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La grammaire de texte propose des outils d’analyse pour rendre compte de phénomènes linguistiques qui ne peuvent être complètement expliqués par la grammaire de phrase. Il est alors nécessaire d’élargir la perspective. La concordance des temps, par exemple, concerne rarement de simples phrases prises isolément ; on envisage plutôt l’objet par rapport à un texte ; de même, la référence aux pronoms, envisagée alors plutôt comme une chaîne de substituts assurant la cohérence du texte… La grammaire de texte propose ainsi une démarche descendante : on présente d’abord les unités les plus vastes (la situation d’énonciation puis le texte) avant d’analyser les unités plus restreintes. Elle s’appuie sur le type de réflexions suivantes : Comment se fait la répartition des informations dans un texte ?

Comment le texte progresse-t-il de phrases en phrases pour gérer les apports d’informations nouvelles et la reprise d’éléments déjà connus ? Comment les informations s’organisent-elles hiérarchiquement entre elles ? Qu’est-ce qui fait qu’un texte est perçu comme cohérent ou non cohérent ?

Si nous reprenons le texte de Colette et en proposons l’analyse de ce point de vue, nous voyons que :

- le texte est très cohérent au niveau de la progression thématique : les référents anaphoriques (en violet) que nous avons déjà mentionnés au niveau de la phrase, assurent tout au long du texte la permanence du sujet. « Mes préférés », « en…un », « ceux-là », « les », « y », « les » réfèrent au grands bois tout au long du texte. Dans la seconde partie du texte, « ils », « en » et « en…un » réfèrent plus localement aux animaux dont il a été question juste auparavant ; enfin, « vous » et « on » participent au procédé de généralisation de la troisième partie que nous avons mentionné plus haut.

- Au niveau de l’énonciation, la présence du discours indirect libre « Dieu que je les aime ! » peut interroger l’apprenti lecteur qui a encore peu rencontré cette forme et qui, en tout cas, ne l’a pas étudié en classe puisque le discours indirect libre est abordé en cycle 4 seulement, voire au lycée.

- Les connecteurs (en bleu) sont très peu nombreux : « Et puis » constitue l’incipit du texte proposé aux élèves. Il s’agit bien entendu, d’un effet inhérent à l’extrait. Le texte de Colette ne correspond pas du tout au schéma narratif traditionnel avec situation initiale/

Et puis il y a mes préférés, les grands bois qui ont seize et vingt ans, ça me saigne le cœur d’en voir couper un ; pas broussailleux, ceux-là, des arbres comme des colonnes, des sentiers étroits où il fait presque nuit à midi, où la voix et les pas sonnent d’une façon inquiétante. Dieu que je les aime ! Je m’y sens tellement seule, les yeux perdus loin entre les arbres, dans le jour vert et mystérieux, à la fois délicieusement tranquille et un peu anxieuse, à cause de la solitude et de l’obscurité vague...Pas de petites bêtes, dans ces grands bois, ni de hautes herbes, un sol battu, tour à tour sec, sonore ou mou à cause des sources ; des lapins à derrières blancs les traversent ; des chevreuils peureux dont on ne fait que deviner le passage, tant ils courent vite ; de grands faisans lourds, rouges, dorés, des sangliers (je n’en ai pas vu) ; des loups – j’en ai entendu un, au commencement de l’hiver, pendant que je ramassais des faînes*, ces bonnes petites faînes huileuses qui grattent la gorge et font tousser.

Quelquefois des pluies d’orage vous surprennent dans ces grands bois là ; on se blottit sous un chêne plus épais que les autres, et, sans rien dire, on écoute la pluie crépiter là-haut comme sur un toit, bien à l’abri [...].

perturbation par un déclencheur/quête/situation finale. Le fait qu’il s’agisse d’un extrait perturbe totalement la fonction de ce « Et puis ». Il paraît peu probable, à moins de rechercher un effet stylistique particulier, d’entamer une histoire par « Et puis ». « Quelquefois », quant à lui, introduit la généralisation.

- Nous remarquons enfin une analepse89 (passage surligné en turquoise) qui vient

contraindre la linéarité du récit.

Dans les propos des enseignants, nous trouvons peu d’éléments renvoyant à la grammaire de texte. Le terme n’est évoqué par aucun, même les plus jeunes. De même, aucun enseignant n’emploie les termes d’énonciation, de cohésion, de cohérence du texte, de substituts ou d’anaphores. Un seul enseignant (S08) parle de « reprises anaphoriques » ; cet enseignant les positionne d’ailleurs comme difficulté première du texte de Colette. Cependant, le terme de « référent » est relativement fréquent dans les propos et exprime parfois une notion équivalente en adoptant en quelque sorte l’autre point de vue : « Des ruptures, dans le sens où euh... les référents peuvent être assez euh...éloignés » (S04) ; « Donc, en fait, le référent de mes préférés, il se situe après, alors que d'habitude, on essaie d'avoir...la reprise anaphorique, elle se fait avec quelque chose qui a été évoqué avant. Et là, ça y est pas » (S08). Mais souvent, comme on l’a vu, la notion de référent est polysémique et prend un sens linguistique ou culturel.

De même, la notion de connecteur n’est pas employée spontanément. S12 parle de « liens » ; S14 fait remarquer qu’il n’y a pas de « paragraphes » et S15 parle de « mots de liaison » et « d’enchaînement » : « Ça apparaît comme une liste de choses que Claudine voit. En fait, on pourrait le faire sous forme de liste. Et il est pas mis sous forme de liste et l’enchaînement est… y a pas beaucoup de mots de liaison finalement qui permettent une fluidité de lecture » (S15).

Nous en déduisons que la perspective adoptée est celle de l’élève et du résultat de l’activité qui serait ici la lecture oralisée fluide. La représentation sous-jacente de la compréhension qui affleure ici est peut-être la suivante : un texte plus « organisé » permet une lecture plus fluide de la part de l’élève qui peut alors témoigner d’une meilleure compréhension ; la lecture oralisée fluide attestant la compréhension. Or, il s’agit d’une représentation partiellement

erronée (Cain, 2010) puisque certains élèves ne font pas preuve d’une lecture oralisée très fluide mais témoignent néanmoins d’une bonne compréhension de textes. Enfin, le système de temps est également à la source de représentations erronées, mais cela est sans doute dû encore une fois à la perspective adoptée, soit celle de l’élève : « Tout est au présent alors que c'est quand même un texte qui s'est déroulé dans son enfance. Donc, ça, ça pourrait vraiment les perturber (…) Et, on leur apprend qu’un événement qui s'est déroulé, on le relate au passé » (S05) ; « Tout est au présent alors qu'on parle d'un souvenir d'enfance » (S12) ; « Donc elle raconte quelque chose qui s'est passé dans son enfance et...le texte est au présent. Donc, ça brouille plutôt la piste, je dirais » (S14).

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