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Les modèles de la deuxième et troisième génération : vers une construction-intégration et un « landscape »

La deuxième génération de modèles de la compréhension de textes adopte un changement

de point de vue par rapport à la première génération et focalise l’attention sur les processus cognitifs plutôt que sur le produit. L'objectif principal de ces recherches est de déterminer quels processus interviennent en cours de lecture. Les avancées techniques, concernant la mesure des mouvements oculaires notamment, permettent d'expérimenter plus avant les activités « on-line ». Ces travaux témoignent également d’une véritable prise en compte des capacités limitées de traitement et des limites des ressources attentionnelles.

Le lecteur, en effet, ne peut en cours de lecture porter son attention que sur un nombre limité d'éléments ; il doit donc opérer une sélection des éléments qu'il juge pertinents pour assurer la compréhension du texte. Les travaux de recherches de cette période s'intéressent

14 Issue du courant connexionniste, cette conception de la représentation la considère comme un réseau de

nœuds interconnectés. Il s’agit aussi d’une conception très algorithmique du traitement procédant de la répétition ; c’est-à-dire un système très proche d'un programme informatique reposant sur des itérations conditionnelles, des boucles (« tant que... alors... »).

15 La notion d'inférence est au centre de travaux récents sur la compréhension de textes. Nous la définissons comme une information qui n'est pas explicitement mentionnée dans le texte mais à laquelle il est fait référence implicitement. Le lecteur fait appel à ses connaissances antérieures pour comprendre cette information implicite. Il y a plusieurs niveaux et plusieurs natures d'inférences. Les inférences seront traitées amplement dans la troisième sous-partie « une architecture complexe et multidimensionnelle ».

aux éléments qui sont activés en cours de lecture. Une première source d'activation vient directement des éléments appartenant au texte-lui-même. Une seconde vient des éléments que le lecteur associe par l'intermédiaire de ses connaissances antérieures (Kintsch, 1988 ; van den Broek, 1990). Une troisième source, enfin, vient des éléments de la représentation, plus précisément des inférences que le lecteur produit en cours de lecture. Cette question de la production d'inférences est devenue au fil des modèles une question centrale des travaux sur la compréhension de textes. Nous présenterons infra plus largement la notion d'inférence. Au départ, la production d'inférences a été traitée de manière binaire. Les travaux de recherches visaient alors à discriminer les inférences que le lecteur produit de celles qu'il ne produit pas (Graesser, Singer & Trabasso, 1994 ; McKoon & Ratcliff, 1992 ; Van den Broek, 1994). Des typologies d'inférences ont, à cette occasion, été établies différenciant les inférences référentielles, causales, thématiques, spatiales ou encore instrumentales. Par la suite, le point de vue adopté change : la question est moins de savoir quelles sont les inférences produites que de chercher à comprendre quand un type d'inférence est produit et quelle probabilité il y a de produire ou non une inférence.

Si la première génération de travaux vise à définir le produit de la représentation en mémoire et la deuxième les processus cognitifs impliqués au cours de la lecture, la troisième

génération adopte une vision intégrative du produit et des processus de compréhension.

Kintsch (1988, 1998) : Le modèle de Construction-Intégration

À partir du modèle fondateur de 1983 élaboré avec van Dijk, Kintsch propose le modèle de Construction-Intégration. La proposition telle que nous l'avons définie plus haut, dans son acception logique, demeure la notion clé de ce modèle. Cependant, Kintsch s'intéresse désormais davantage aux étapes du processus de compréhension, là où le modèle de 1983 s'intéressait plutôt aux différents niveaux de représentation. Ces étapes sont au nombre de deux : la construction et l'intégration (fig. p.81, Blanc et Brouillet, 2003). Lors de la phase de construction, toutes les représentations sont activées indifféremment, c'est-à-dire sans hiérarchie : celles qui sont correctes mais aussi celles qui ne le sont pas ; celles qui sont redondantes et celles qui sont contradictoires. Les inférences sont produites lors de cette première phase également. Tous ces éléments forment un réseau qui demeure cependant incohérent. Ce n'est que lors de la seconde phase, la phase d'intégration, que la cohérence s'établit grâce à l'inhibition des éléments non pertinents de la représentation et au contraire

au renforcement des éléments pertinents. Kintsch (1988, 1998) montre également que cette succession de phases (construction-intégration) s'effectue de manière séquentielle, selon des cycles de traitement. Lorsqu'un segment d'un texte donné est traité, il est immédiatement intégré au reste du texte maintenu en MT et ainsi de suite jusqu'à la fin du texte. Ce modèle fait une place importante aux inférences qui sont générées à tout moment par le lecteur et aux connaissances antérieures de ce dernier : la part du lecteur dans cette modélisation est renforcée.

Le modèle de construction de structures de Gernsbacher (1990) et le modèle d'indexage d'événements de Zwaan, Langston et Graesser (1995)

- Reprenant les principes du modèle de Construction-Intégration, le modèle de construction de structures est plutôt une théorie générale de la compréhension, dans le sens où il relève de processus et mécanismes généraux de l'activité cognitive. Il intéresse cependant notre travail sur la compréhension de textes à deux titres : l'attestation de l'intervention de trois processus sous-jacents à la compréhension et la part du lecteur.

- Les trois processus décrits sont la fondation de structures, l'intégration et le changement.

Les éléments empiriques sur la fondation de structures sont particulièrement intéressants pour la compréhension de textes. Gernsbacher démontre que les informations initiales sont traitées longuement comparées aux informations suivantes car elles structurent fortement l'organisation des structures mentales, et ce quel que soit le niveau. Ces informations initiales bâtissent la représentation initiale du texte, telles les fondations d’un bâtiment, d’où son appellation. C’est à partir de cette première représentation du texte que le lecteur va élaborer le modèle de situation, rechercher la cohérence globale du récit. Il s’agit donc d’une étape cruciale : en effet, s’il est erroné, le lecteur aura plus de difficulté à appréhender la suite du texte. Des travaux montrent ainsi que le lecteur traite plus longuement le premier mot de chaque phrase, mais aussi la première phrase d'un paragraphe (Haberlandt & Bingham, 1978 ; Glanzer, Fischer & Dorfman, 1984), de même que la première phrase de chacun des épisodes d'un récit (Haberlandt, 1980, 1984 ; Mandler & Goodman, 1982). Pour les récits iconographiques, Gernsbacher montre, de la même façon, que les temps de traitement sont plus longs pour la première image d'une bande dessinée que pour les images suivantes (1983).

En marge de ces processus cognitifs, Gernsbacher (1990) mentionne également l'intervention de deux mécanismes : le renforcement et la suppression. Les éléments qui constituent les structures mentales sont symbolisés par des nœuds en mémoire. Le rôle des mécanismes de renforcement et de suppression est ainsi de contrôler l'activation de ces nœuds : le renforcement signifie que l'activation des nœuds en mémoire augmente ; la suppression qu'elle diminue. Pour la compréhension de textes, ces mécanismes sont très importants dans l'établissement de la cohérence, notamment en ce qui concerne l'identification des reprises anaphoriques. Reprenons un exemple de Gernsbacher (1989) qui illustre l'intervention du mécanisme de suppression : « John a perdu contre Bill à un match de tennis. Acceptant la défaite/ Se réjouissant de la victoire, il... ». Le mécanisme de suppression intervient pour éliminer l'antécédent inapproprié. Dans le premier cas, il éliminera « Bill » ; dans le second cas, il éliminera « John ». Il est cependant très difficile de savoir s’il s’agit plutôt d’un oubli ou effectivement d’une suppression, terme qui suggère que cela est un processus volontaire chez le sujet.

- Le modèle fait une place conséquente au lecteur dont le rôle est réaffirmé, dans ce modèle particulièrement, pour l’établissement de la cohérence. La compréhension y est en effet définie comme l'acte d'utiliser ses connaissances et d'acquérir de nouvelles connaissances. À partir de ses connaissances, autant linguistiques que situationnelles (les connaissances du monde), le lecteur va produire des inférences et continuer à enrichir ses structures mentales. Contrairement aux modèles de compréhension qui envisagent l'utilisation des connaissances du monde et des connaissances en jeu pour comprendre le langage de manière cloisonnée, le modèle de construction de structures propose une conception dynamique entre connaissances antérieures et connaissances nouvelles qui s’enrichissent mutuellement.

- Le modèle d'indexage d'événements proposé par Zwaan, Langston et Graesser (1995) s'inscrit dans la lignée des travaux portant, en compréhension, sur les dimensions situationnelles (temporelles, causales, spatiales, etc.). La compréhension des textes narratifs exige d'assurer un maintien de la cohérence de diverses dimensions situationnelles, et ce, de manière simultanée. Ainsi, toute une série de travaux ont montré, a contrario, que les discontinuités situationnelles perturbent et ralentissent l'établissement d'un modèle de situation, qu’elles soient d'ordre temporel (Anderson et al., 1983), spatial (Ehrlich & Johnson- Laird, 1982) ou encore causal (Magliano, Baggett, Johnson & Graesser, 1993). Le modèle

d'indexage d'événements a pour objectif avéré d’expliquer comment le lecteur construit sa représentation du texte à partir des indices qu’il prend de la structure du récit. Un texte narratif nécessite en effet du lecteur qu’il identifie conjointement les protagonistes du récit, ce qui leur arrive, leurs buts et leurs sentiments, dans un contexte spatio-temporel précis. Tous ces éléments sont, selon les auteurs, connectés en mémoire sur cinq dimensions : le temps, l'espace, la causalité, la motivation et les protagonistes. Dans ce modèle, le lecteur active en mémoire, dès le début de la lecture, un système reposant sur cinq indices qu'il réactualise au fur et à mesure de la lecture. Les événements successifs du récit sont ainsi indexés sur chaque dimension et connectés entre eux.

Le « Landscape model » de van den Broek et al. (1996, 1998)

Le modèle proposé par van den Broek et al., dans la continuité des travaux présentés supra, cherche à rendre compte tout à la fois des processus « on-line » et des processus « off-line ». Il se situe donc dans une approche de la dynamique de la compréhension. Le Landscape model part du principe que l'activation des concepts fluctue en cours de lecture ; les ressources attentionnelles du sujet étant limitées, comme il a été établi dans des modèles antérieurs, le lecteur, en cours de lecture, procède de manière linéaire ; il doit cependant garder certains concepts activés -les uns très temporairement, les autres beaucoup plus longuement voire de manière permanente- afin de maintenir la cohérence du texte lu. Le Landscape model rend compte de cette fluctuation des activations, reprenant un système de règles de « quotation» établi par van den Broek, Risden, Fletcher et Thurlow (1996). Ce système attribue une valeur d'activation sur une échelle de 0 à 5 (5 étant la valeur maximale d'activation). Tous les concepts d'un texte, mais aussi les inférences produites par le lecteur, se voient attribuer une valeur d'activation. Il est alors possible d'établir une « matrice d'activation » du texte qui permet de (i) définir les concepts demeurant le plus longtemps activés ; (ii) mesurer la force d'activation de chaque concept ; (iii) prédire les inférences nécessaires à la compréhension du texte. Le Landscape model définit quatre sources d'activation pouvant intervenir à chaque cycle de traitement : (i) le segment du texte en cours de traitement ; (ii) le contenu du cycle de lecture précédent ; (iii) des concepts appartenant à des cycles antérieurs et pouvant être réactivés ; (iv) des connaissances antérieures à la lecture.

À chaque cycle de lecture, de nouveaux concepts sont activés, certains autres sont maintenus et d'autres encore sont inhibés. Par nature, cette structure n'est pas statique : elle

se transforme tout au long du traitement des énoncés successifs dans un jeu constant d'activation-inhibition des concepts. Il en résulte un paysage composé de pics (concepts les plus actifs et les plus fortement reliés entre eux) et de vallées (concepts peu actifs et peu reliés au reste du texte). Le Landscape model permet ainsi de dépeindre un paysage de la représentation mentale du texte en constante évolution.

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