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Français de scolarisation et pratiques langagières des élèves

Comme nous l’avons vu précédemment, les sociologues de l’école mettent en exergue, pour expliquer l’origine des difficultés et de l’échec scolaire, le rapport des élèves aux codes sociaux, au savoir, aux références culturelles ; en un mot, à la connivence culturelle. Mais finalement, c’est peut-être avant tout dans la langue elle-même et dans les pratiques langagières des élèves que vont se nicher par essence la difficulté et l’échec scolaire. On peut d’ailleurs y voir une autre forme de violence symbolique : celle de la domination par la langue. Le français qui est pratiqué à l’école est bien particulier. Chacun pense le maîtriser puisqu’il le parle et pourtant il existe bel et bien un français scolaire (ou français de scolarisation) qui est quasiment un idiome à part entière, l’idiome de la communauté scolaire que Balibar n’a pas hésité à qualifier de « français fictif » (1974), c’est-à-dire d’un caractère artificiel, construit par et pour l’école uniquement. La compréhension de textes étant au cœur des enjeux de cet idiome (a fortiori s’il est fictif !), il nous a semblé important de poser les frontières de ce français scolaire défini comme tel par les linguistes. On pourrait notamment essayer de montrer le possible hiatus entre le « niveau » de langue des textes et des questions qui s’y rapportent. Les changements de registre pourraient ainsi en eux-mêmes susciter des difficultés.

La notion de français de scolarisation (ou langue de scolarisation) a émergé dans les sphères de la didactique du français langue étrangère qui a souvent été pionnière en didactique des langues, et en particulier en amont de la didactique du français langue maternelle. Vigner est l’un des premiers à l’avoir utilisée (1989) pour décrire des situations d’enseignement du français dans les pays francophones africains. L’enseignement du français auquel il se réfère au départ est donc fortement contextualisé : il s’agit d’un enseignement en français pour des enfants dont la langue quotidienne est différente de celle employée à l’école. L’enseignement y est dispensé dans la langue officielle du pays, le français. Cette acception restreinte a cependant séduit et a été élargie, dans le sens où la notion de français de scolarisation répondait à des préoccupations contextuelles engendrées notamment par la massification et la démocratisation de l’enseignement et l’arrivée dans le secondaire de nouveaux profils d’élèves aux pratiques langagières familiales diversifiées. Sans entrer dans des débats de nomenclature entre français langue maternelle/français langue seconde/français langue étrangère (pour une revue, voir Le Ferrec, 2011) qui nous éloigneraient de notre objet, nous

pouvons affirmer que la notion de français de scolarisation est opérante pour décrire le français pratiqué à l’école et que tous les élèves, francophones et allophones doivent s’approprier. Selon la définition de Vigner, le français de scolarisation est « une langue apprise pour enseigner d’autres matières qu’elle-même » : les élèves apprennent le français bien au- delà des cours de français « déclarés » (grammaire, conjugaison, orthographe, vocabulaire, production d’écrit, lecture d’œuvres littéraires, etc.) ; ils l’apprennent à travers tous les autres apprentissages. En même temps, le français est le vecteur de ces apprentissages. Il est ainsi à la fois objet et vecteur d’apprentissage. En outre, il est également, comme partout, vecteur de communication. De nombreuses recherches en linguistique et en sociolinguistique ont décrit la nature de ce français de scolarisation régi par des règles et des normes codifiées. Chiss notamment (2005) distingue les différentes fonctions qu’endosse à tour de rôle le français dans l’espace scolaire. En effet, l’école est un espace où cohabitent plusieurs français :

- Le français comme langue de communication, qui connaît lui-même des sous- catégorisations nombreuses : le français de la cour de récréation entre pairs (Verdelhan- Bourgade, 2002) est différent du français des apartés en classe entre pairs ou dans la relation enseignant/apprenant, de celui des couloirs, de celui des rituels langagiers, de celui de l’enseignement de l’oral, des débats régulés par des tours de parole, etc.

- Le français comme langue d’apprentissage qui est la langue de la passation de consignes, celle des explications, celle de la dimension méthodologique et métalinguistique en somme.

- Le français comme langue d’enseignement qui est la langue des contenus disciplinaires.

Cette catégorisation permet de comprendre ce que recouvre de fait le terme globalisant de français de scolarisation et pourquoi il peut exister un certain flou chez de nombreux élèves mais aussi chez des enseignants concernant le statut du français employé à tel ou tel moment. Le passage d’un français à un autre français est largement implicite ; il s’effectue de manière fluide. C’est précisément ce passage implicite de l’un à l’autre qui pénalise les élèves incapables d’opérer intuitivement ces distinctions. Par exemple, les élèves en réussite sont généralement tout à fait capables de passer du langage vernaculaire de la cour de récréation et des copains au langage de la salle de classe ; de l’orthographe de la langue sms ou des

« textismes »66 à l’orthographe normée de la dictée. Pour les élèves en difficultés, au

contraire, la permutation s’avère souvent compliquée. De leur côté, certains enseignants, renforcent, paradoxalement et bien évidemment à leur insu, ce flou. S’appuyant sur des représentations héritées des idéaux du siècle des Lumières et de la Révolution française (institutionnalisation de la langue française ; académisme et jacobinisme à la française, etc.), il y a pour de nombreux enseignants une unicité certaine entre la langue et LA langue, c’est- à-dire celle qui est normée par l’écrit. C’est le cas, par exemple, lorsque des enseignants, exerçant en EP notamment, exigent de leurs élèves une hyper-correction du langage oral, calqué sur le langage écrit. Les travaux de l’équipe ESCOL portent notamment sur ce qu’ils définissent comme une probable co-construction des difficultés (Rochex et Crinon, 2011). À l’origine de cette co-construction se trouvent des malentendus fondamentaux entre les élèves et leurs enseignants (Bautier et Rayou, 2009), à commencer par le malentendu de la langue au sens propre qui oppose le français normé des enseignants aux pratiques langagières de certains élèves.

66 Il s’agit des variantes orthographiques dans un mot par rapport à l’orthographe traditionnelle (comme « koi »

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