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Catégorisations issues de la littérature scientifique

Cherchant à définir ce que pourraient être les « marqueurs » d’une faible compréhension, Cain (2010) s’interroge sur les résultats d’études cherchant à différencier les bons compreneurs des faibles compreneurs. Les résultats se contredisent souvent entre eux. Certains montrent, par exemple, une corrélation entre connaissances syntaxiques et compréhension de textes (Cragg & Nation, 2006 ; Nation et al., 2004), là où d’autres résultats ne montrent pas de différences significatives entre bons et faibles compreneurs sur ce plan précis (Cain & Oakhill, 2006 ; Cain, Patson & Andrews, 2005). D’autres travaux analysent les habiletés langagières orales des faibles compreneurs cherchant à isoler des marqueurs par des tâches de reconnaissance de phrases notamment (Nation et al., 2004) ou encore par des tâches faisant intervenir la mémoire ou la métacognition (Cornoldi, de Beni and Pazzaglia, 1996). Mais aucune spécificité ne semble se dessiner nettement. Dans une étude de Cain & Oakhill (2006), sept tâches sont proposées à des faibles compreneurs : compréhension orale de mots, compréhension écrite de mots, habileté verbale, habileté non-verbale, compréhension de phrases, mémoire de travail et habiletés de compréhension de textes. Aucune de ces tâches n’est échouée de manière systématique –ou devrait-on dire symptomatique ? - par cette population. En outre, si ces études mettent en exergue des corrélations entre des scores à des habiletés de compréhension spécifiques et à des épreuves de compréhension de textes, il ne s’agit en aucun cas de relations causales directes.

À l’aune de ces nombreux travaux, le groupe des faibles compreneurs semble loin de former un groupe homogène ; on peut même affirmer au contraire qu’il se caractérise par une forte hétérogénéité, mais pas quantitative, résumée par des scores.

Typologie de faibles compreneurs

Plusieurs auteurs se focalisent plus spécifiquement sur les faibles compreneurs et établissent des typologies concernant exclusivement cette sous-population. Aaron (1991), par exemple, définit trois groupes de « mauvais lecteurs » : (i) les lecteurs présentant des difficultés en lecture-déchiffrage mais ayant par ailleurs un niveau égal voire supérieur à la moyenne en compréhension orale ; (ii) les lecteurs caractérisés par un profil inverse du premier, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de difficultés en lecture-déchiffrage mais présentent, en revanche, des difficultés pour tout ce qui a trait à la compréhension orale ; (iii) les lecteurs, enfin, qui sont en difficulté aussi bien en lecture-déchiffrage qu’en compréhension orale. De même, Crunelle, Damarey et Plancq (2002) répartissent 94 élèves de 6ème en difficultés en

quatre profils comme suit : (i) 10% ont montré un comportement atypique face à la consigne ; (ii) 3% seulement ont fait preuve d’une lecture-déchiffrage défaillante ; (iii) 33% présentaient des difficultés en compréhension orale ; (iv) 54% présentaient des difficultés cognitives globales affectant tous les domaines cités précédemment et de manière diffuse.

Les données chiffrées de cette dernière enquête apportent des informations plus précises sur l’origine des difficultés des faibles lecteurs car nous voyons bien à travers ces résultats que la dichotomie lecture-déchiffrage/lecture-compréhension est en grande partie inopérante (3%). Le pourcentage de comportement atypique face à la consigne interpelle également. Il semble que la façon par les concepteurs d’épreuves de prendre des indices de la compréhension, d’interroger celle-ci impacte fortement sur les résultats des élèves : la formulation des questions de compréhension et le type de tâche prescrite semblent relever d’un savoir-faire scolaire et d’un contrat évaluatif parfois largement implicite que tous les élèves ne possèdent pas. Nous aurons l’occasion de revenir longuement sur ces questions mais nous pouvons d’ores et déjà émettre cette hypothèse. Enfin, selon les résultats de l’enquête, plus de la moitié des faibles compreneurs présentent des difficultés diffuses dans tous les domaines, rendant le diagnostic compliqué.

Sabourin, Armand et Van Grunderbeeck (1994) ont, eux aussi, remarqué que les difficultés de compréhension chez les faibles lecteurs n’étaient pas toujours de même nature. Utilisant un protocole assez similaire au nôtre, ils ont soumis une trentaine d’élèves –pour moitié faibles lecteurs et pour autre bons lecteurs- à une épreuve de compréhension comprenant un rappel libre et des questions orales lors d’entretiens individuels. Ce protocole permet

d’observer les processus cognitifs mis en jeu pour répondre aux questions, voire d’interroger les élèves au sujet de leurs stratégies de réponse. En ce qui concerne le groupe des faibles compreneurs, les auteurs ont proposé une typologie de cinq profils : (i) les élèves témoignent d’un « déficit généralisé de la compréhension » ; les auteurs émettent à leur sujet des doutes sur la maîtrise de la lecture-déchiffrage ; (ii) les élèves de ce groupe n’ont pu répondre aux questions lorsque le texte leur était retiré ; l’hypothèse des auteurs est que ces élèves ont du mal à se construire une représentation cohérente du modèle de situation et qu’ils se contentent, pour répondre aux questions posées, d’apparier des mots du texte quand ils l’ont sous les yeux ; (iii) ces élèves présentent des difficultés marquées pour inférer et dégager l’essentiel d’un texte ; ces élèves demeurent au stade de la microstructure du texte et savent répondre aux questions explicites ; (iv) les élèves de ce groupe ont une compréhension globale cohérente mais ne retiennent pas les détails ; (v) le dernier profil regroupe des élèves qui peuvent rencontrer des difficultés en fonction du genre textuel en question : ils sont plus familiers avec le genre narratif qu’avec d’autres genres textuels, comme l’informatif par exemple.

Les auteurs constatent cependant une faiblesse des processus métacognitifs chez tous les faibles lecteurs, quel que soit leur profil. Nous voyons à travers ces diverses catégorisations que la modalité pour trier les individus se situe au niveau du processus/produit ; elles prennent comme point de comparaison ce que savent faire ou ne pas faire les élèves. De rares travaux adoptent une autre démarche et s’intéressent plutôt aux procédures, au comment : comment procèdent les élèves pour répondre aux questions de compréhension ? L’enquête présentée ci-dessous en est une illustration.

Modes de faire

Bautier, Crinon, Rayou et Rochex (2006) élaborent une catégorisation de compreneurs de nature quelque peu différente. Dans une enquête basée sur des analyses secondaires du PISA 2000, ils mettent en regard les performances en littératie des élèves et leurs modes de faire et univers de références mobilisés. Il s’agit d’élèves plus âgés que dans nos propres enquêtes48, mais c’est ici l’aspect méthodologique de leur enquête qui nous intéresse

particulièrement. À partir de leurs entretiens ex post immédiats, ils élaborent une typologie

48PISA est une enquête mise en œuvre par par l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE) cherchant à

de cinq profils de compreneurs : trois profils semblent assez homogènes et stables, c’est-à- dire que les individus de chacun des profils présentent des caractéristiques proches et ont un comportement de réponse aux questions cohérent et relativement prédictible ; deux autres profils sont plus délicats à définir dans le sens où les réponses semblent non prédictibles, voire aléatoires. Les auteurs se sont donc intéressés de plus près à ces deux profils pour tenter de démonter les mécanismes dans lesquels se niche probablement une partie des difficultés de compréhension de textes, ou du moins des difficultés à répondre aux questionnaires de compréhension de textes. Les trois premiers profils sont relativement simples à définir : (i) les « abstentionnistes » qui démissionnent devant la difficulté -nous savons que le taux de non- réponses est important au niveau du collège-lycée, ce qui est moins le cas chez les enfants plus jeunes- ; (ii) les élèves « en échec généralisé » ; (iii) les « bons compreneurs ».

Entre les deux premières catégories (i) et (ii), dont on ne peut pas dire grand-chose à défaut d’interroger les élèves sur leur activité de réponse, et la troisième (iii), qui n’est pas l’objet de notre présent chapitre, s’insère une nouvelle catégorie (ii’) que les auteurs qualifient d’instable et d’hétérogène qui permet de présenter une analyse plus élaborée voire moins simpliste des catégories d’élèves. Pour pouvoir caractériser plus finement cette catégorie intermédiaire (ii’), les auteurs ont convoqué des modes de faire et des univers de références mobilisés par les élèves. Ils définissent ainsi, au sein de cette catégorie intermédiaire (ii’), quatre classes, désignée chacune par un prénom qui sont constituées d’élèves dont les connaissances, compétences et postures sont moins stabilisées et qui varient selon la nature et les propriétés du texte, le format et la formulation des questions, ainsi que les univers de références convoqués par les textes :

- des « préleveurs d’information » qui obtiennent, comme leur nom l’indique, de bons résultats aux tâches de prélèvement censées être plus simples que d’autres tâches mais présentent en revanche des lacunes morpho-syntaxiques prononcées et qui ont du mal à donner leur avis, interpréter et hiérarchiser les informations.

- des « lecteurs se limitant à l’explicite » qui ne se réfèrent qu’au texte et qui ont du mal à convoquer des connaissances antérieures et extérieures au texte –pour eux, la réponse à la question est forcément dans le texte- et partant, qui ont du mal à convoquer les inférences pertinentes.

- des « minimalistes » qui incarnent un profil plus hétérogène encore ; face à des réponses laconiques, il est difficile de jauger de leur compréhension ou de leur non- compréhension d’une question. S’agit-il d’une stratégie scolaire visant à dissimuler des faiblesses ? Ou d’une difficulté à déployer pas à pas l’argumentation ? Seul l’entretien en cours de réalisation de la tâche ou ex post immédiat pourrait éventuellement élucider les zones d’ombre de leurs réponses lacunaires.

- des « constructeurs de sens gênés par un être au monde conformiste » qui se réfèrent dans leur argumentation à leur expérience personnelle et/ou à une doxa conformiste, un cadre de valeurs morales prêt à l’emploi ; ils glosent beaucoup mais ont du mal à adopter une posture « seconde » (telle qu’elle est définie par Bautier et Goigoux, 2004). Il s’agit du sous- groupe le plus hétérogène et qui obtient les performances les plus instables.

Cette catégorisation basée sur des modes de faire et des univers de références mobilisés par les élèves apporte beaucoup d’éléments pour mettre du sens sur les résultats chiffrés qui ne disent pas grand-chose des compétences des élèves. Nos choix méthodologiques pour notre enquête auprès des élèves s’inspirent de cette enquête. Il s’agit certes d’élèves beaucoup plus âgés que les élèves de notre enquête ; cependant, nous pensons retrouver des postures et des stratégies similaires, ce qui tendrait à entériner l’idée qu’elles ne sont pas tant le fait d’adolescents (ce qui semble en revanche être le cas pour l’abstentionnisme) mais qu’elles sont au contraire déjà bien présentes et ancrées cinq ans plus tôt, dès la fin de l’école primaire. Avoir conscience de cette constante permet sans doute de réorienter la réflexion didactique pour faire travailler en amont des postures et des stratégies de lecture moins erronées. La littérature abonde sur le caractère prédictif des habiletés phonologiques en maternelle en regard des performances de lecture en fin de cycle 2 ; elle est en revanche peu prolixe au sujet de la compréhension de textes dans sa dimension longitudinale.

« Once a poor comprehender, always a poor comprehender ? »49

C’est en ces termes que Cain (2010) pose la question du caractère prédictif des habiletés en compréhension de textes. Il est en effet intéressant de se demander si ces difficultés de compréhension persistent dans le temps. Les rares études longitudinales portant sur des faibles compreneurs montrent une certaine persistance des déficits et des problèmes. Il existe

certes des études qui semblent plutôt encourageantes. Par exemple, dans une étude auprès de faibles compreneurs de 8 ans, Levorato, Nesi and Cacciari (2004) constatent que 67% de ces élèves ne présentent plus de différences notables dans leurs performances avec les bons compreneurs. De même, Aarnouste, van Leeuwe, Voeten et Oud (2001) ont comparé, à trois ans d’intervalle, les performances en compréhension de textes pour un groupe d’élèves appariés, divisés en trois sous-groupes de niveaux selon les habiletés de compréhension. Ils mettent en évidence que l’écart entre les trois groupes diminue sensiblement sur l’intervalle. Cependant, Cain (2010) souligne que les élèves de ces deux études n’ont pas été soumis à une épreuve de lecture-déchiffrage. Elle affirme que la part des progrès dus à une meilleure maîtrise du code peut dès lors difficilement être évaluée. Une étude portant cette fois uniquement sur des « unexpectedly poor comprehenders » tels qu’elle les définit montre au contraire qu’une proportion non-négligeable de ceux-ci restent très en deçà des performances des bons compreneurs trois ans plus tard (Cain & Oakhill, 2006). C’est un pan de la recherche qui reste à défricher notamment en prenant en compte des variables essentielles tels que l’exposition à l’écrit, le milieu social, mais aussi d’autres éléments de connaissances de la langue écrite.

En résumé, l’enseignement le plus important que l’on peut tirer de ces nombreuses catégorisations est sans doute l’extrême hétérogénéité des faibles compreneurs. Si l’on veut tenter de caractériser au plus près la compréhension de textes chez ces derniers, il semble nécessaire (i) de dépasser la dichotomie bons compreneurs/faibles compreneurs ; (ii) d’ « isoler » la compréhension de textes en prenant pour sujets des unexpectedly poor comprehenders et (iii) de s’interroger sur les origines des difficultés, en croisant les typologies de difficultés et les typologies de faibles compreneurs pour pouvoir entrevoir un diagnostic des contre-performances de ces élèves. On pourrait également envisager de comparer les résultats de ces élèves à des textes oralisés entendus et des textes lus. La compréhension d’album sans texte pourrait être intéressante aussi.

Cependant, la compréhension de textes engage bien plus que le simple exercice scolaire qui consiste à fournir des réponses à des questions de compréhension ; elle engage également le rapport de l’élève au langage, à la lecture, etc. L’élève est aussi un lecteur qui a une pratique ou non de la lecture en dehors de l’école ; il est aussi un sujet parlant qui arrive à l’école avec

des pratiques langagières familiales particulières, des univers de références personnels, un rapport au savoir particulier, etc.

Suivant de nombreux auteurs, sociolinguistes ou sociodidacticiens entre autres, nous partageons l’hypothèse que ces aspects ont une forte incidence sur la manière dont les élèves témoignent de leur compréhension des textes dans le cadre scolaire et que ces aspects expliquent une part non-négligeable des difficultés des faibles compreneurs.

D’autres pistes pour expliquer les difficultés en compréhension de

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