CHAPITRE 2 Les compétences sociales : un prolongement de la théorie du capital
II. L ES COMPETENCES SOCIALES ET LES PARCOURS DES INDIVIDUS
II.4. Le lien entre compétences sociales et réussite professionnelle
Pour clore ce chapitre, nous pouvons citer la méta-analyse réalisée en 2010 par Cobb-Clark
intitulée The Link Between Personality and Labor Market Outcomes dans laquelle l’auteure
recense les compétences sociales qui ont un impact sur les salaires, l’emploi occupé, la
recherche d’emploi et le succès sur le marché du travail. Ce travail présente l’effet des
compétences sociales sur la réussite professionnelle, qui se joue à plusieurs niveaux, car les
différentes dimensions comme l’insertion ou le salaire sont représentées.
Cette méta-analyse est proposée sous la forme de ce tableau adapté de la présentation faite
pour la Spencer Foundation Conference Series on Individual Differences and Economic
Behavior (décembre 2010).
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Impact sur … Compétence Références
… le salaire
le locus de contrôle interne (effet positif sur le
salaire)
Etrisani (1977, 1981) ; Osborne
Groves (2005) ; Semykina et
Linz (2007) ; Duncan et
Morgan’s (1981) ; Duncan et
Dunifon (1998) ; Anger et
Heineck (2010)
les compétences des Big Five (impact sur le
salaire)
Mueller et Plug (2006) ; Nyhus
et Pons (2005) ; Cobb-Clark et
Tan (2011)
les différences de personnalité selon le genre :
ces différences ont un rôle significatif mais
modeste dans l’explication des différences de
salaire entre hommes et femmes
Braakmann (2009) ; Fortin
(2008) ; Linz et Semykina
(2008) ; Manning et Swaffeld
(2008) ; Mueller et Plug (2006) ;
Tan (2009) ; Cobb-Clark et Tan
(2011) ; Antecol et Cobb-Clark
(2010)
… l’emploi
occupé
le locus de contrôle interne : associé à des
emplois supérieurs et à une évolution de
carrière plus rapide
Etrisani (1977)
les choix de type d’emploi sont conduits en
partie par la personnalité
Filer (1986) ; Borghans, Ter
Weel, et Weinberg (2008) ;
Krueger et Schkade (2008) ;
Ham et al. (2009)
la personnalité est liée à la tendance à travailler
à temps-plein Braakmann (2009)
les femmes occupent des emplois plus sûrs ou
des emplois moins bien rémunérés car elles ont
tendance à prendre moins de risques que les
hommes
DeLeire et Levy (2004) ; Grazier
et Sloane (2008) ; Bonin et al.
(2007)
les traits de personnalité comme l’intelligence
auto-évaluée, l’impulsivité et les trais dits
« masculins », sont importants mais incomplets
pour expliquer les différences de genre pour les
études et le type d’emploi occupé
Antecol et Cobb-Clark (2010)
… la recherche
d’emploi
le locus de contrôle interne est associé à une
plus forte probabilité de retrouver un emploi et
une période de recherche d’emploi plus courte
Gallo et al. (2003) ;
Uhlendorff (2004)
le locus de contrôle interne est associé à une
plus forte intensité dans les recherches
d’emploi, avec des prétentions salariales plus
élevées et il apparaît que le locus de contrôle
joue sur le comportement de recherche via les
croyances sur l’efficacité de la recherche plutôt
que via les croyances sur sa propre productivité
McGee (2010) ; Caliendo et al.
(2010)
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l’impatience des employés
… le succès sur
le marché du
travail
l’auto-évaluation positive et l’auto-efficacité
élevée sont positivement corrélées avec le fait
d’accepter des emplois plus difficiles, une
meilleure performance en emploi et une
meilleure réussite future
Judge et al. (2000) ; Judge et
Bono (2001) ; Judge et Hurst
(2007)
des données expérimentales suggèrent que les
différences entre sexes, souvent observées dans
la prise de risques et les comportements
concurrentiels, dépendent du contexte social
Booth et Nolan (2009a/b)
Tableau 3 – The Link Between Personality and Labor Market Outcomes
(source: Cobb-Clark, 2010)
Dans cette recension, les preuves de l’importance de la « personnalité » et finalement des
aspects comportementaux, des compétences sociales de l’individu sur sa réussite
professionnelle, sont nombreuses. Le locus de contrôle et de nombreuses compétences faisant
partie de la catégorisation des Big Five ont un impact sur le salaire des individus et la
« personnalité », prise ici au sens large mais que nous pouvons relier au concept d’Heckman,
développé précédemment, des character skills, jouent à la fois sur l’emploi occupé et la
recherche d’emploi. Dans cette recherche d’emploi, l’importance du locus de contrôle interne
est souligné par différentes recherches car il semble jouer sur les stratégies mises en œuvre
par les individus pour trouver du travail. L’image de soi, dont le locus de contrôle peut être
appréhendé comme l’une de ses dimensions constitutives, a également un effet sur le succès
en emploi car l’auto-évaluation positive, c’est-à-dire une image de soi positive, joue sur la
performance des individus. Dans l’ensemble de cette recension, on retrouve également une
volonté de l’auteure, dans les références choisies, d’expliquer les différences de genre sur le
marché du travail. Par exemple, dans l’explication des différences salariales entre les hommes
et les femmes, le poids des compétences sociales joue, même s’il est mineur. Ou encore, pour
expliquer les différences de genre pour le type d’emploi occupé, une piste de réflexion est
soulevée lorsque ces différences sont appréhendées selon les différences de comportement et
notamment avec la prise de risque différenciée entre les hommes et les femmes.
À propos des recherches menées notamment par Heckman, l’effet des compétences sociales
dans l’explication des différences de réussite professionnelle est considéré et intégré aux
modèles au même niveau que les compétences cognitives, et cet effet paraît même être parfois
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aussi important voire plus important que le poids des compétences cognitives dans les divers
parcours individuels. Les analyses faites à partir des parcours et des comportements des
individus détenteurs du GED (General Education Development) vont dans ce sens car même
s’ils présentent l’avantage d’être diplômés, leurs comportements – notre analyse l’a démontré
– s’apparentent à ceux des décrocheurs du système éducatif par leur manque de persévérance
et de ténacité par exemple.
Les comportements des individus, opérationnalisés et envisagés par de nombreux chercheurs
sous le prisme des compétences et plus particulièrement des compétences sociales, tiennent
également de l’importance pour l’insertion sur le marché du travail. Elles sont d’une part
attendues par les employeurs (Robles, 2012) et d’autre part, ces compétences sociales comme
la capacité de résolution de conflits ou la capacité à communiquer et à interagir avec les autres
jouent sur l’employabilité des individus (Abdullah-Al-Mamun, 2012 ; Andrews et Higson,
2008).
L’effet des compétences sociales des individus (en emploi) sur le salaire est aussi démontré
par plusieurs recherches en jouant sur la productivité des individus. Les comportements
individuels impactent de façon directe ou indirecte les rémunérations, avec un effet positif
pour des comportements comme la persévérance ou des compétences relationnelles comme le
leadership ou la sociabilité et un effet négatif de certains comportements appréhendés plus
comme un déficit de compétence, notamment les problèmes de comportement internalisés ou
externalisés tels que l’anxiété ou l’agressivité.
Ces différentes recherches démontrant le lien entre compétences sociales et marché du travail,
aujourd'hui de plus en plus nombreuses, viennent renforcer empiriquement le cadre théorique
développé au début de ce chapitre, et qui va dans le sens d’un prolongement de la théorie du
capital humain. Les théories du capital social, du capital culturel ou du capital émotionnel, à
la lumière de leurs apports scientifiques disciplinaires, permettent d’envisager, voire de
constater, que l’analyse des comportements économiques des agents ne peut s’arrêter à la
stricte vision du capital humain. Certains chercheurs, à l’image d’Altman (2006), prônent
cette démarche d’ouverture théorique de l’Économie aux autres disciplines qui étudient les
comportements humains comme la Sociologie, la Psychologie et même la Psychanalyse. Les
travaux d’Heckman notamment, et d’autres chercheurs cités dans ce chapitre, vont d’ailleurs
dans ce sens en utilisant des échelles psychométriques comme celles de Rotter et de
Rosenberg pour alimenter leurs modèles économétriques. À son échelle, notre travail de thèse
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s’inscrit dans ce mouvement de pluridisciplinarité pour l’étude des comportements et des
compétences sociales sur la réussite.
La recherche en Économie de l’Éducation portant sur l’explication des différences de réussite
professionnelle est abondante et l’approche par les compétences sociales se répand depuis
plusieurs années. Le poids de ces compétences sociales sur la réussite sur le marché du travail
ayant désormais été documenté, nous pouvons alors nous demander quel en est leur effet
pendant les parcours de formation des individus. En effet, des comportements observés lors
de la scolarité secondaire présentent un impact significatif bien des années plus tard lorsque
que les individus s’insèrent sur le marché du travail (Cawley, Heckman et Vytlacil, 2001)
mais, comme nous avons pu le constater lors de l’explication de la dynamique des
compétences (Heckman et Kautz, 2013), le développement et l’acquisition des compétences
démarrent dès le plus jeune âge dans la vie des individus. C’est pourquoi nous allons dès le
chapitre suivant, nous attacher à étudier les liens entre les compétences sociales des élèves et
leur réussite à l’école.
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Dans le document
Les compétences sociales et la réussite scolaire des élèves de cycle III : l'effet de l'accompagnement scolaire
(Page 116-121)