérance face à une tâche est la capacité à

persévérer et à maintenir son attention, même en présence de distractions internes ou externes.

Leurs travaux analysent l’impact de cette compétence au cours de l’enfance, et plus

précisément à l’adolescence, sur le salaire des individus plusieurs années plus tard.

Au vu des résultats de cette recherche, l’effet positif de la persévérance sur les revenus semble

bien réel mais reste indirect. En effet, la persévérance à l’âge de 13 ans influence la réussite

académique, les notes et les aspirations des adolescents qui sont des facteurs déterminant le

futur statut socio-professionnel. L’effet de la persévérance sur les salaires transite par une

autre variable : la persévérance à l’adolescence a un effet significatif sur le statut

professionnel entre 43 et 47 ans, qui lui fait partie des facteurs expliquant le niveau de salaire

(Andersson et Bergman, 2011). La capacité à être persévérant à l’adolescence semble ainsi

avoir un impact positif sur le salaire quelques décennies plus tard.

L’image de soi

Depuis longtemps, tout un pan de la recherche tente de compléter les modèles de Becker qui

indiquent que la productivité d’un individu et donc son salaire dépendent fortement de

61 Nous ne parlons pas ici directement de compétences sociales intra-individuelles car le contenu de cette partie renvoie à des travaux sur la persévérance d’une part et l’image de soi et le locus de contrôle (dimension de l’image de soi) d’autre part. Ces deux dernières dimensions interrogent sur leur statut théorique et méthodologique. Cette question sera de nouveau abordée dans la suite de la revue de la littérature et au moment des démonstrations méthodologiques.

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l’accumulation en capital humain. L’hypothèse émise suggère que le salaire est aussi

influencé par d’autres variables. En outre, des comportements et compétences sociales

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comme la perception de soi, l’attitude face au travail ou la vision de la vie, peuvent également

agir sur le salaire. Le capital humain est considéré principalement comme étant le déterminant

des compétences professionnelles (Grossman, 1972), mais la quantité et la qualité du travail

fourni par un individu dépendent aussi de l’image de soi, qui se traduit dans ses attitudes face

au travail. Erikson (1959) montrait déjà qu’un individu sain psychologiquement, c’est-à-dire

présentant une bonne estime de soi, est plus productif. En effet, l’estime de soi influence

positivement la productivité de deux façons (Brockner, 1988) : (i) les employés qui présentent

une bonne estime de soi ont tendance à utiliser leur temps plus efficacement et, (ii) les

employés avec une estime de soi forte utilisent plus efficacement les temps de travail en

groupe en démontrant leur capacité à envisager un large éventail de solutions face à un

problème et en étant des décideurs plus confiants. À l’aide des mesures de Rotter et de

Rosenberg évaluant respectivement le locus de contrôle et l’estime de soi des individus,

Goldsmith, Veum et Darity (1997) ont démontré qu’il existait un effet significatif de l’estime

de soi sur la détermination des salaires, le locus de contrôle interne étant l’un des facteurs

explicatifs d’une bonne image de soi. Ce résultat indique donc qu’un employé ayant une

perception de soi positive aura plus de chances de toucher un salaire élevé que celui ayant une

faible estime de soi.

L’hypothèse selon laquelle l’estime de soi à l’adolescence prédit le salaire futur a également

été testée par Murnane et al. (2001). Ils travaillent à partir de l’enquête National Longitudinal

Survey of Youth menée aux États-Unis, qui renseigne les compétences cognitives des hommes

pendant la scolarité secondaire, leurs caractéristiques familiales ainsi qu’une mesure de la

réussite sur le marché du travail à partir du niveau de salaire. Ces données sont complétées

par une mesure de Rotter à partir de laquelle les chercheurs ont pu déterminer l’estime de soi

des individus (à partir de Goldsmith, Veum et Darity, 1997, et qui ont démontré que le niveau

de locus de contrôle prédisait l’estime de soi et le salaire des individus sept ans plus tard).

62 Nous distinguons ici « comportements » et « compétences sociales » car l’estime de soi et tous les

comportements intra-individuels qui relèvent de l’image de soi ne peuvent pas être traités au même niveau que les autres compétences sociales. Les travaux analysés au chapitre 3 et les analyses empiriques dans les chapitres suivants sont réalisés en ce sens.

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Goldsmith, Veum et Darity (1997) ont ainsi démontré que lycéens présentant une forte estime

de soi gagnaient davantage vingt ans plus tard ; Murnane et al. (2001) expliquent ces résultats

en soulignant que les individus avec une forte estime de soi seraient plus aptes à travailler

ensemble et plus persévérants que les autres, ces deux attitudes étant des compétences

sociales appréciées et récompensées par les employeurs.

Le locus de contrôle

Les modèles économiques de la réussite scolaire ont tendance à négliger les perspectives

d’orientation et les souhaits des adolescents en tant que facteur jouant sur leurs décisions

éducatives et leur orientation. Ces perspectives sont importantes parce que les adolescents qui

croient que le succès sur le marché du travail dépend moins de leurs investissements en

capital humain que de leur chance, de leur destin ou d’un autre facteur externe, sont plus

susceptibles de décrocher pendant le secondaire ou d’échouer avant le supérieur (Coleman et

Deleire, 2003). D’un autre côté, les adolescents qui croient que leurs investissements en

capital humain ou d’autres facteurs internes peuvent avoir un impact sur leurs futures

opportunités sont plus susceptibles d’achever leur scolarité et d’entrer à l’université. En effet,

le locus de contrôle des adolescents est une variable pertinente dans le modèle

d’investissement en capital humain car les chercheurs en éducation ont reconnu depuis

longtemps le lien entre le locus de contrôle et la réussite à l’école. Dans le rapport Coleman

(1966), le locus de contrôle était déjà identifié comme un facteur lié à la réussite des élèves.

Le locus de contrôle étant lié à la prise de décisions des individus, l’hypothèse posée par

Coleman et Deleire (2003) envisage le locus de contrôle interne comme un facteur favorisant

les investissements en éducation. En travaillant à partir des données de la National

Educational Longitudinal Survey, ils ont pu mesurer l’effet du locus de contrôle sur des

variables de réussite scolaire comme le diplôme d’études secondaires qui est lui-même

prédictif des revenus futurs. Le locus de contrôle interne semble donc avoir un effet positif

indirect sur le salaire en étant prédictif du diplôme d’études secondaires, du statut

professionnel et de la réussite professionnelle. L’élève qui attribue sa réussite à ses propres

capacités et non à des facteurs externes est plus susceptible de faire les choix éducatifs le

menant à une carrière professionnelle valorisée par un salaire plus élevé.

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