• Aucun résultat trouvé

Typologie de difficultés en lecture-compréhension

De nombreux auteurs analysent les différentes composantes constituant la compréhension de textes et tentent d’établir des typologies de difficultés rencontrées chez ces élèves qualifiés par Cain « d’unexpectedly poor comprehenders ».

Cèbe et Goigoux (2009), par exemple, définissent des ensembles d'habiletés de compréhension simultanément requises dans l'activité de compréhension de textes pour le cadre scolaire. Ils entrevoient cinq groupes : Le premier concerne la lecture-déchiffrage ; les quatre autres concernent la lecture au-delà de l'identification des mots. Nous en proposons ici une succincte relecture argumentée.

1) des compétences de décodage qui permettent d'automatiser les procédures d'identification des mots. Elles sont importantes pour accéder à une lecture rapide et fluide, afin que le sujet ne soit pas en surcharge cognitive. Ces compétences font office de pré-requis à la lecture-compréhension.

2) des compétences linguistiques qui regroupent syntaxe et lexique. En effet, il semble évident que la connaissance d'un lexique élargi et de structures syntaxiques complexes facilite la compréhension de phrases et de textes. Concernant la reconnaissance visuelle des mots, le phénomène a été largement décrit dans la littérature : face à un nom commun ou propre inconnu, les lecteurs experts font à nouveau appel à la voie d'assemblage, alors qu'en situation habituelle de lecture, c'est la voie d'adressage qui est la plus sollicitée. Ce recours à la voie d'assemblage a pour conséquence de ralentir la fluence et peut accaparer les ressources attentionnelles disponibles. Ainsi, il est légitime de penser qu’un élève qui a un lexique

restreint se retrouve plus souvent dans cette configuration qu’un élève qui possède un corpus lexical plus étoffé. Au-delà de la fluence, de nombreuses études font état des corrélations statistiques qui existent entre connaissances lexicales et compréhension de textes (e.g. Anderson & Freebody, 1981 ; Nagy, Berninger & Abbot, 2006). Quant à la syntaxe, tout lecteur a déjà fait l'expérience de relire une phrase dont la structure syntaxique n'avait pas été correctement identifiée et qui avait fait l'objet d'une segmentation erronée lors de la première lecture. La connaissance de structures complexes (coordination, subordination, etc.) permet bien évidemment d'assurer la compréhension au niveau de la phrase et du texte. Comme nous l’avons mentionné dans le chapitre sur la psychologie cognitive, certaines de ces compétences rejoignent souvent des problématiques de compréhension orale.

3) des compétences textuelles qui regroupent les connaissances portant sur les genres textuels, sur l'énonciation, la ponctuation et la cohésion de texte (anaphores, connecteurs, etc.). Ces compétences constituent à nos yeux un ensemble hétérogène associant des connaissances sur les genres textuels à des connaissances relevant plus de la sémiologie (effets de saillance, organisation des paragraphes, tirets et/ou guillemets pour introduire le discours direct dans les dialogues, etc.) et enfin à des connaissances de grammaire de texte (cohésion du texte assurée par des connecteurs logiques, des organisateurs textuels, des reprises anaphoriques, etc.) (Genevay, 1995). Cette catégorie de compétences relève spécifiquement de la compréhension de textes qu’ils soient lus ou entendus.

4) des compétences référentielles appelées ailleurs « connaissances sur le monde », ou encore « connaissances encyclopédiques ». Cette catégorie s’applique plus largement à la compréhension orale et à la compréhension de textes.

5) des compétences stratégiques qui assurent la régulation, l'auto-évaluation ou encore le « monitoring » des lecteurs de leur propre compréhension de textes. Cette catégorie relève exclusivement de la compréhension de textes écrits donc lus.

Cèbe et Goigoux affirment que ces compétences de natures différentes doivent être convoquées simultanément lors de l'activité de compréhension de textes. Le lecteur doit les mobiliser pour les traitements locaux de l'information - dits aussi micro-processus (au niveau du mot et de la phrase) - ainsi que pour les traitements globaux -ou macro-processus (au niveau du texte en son entier) -, selon un processus d'intégration sémantique (Cf. première

partie). Ces compétences sont en outre essentielles dans les processus de production d'inférences même si nous notons que ces derniers ne sont pas mentionnés en tant que tels dans la dernière catégorie. En regard de ces diverses compétences, Cèbe et Goigoux tentent de définir ce que les faibles compreneurs ne savent pas bien faire. Ils offrent donc une définition en creux des faibles compreneurs.

Premièrement, il leur est difficile de mobiliser simultanément toutes ces compétences.

L'intérêt de la catégorisation proposée par les deux auteurs tient en premier lieu au caractère à la fois hiérarchisé et heuristique de ces compétences. On peut sans doute objecter à cette grille de catégorisation qu'elle manque peut-être de rigueur dans la définition du terme compétence qu'ils nomment indifféremment compétence ou habileté -reprenant ainsi le terme générique anglais de « skill » - et que ces compétences renvoient tantôt à des savoir- faire, tantôt à des processus cognitifs, tantôt à des connaissances ou des contenus de savoir, tantôt encore à des stratégies, etc. Or, tous ces aspects de la compréhension ne sont peut- être pas à mettre sur le même plan. On pourrait également décliner de manière plus exhaustive ces compétences, en mentionnant les expressions figées, les structures de phrases complexes (relatives, la forme passive, etc.), les concordances de temps ou encore la valeur modale de certains temps, la connaissance des schémas de récits, etc. Cependant pour caractériser en creux ce que ne savent pas faire les élèves en difficulté de compréhension de textes, la catégorisation de Cèbe et Goigoux offre un cadre descriptif bien plus intéressant que les définitions par exclusions proposées dans d’autres approches. Elle permet, d'un point de vue pédagogique, de poser un diagnostic individuel en déclinant la ou les difficultés auxquelles tel ou tel élève est confronté. Comme nous le développons plus tard dans ce chapitre les élèves présentant des difficultés de compréhension de textes ne forment certainement pas un groupe monolithique. En outre, les auteurs notent que ces élèves cumulent souvent plusieurs déficits de différentes natures.

Deuxièmement, ils remarquent chez eux un fort malentendu sur la nature des tâches de

lecture et des attentes des enseignants à ce sujet. Les faibles compreneurs pensent très

souvent qu'il suffit de décoder chaque mot du texte pour le comprendre. Lire ou comprendre un texte n'est pas différencié et l'un ou l'autre revient à parcourir des yeux in extenso le texte, en le lisant mot après mot ; la lecture n'étant dans ce cas qu'une suite d'identification de mots. Tout lecteur expert a déjà fait cette douloureuse expérience : on comprend chaque mot d'une

phrase individuellement et pourtant on ne comprend pas la phrase. À cet endroit, il est sans doute nécessaire de mentionner la difficulté du texte. Il est bien sûr évident que la compréhension d'un texte par les élèves dépend éminemment de la difficulté de ce texte. En ce sens, nous apprenons à lire et à comprendre des textes tout au long de la vie. Mais cela nous lancerait dans un tout autre débat qui concernerait les propriétés du texte et la définition de la difficulté des textes. Or, celle-ci est loin d’être univoque. Nous revenons sur ces aspects plus tard dans ce chapitre ainsi que dans l'analyse du corpus d'entretiens d'enseignants, tout entier guidés par cette question.

Troisièmement, les faibles compreneurs ont construit peu de stratégies de régulation de

leur propre lecture (Rémond, 2003) et ont peu conscience de leurs propres procédures. Smith

(1991) montre même que les « mauvais lecteurs » utilisent deux fois moins de stratégies que les bons lecteurs. Par exemple, ils ne modulent pas leur vitesse de lecture en fonction de la difficulté du passage et reviennent peu en arrière pour vérifier la bonne construction du modèle de situation lorsqu'ils détectent ce qui pourrait être une incohérence. La tâche de détection d’incohérences ou d’erreurs est une des tâches classiquement proposées pour contrôler le « monitoring » de la compréhension45. Les faibles compreneurs montrent des

performances très en retrait sur ces tâches. Dans une étude auprès d’élèves de 10 ans répartis en deux groupes, bons et faibles compreneurs, Oakhill, Hartt et Samols (2005) proposent une tâche de détection d’incohérences : l’expérimentation prévoit deux conditions en fonction de l’éloignement dans le texte des informations contradictoires. Dans la première condition, l’incohérence est proche –dans la phrase suivante, par exemple- ; dans la seconde, elle est plus éloignée. Les résultats montrent que les faibles compreneurs ont particulièrement du mal à détecter les incohérences, d’autant plus lorsque celles-ci sont éloignées. De même, ils ont beaucoup de mal à établir la cohésion globale du texte qui nécessite de s'appuyer sur les reprises anaphoriques, les connecteurs logiques, les temps verbaux, etc. Lorsqu'un texte fait l'objet de questions, notamment par l'intermédiaire d'un questionnaire écrit, ils pensent qu'il s'agit avant tout d'un simple exercice de repérage d'informations dans le texte. En outre, ils

45 On demande aux élèves de lire un texte contenant une incohérence. Après lecture, on leur demande s’ils ont

noté une anomalie. Certains élèves mentionnent l’incohérence spontanément en cours de lecture ; d’autres seulement lorsqu’on leur pose la question ; d’autres enfin déclarent ne rien avoir remarqué. Exemple de petit texte : « Pierre, l’ami de Jeanne, donnait une fête. Jeanne voulait lui acheter un cadeau mais il n’y avait plus du tout d’argent à la maison. Alors Jeanne acheta un gâteau à Pierre. Tandis que Jeanne pensait à ce qu’elle allait porter, sa mère, souhaitant lire, chercha un livre dans un magasin. Jeanne passa un bon moment à la fête de Pierre » (d’après Yuill et Oakhill, 1991).

ont des conceptions erronées pour évaluer la difficulté d'un texte : pour eux, un texte facile à comprendre est un texte court, et inversement, un texte difficile est un texte long. En général, ils n'ont pas non plus conscience de la nécessité d'adapter et de faire évoluer le modèle de situation élaboré à la première lecture. Les nouvelles informations qui ne sont pas congruentes avec cette représentation première ne sont pas mémorisées. Dans une tâche de rappel de récit, ils tentent de mémoriser les traits de surface du texte – cf. mémoire du texte vs mémoire de la représentation du texte-. S'ils fournissent un rappel cohérent en soi, ce dernier peut être très éloigné du modèle de situation du texte source (Goigoux, 1998). Ces élèves font souvent l'impasse sur les informations qu'ils n'ont pas réussi à relier à leur représentation.

Enfin, les faibles compreneurs peinent à aller au-delà de l'explicite et à faire des inférences, des inférences de liaison (relier différentes informations contenues dans le texte mais parfois distantes l'une de l'autre) et encore moins des inférences interprétatives (relier des informations contenues dans le texte à des connaissances antérieures)46. De même, dans leur

interprétation des événements, ils privilégient souvent la relation temporelle (événement A qui précède événement B) à la relation causale (événement A qui implique événement B). L’usage très fréquent du mot « alors » dans les rappels de récits témoigne de cette ambiguïté ; le plus souvent « alors » est un substitut de « et puis » mais n’a pas son plein sens causal.

Pour conclure, Cèbe et Goigoux parlent de compréhension « en îlots » pour caractériser la compréhension des faibles compreneurs. Ils juxtaposent des fragments sans en assurer la cohérence globale. Les faibles compreneurs peinent à prendre conscience par eux-mêmes qu'ils ne comprennent pas correctement, car la compréhension d’îlots leur donne un sentiment de compréhension du texte.

À travers ce panorama des difficultés qui montrent des tendances caractérisant les faibles compreneurs, on comprend aisément que la nature des difficultés est très diverse d’un élève à l’autre et que, fort heureusement, les faibles compreneurs ne présentent pas tous, en même temps, tous ces problèmes.

46La production d’inférences semble être un marqueur fort de la difficulté en compréhension de textes selon de

Les « unexpectedly poor comprehenders » ne forment donc pas, loin s’en faut, un groupe homogène. De nombreuses recherches ont ainsi tenté de dégager des profils de faibles compreneurs et proposé des catégorisations ad hoc.

Outline

Documents relatifs