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La première génération ou les modèles stratégiques : van Dijk et Kintsch (1978, 1983)

La première génération de modélisation a pour objectif principal de comprendre ce que le

lecteur a construit comme représentation du texte. L'apport majeur de cette génération consiste précisément à établir que la représentation mentale du texte est une construction du lecteur qui diffère et va au-delà du texte-même. Avant le modèle fondateur de van Dijk et Kintsch (1978), la lecture-compréhension était surtout envisagée du point de vue de la mémoire des textes. Cette modélisation pose la distinction fondamentale entre « mémoire du texte » et « mémoire de la compréhension du texte », ce qui constitue en soi une avancée théorique forte dans l'étude des processus de compréhension de textes. Le modèle théorique proposé par van Dijk et Kintsch définit trois niveaux de représentation : la surface du texte, la base de texte et le modèle de situation.

- La surface du texte, niveau le plus élémentaire de représentation, se situe au niveau morpho-syntaxique (mots du texte et syntaxe utilisée). On retient les mots et l'ordre dans lequel ils apparaissent.

- La base de texte se situe au niveau sémantique. Ce niveau de représentation nécessite le recours à une notion clé chez ces auteurs : la proposition. Cette notion est très importante pour décrire les mécanismes d'élaboration de la base de texte, pour justifier clairement l'intérêt de l'analyse propositionnelle et pour décrire les processus de compréhension de textes. Les auteurs entendent le terme non dans une acception grammaticale mais dans une acception logique12. Une proposition forme une unité de signification et est constituée d'un

prédicat (en général, un verbe, un adjectif ou un adverbe) et d'un ou de plusieurs arguments (des éléments modificateurs du prédicat). Une phrase peut bien sûr comporter plusieurs propositions. Par exemple, la phrase « le chien a mordu grièvement la petite fille blonde » peut être traitée par l'analyse propositionnelle suivante :

Nous voyons aisément dans cet exemple qu'une phrase simple peut comporter plusieurs voire de nombreuses propositions. La description propositionnelle a l'avantage de résoudre les problèmes d'équivalences sémantiques alors que la forme de surface diffère, comme dans le cas de la passivation, par exemple. Cependant, nous pouvons objecter que la passivation est peut-être un élément important à prendre en compte dans la compréhension de certains textes, littéraires notamment, dans le sens où elle peut faire partie intégrante du style de l'auteur et poser des problèmes de compréhension pour le lecteur. Le fait que les temps verbaux ne soient pas non plus pris en compte pose question. Le modèle de van Dijk et Kintsch

12 À ce propos, nous pouvons remarquer une évolution et un déplacement de l'unité de base du sens. Jusque dans les années 60, c'est le « mot » qui était l'unité de référence du sens. Avec les travaux en psycholinguistique et notamment ceux de Chomsky développant le concept de grammaticalité c'est la phrase qui se constitue en unité de référence, car celle-ci est considérée comme une unité indépendante syntaxiquement et sémantiquement. Enfin, les travaux de Fillmore (1968), qui inspirent la base de texte propositionnelle à Kintsch, destitue le primat de la syntaxe sur la sémantique.

Px1 : chien Px2 : fille P1 : MORDRE (Px1, P5) P2 : GRIÈVEMENT (P1) P3 : PETITE (Px2) P4 : BLONDE (Px2) P5 : ET (P3, P4)

prend comme support fondamental l'analyse propositionnelle (dite aussi prédicative13) qui

devient un outil d’analyse des texte et de quantification (découpage de tout un texte en propositions) et de grille d'analyse pour la restitution (analyse des rappels) (Ghiglione, Kekenbosch, Landré, 1995). En effet, l'analyse propositionnelle a un double statut : elle est à la fois un outil méthodologique et un concept théorique présumé rendre compte du traitement du texte. Nous développerons cet aspect dans le chapitre portant sur le diagnostic des difficultés et dans nos données.

Pour revenir à la définition de la base de texte, on peut également noter qu'elle est organisée à deux niveaux, l'un local et l'autre global : la microstructure (traitement du texte phrase par phrase) et la macrostructure (qui correspond à la structure globale du texte : série de propositions hiérarchiquement organisées ; organisation des contenus en paragraphes et en parties de texte en incluant d'éventuels titres) (Kintsch & van Dijk, 1975, 1978). Van Dijk (1980) cite une série de règles qui permettent l'élaboration de la macrostructure et qu'il nomme les macrorègles :

- La 1ère macrorègle est la règle de suppression (« deletion ») : elle consiste à pouvoir supprimer les propositions correspondant à des aspects de détails ou non pertinents dans l'interprétation des autres propositions.

- La 2ème macrorègle est la règle de suppression dite "sévère" (« strong deletion ») : elle consiste à supprimer des éléments qui peuvent être pertinents au niveau local mais pas nécessairement au niveau global du texte.

- La 3ème macrorègle est la règle de généralisation (« generalization ») : elle consiste à remplacer plusieurs propositions par une seule et unique plus générale qui les résume toutes. Ex: Les enfants jouent comme généralisation des trois micropropositions : 1) Jean joue à la balle, 2) Marie berce sa poupée, 3) Pierre construit un château.

- La 4ème et dernière macrorègle est la règle de construction (« construction ») : elle s'applique à substituer, à un ensemble de micropropositions, une macroproposition qui en est

13 Le terme « prédicat » a connu une grande fortune dans de nombreux champs et a beaucoup évolué au fil des siècles. Dans la grammaire traditionnelle depuis Aristote, il s'oppose à celui de sujet. Mais cette dualité prédicat/sujet ne pouvant rendre compte de certaines réalisations de phrases (« C'est lui qui... »), la grammaire moderne issue de Gottlob Frege et de Bertrand Russell a distingué la dualité sujet/prédicat d'une part et thème/rhème d'autre part. Le rhème correspond à l'information donnée sur le thème ; les deux rhèmes et thème pouvant être indifféremment portés par le sujet ou par le prédicat. La philosophie scolastique médiévale parle, elle, de prédicat logique (une qualité attribuée au sujet). La psychologie cognitive reprend le terme à son compte avec une valeur sémantique.

une cause ou une conséquence.

Ex: Jean part en voyage en train = Jean est allé à la gare, il a acheté un billet, il s'est dirigé vers le quai, etc.

(exemples repris de Coirier, Gaonac'h et Passerault, 1996)

Une des propriétés importantes des macrorègles est de posséder un caractère récursif, c'est- à-dire qu'une fois le premier niveau de macrostructure atteint, les macrorègles peuvent s'appliquer à nouveau, et ainsi de suite jusqu'à obtenir une sorte de résumé très synthétique du texte. Les inférences causales et temporelles font également partie intégrante de l'analyse propositionnelle.

En résumé, la base de texte forme l'ensemble des propositions explicites et implicites, c'est- à-dire les éléments et les relations directement dérivées du texte. Elle est cohérente et hiérarchisée : les propositions reliées avec les autres propositions du texte par les mêmes prédicats ou arguments occupent une place privilégiée dans la hiérarchie.

Les deux premiers niveaux ainsi définis, surface du texte et base de texte, se réalisent uniquement à partir des éléments présents dans le texte.

- En revanche, le dernier niveau, le « modèle de situation » fait appel à des éléments extérieurs au texte. La part du lecteur (ses connaissances et objectifs de lecture) est primordiale pour ce niveau : grâce à ses connaissances et expériences antérieures, le lecteur organise une représentation plus cohérente du texte en complétant et en interprétant les deux premiers niveaux. Ces connaissances antérieures sont ainsi au cœur de la modélisation de van Dijk et Kintsch (1983) dans le sens où elles définissent, en théorie du moins, la transition entre base de texte et modèle de situation. Dans les faits, la frontière de l’un à l’autre niveau n’est pas toujours aussi évidente. En tout cas, dans le dernier niveau, le lecteur se détache du texte, par essence fragmentaire, pour construire sa propre représentation de la situation décrite par le texte, son « modèle original » : il reconstruit le récit. Le modèle de situation correspond à la représentation structurée de l'essentiel du texte (dont la macrostructure est le modèle) ainsi que de l'ensemble des états, des personnages et des événements ; le tout remodelé en fonction des connaissances antérieures du lecteur. Ce dernier niveau n'est pas spécifique à la compréhension de textes, contrairement aux deux premiers : il s'applique

également à la compréhension des messages non verbaux, comme par exemple les supports iconographiques -image, film, schéma, carte- (Kaup, Zwann & Lüdtke, 2007). Une des notions centrales de ce modèle théorique est la cohérence. Elle est envisagée par van Dijk et Kintsch (1983) comme le moteur principal de la recherche de sens chez le lecteur. C'est le chevauchement d'arguments entre deux propositions en cours de traitement qui va assurer cette cohérence. Quand les deux propositions ne partagent pas d'argument, la cohérence n'est pas établie ; le lecteur remonte alors vers d'autres propositions traitées antérieurement et stockées en mémoire14. Si la cohérence entre les nœuds et les propositions n'est toujours

pas établie, le lecteur produit alors une inférence15.

Le modèle de situation permet, en faisant appel à ses connaissances antérieures, non seulement d'élaborer une représentation d'un texte donné, mais aussi, dans un processus dynamique, d'acquérir de nouvelles connaissances, de raisonner et de résoudre des problèmes.

Les modèles de la deuxième et troisième génération : vers une

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