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Les enseignants sont bien plus prolixes à ce sujet. Ils sont huit à placer genre textuel et/ou stylistique dans les trois premières sources de difficulté du texte de Colette ; cinq à employer spontanément le terme « genre » (« genre littéraire » ; « genre de textes » ; « genre policier ») mais il n’est pas toujours évident de comprendre la catégorisation en genres qu’établissent les enseignants de l’enquête. S15 qualifie même le texte de « littérature pure ». Nous avons proposé une courte description du genre textuel du texte en introduction. Il s’agit d’un texte narratif, une semi-autobiographie ; il a pour caractéristique d’être à la fois descriptif et d’exprimer les échos du paysage dans l’âme de l’enfant90 et l’ambiguïté des sentiments de

solitude : Claudine aime jouer à se faire peur dans la forêt.

Les enseignants ont une intuition forte de ces caractéristiques mais bien souvent la définition des différentes notions semble approximative. Par exemple, ils sont plusieurs à répéter « ce genre de textes » sans vraiment le définir. Or, il nous semble que le genre textuel met à jour des représentations implicites quelque peu erronées. Il semble, en effet, que certains enseignants mettent en opposition le « narratif » et le « descriptif ». Peut-être posent-ils une équivalence entre « narration » et « schéma narratif » ? En tout cas, certains enseignants associent volontiers dans leurs propos « narration » et « action » en opposition à la « description » : « Le texte est pas...narratif, en fait. C'est un texte...enfin, oui...il est évocateur, je sais pas... Oui, c'est un texte d'évocation mais c'est pas narratif... » (S04). En même temps, ils voient, pour beaucoup, une source de difficulté dans le mélange entre action,

description et expression des sentiments du personnage : « du descriptif mêlé au ressenti du personnage, de l'héroïne, quoi, de Colette. Et pour les enfants, c'est un peu compliqué de repérer la différence entre le descriptif et le ressenti du personnage principal » (S02) ; « ça parle du ressenti. Bon eux, ils sont plutôt... y a besoin d'actions ; y a besoin de faire avancer quelque chose. Et là, c'est ultra descriptif » (S08) ; « Colette, elle est dans le ressenti. Elle n'est pas en action dans la forêt. Et je pense que ça pour des enfants, c'est un petit peu difficile » (S01) ; « Parce que les enfants, ils sont plutôt sur de l'action, sur des verbes d'action, sur elle fait ci, elle fait ça » (S01). Nous voyons, à travers ces propos, que les enseignants se réfèrent essentiellement aux élèves, à leurs attendus face à un texte. Finalement, en abordant le genre textuel, les enseignants parlent plutôt d’horizon d’attente des élèves, thème que nous développons plus tard. Sur le genre textuel, à proprement parler, ils demeurent très évasifs : « l'intérêt du texte, il est pas dans ce qu'il raconte ; il est dans la forme » (S02) ; les adjectifs qui reviennent le plus souvent pour caractériser le texte sont les suivants : « contemplatif » (S07), « poétique » (S07, S08, S12), « dense » (S12), « vieillot » (S13), « précieux » (S12) ; adjectifs qui sont inadéquats ou encore qui ne sont pas employés dans leur sens d’analyse littéraire. C’est peut-être lorsqu’on leur demande de proposer un découpage en parties du texte qu’affleurent les représentations implicites les plus surprenantes :

- « la partie où elle décrit les animaux, tout ça...Là, ça va être … Là, c'est plus concret » (S09) : l’adjectif « concret » semble quelque peu incongru. Peut-être a-t-il été choisi parce qu’il s’agit d’êtres vivants et que les verbes d’actions sont plus nombreux dans cette partie du texte ?

- Les termes « d’environnement » (S15), de « faune et flore » (S11, S13, S15) paraissent, de même, étranges pour qualifier la description, ces termes appartenant plutôt au lexique du texte informatif.

- Nous notons une probable confusion entre « ressenti », « sentiments », « sensation » et « point de vue » (S09) ; ce dernier terme se rattachant à la notion de « narrateur ». Or, la notion de narrateur semble relativement erronée chez certains enseignants de l’enquête : « après, est-ce qu'ils vont comprendre que c'est la petite fille qui parle etc...et que ce n'est pas le narrateur, enfin, ce n'est pas relaté d'un autre côté » (S05) ; « trois personnages...enfin, trois personnes différentes ; des points de vue différents, voilà » (S10).

- Il semblerait que le caractère itératif qui participe au processus de généralisation de la fin du texte (« Quelquefois ») n’a pas été compris par plusieurs enseignants : « Et après, on a l'impression que c'est vraiment une action qui s'est produite plus un jour » (S12) ; « Après, j'avais l'impression que c'était plus une anecdote qu'elle avait vécue mais c'est vrai que c'est un peu flou avec les loups, où elle en a déjà entendu un » (S13).

Du point de vue de la stylistique, plus précisément, nous remarquons au fil des entretiens que les enseignants emploient des termes précis : « figures de styles » (S07) ; de « comparaison » (S05, S10, S12) ; de « personnification » (« qui ont seize et vingt ans » : on date les arbres ; on leur donne un âge. En plus, ça personnifie quelque chose. Déjà là...bon. Et voilà...hop : personnification »(S12) ; même s’ils n’emploient pas toujours le terme : « le fait que on attribue aux arbres, en fait, des caractères qui sont, qui peuvent paraître humains » (S04) ; de « métaphore » (S07, S11, S12 parle même de « métaphore filée ») ; « d’hyperbole » (S07). Cependant, l’emploi de ces figures de styles n’est pas toujours réalisé à bon escient : « Quand ils parlent donc déjà des grands bois, donc qui n'est pas la forêt, donc, mais les grands bois – c'est une métaphore, même, une hyperbole ? Non, métaphore. J'ai dit quoi, moi, périphrase ?» (S07), alors que manifestement l’enseignant cherchait le terme de « métonymie ».

En résumé, les enseignants de l’enquête caractérisent souvent les difficultés du texte par des appréciatifs et des superlatifs (« très », « trop »), ce qui montre bien que le point de vue adopté est celui de l’élève, comme si la difficulté était moins un attribut du texte qu’une propriété des élèves (le lexique en est un bon exemple). En d’autres termes, l’interaction texte-lecteur est plutôt pensée à partir du lecteur qu’à partir du texte. Les élèves deviennent un moyen d’analyser, décrire, jauger et juger les textes ; les caractéristiques et incompétences supposées de ces derniers servant d’heuristique de jugement. Les enseignants opèrent ainsi un glissement sémantique intéressant : ce n’est plus tant le texte qui présente des difficultés ; ce sont les élèves qui font preuve d’incompétences. Ce glissement de la difficulté du texte vers les difficultés des élèves est d’autant plus frappant que les questions de l’entretien portaient initialement sur les difficultés du texte.

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