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Nous avons fait le choix de porter notre attention sur le processus de production d’inférences parce que, dans la majorité des modèles de compréhension de textes narratifs récents, la production d'inférences est présentée comme une composante majeure, dans l’établissement de la cohérence du texte, à côté des stratégies de contrôle16 notamment

(Perfetti, Landi & Oakhill, 2005 ; Perfetti et al., 2005 ; Cain, 2010). Les travaux sur la compréhension de textes sont largement héritiers des travaux sur la lecture-déchiffrage et la mémoire, nous l’avons dit, mais la production d’inférence est emblématique de la compréhension de textes.

Nous pouvons nous interroger sur cette sur-représentation des inférences dans les travaux de compréhension de textes. Il est sans doute possible d’avancer plusieurs facteurs explicatifs : la production d’inférences semble facilement attestable expérimentalement ; il s’agit en outre d’un processus transversal qui va de la compréhension de phrases à la compréhension de textes et pour tout type de texte ; enfin, la production d’inférences semble incarner l’archétype du processus de traitement de l’information qui était l’approche phare de la psychologie cognitive des années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, décennies qui ont vu se multiplier les travaux en compréhension de textes.

L'inférence a été définie, au départ, dans le cadre de l'intégration sémantique. L'analyse propositionnelle, telle que nous l'avons présentée dans le modèle fondateur de van Dijk & Kintsch (1978), différencie argument et prédicat. L'argument constitue l'information ancienne et le prédicat, l'information nouvelle qui s'intègre à la représentation mentale ancienne en l'enrichissant. L'analyse propositionnelle ne se résume pas à une liste de propositions, mais témoigne au contraire d'un établissement progressif de la structure cohérente du texte, par

16 ou « monitoring » : vérification de sa compréhension en cours de lecture (Perfetti et al., 2005 ; Cain, 2010).

un jeu d'emboîtement des prédicats et des arguments. Dans ce processus d'intégration, les informations présentes dans le texte sont complétées par des informations que le lecteur infère, c'est-à-dire que ces dernières ne sont pas explicitement mentionnées dans le texte ; le texte y fait implicitement référence (Denhière & Baudet, 1992).

Si cette définition du terme « inférence » semble faire consensus dans les différents champs disciplinaires, il n'en demeure pas moins que la production d'inférences est un processus complexe qui renvoie à des réalités très diverses sur un continuum allant du simple pronom aux références culturelles, aux allusions, à l'humour, à l'interprétation, à l'exégèse. Comment dès lors définir l'implicite ? Peut-on sur-inférer ? Qui détermine, et selon quels critères, les inférences qu'il est nécessaire de produire pour comprendre un texte ?

Ces questions interrogent la, ou plutôt, les définitions de la compréhension de textes qui se dessinent ainsi. En témoigne d'ailleurs le nombre de taxonomies que l'on peut trouver dans la littérature (e.g., Graesser et al., 1994 ; Trabasso, 1981 ; Beach & Brown,1987 ; Cunningham,1987 ; Cain et Oakhill,1999). Ces diverses taxonomies « découpent » les inférences de manière très différente selon les modèles. On peut être tenté d'y lire en filigrane les modèles conceptuels qui sous-tendent une certaine conception de la compréhension de textes.

- Johnson et Johnson (1986)(in Giasson 1990), par exemple, ont proposé une classification de types d'inférences selon la nature de l'inférence (lieu, agent, temps, action, instrument). On peut considérer que les classifications de ce type renvoient à une conception calquée sur le modèle grammairien. Comprendre un texte, c'est ainsi, en premier lieu, en avoir réalisé une analyse syntaxique et linguistique correcte.

- Le modèle conceptuel des inférences de Cunningham (1987), en revanche, ne propose pas de catégories isolées pour classer les différents types d'inférences mais les place résolument sur une échelle qui distingue les inférences fondées sur le texte qu'il nomme « inférences logiques » (qui rendent compte d'une compréhension littérale) et les inférences fondées sur les connaissances et les schémas du lecteur qu'il nomme « inférences pragmatiques » (qui rendent compte d'une compréhension inférentielle, voire créative). Dans ce modèle, comprendre un texte renvoie plutôt à une conception proche de celle de Barthes (1966) : « Comprendre un récit, ce n'est pas seulement suivre le dévidement de l'histoire, c'est

aussi reconnaître des 'étages', (...) ce n'est pas seulement passer d'un mot à l'autre, c'est aussi passer d'un niveau à l'autre ». On peut considérer que les classifications de ce type renvoient au modèle de situation (les inférences logiques sont au niveau de la base de texte et les inférences pragmatiques au niveau du modèle de situation ; on peut circuler d'un niveau à l'autre).

- Dans d'autres travaux de psychologie cognitive, enfin, la catégorisation de types d'inférences sert d'outil pour analyser les protocoles verbaux (Trabasso & Magliano, 1996a). La grille d'analyse que ces auteurs proposent permet d'évaluer (i) le contenu inférentiel des protocoles de rappel ; (ii) la source d'information à l'origine d'un type d'inférence ; (iii) les processus cognitifs qui rendent l'inférence accessible au lecteur. Leur catégorisation différencie des inférences explicatives (inférences orientées vers des informations antérieures du récit) ; des inférences d'association (inférences de détails qui viennent enrichir les descriptions) ; des inférences prédictives (inférences orientées vers des informations à venir du récit). On peut en déduire que cette façon de concevoir la catégorisation des inférences, et partant, la compréhension de textes narratifs, se rapporte à la conception de la compréhension guidée par la structuration du récit : Comprendre un texte, c'est alors avant tout produire les bonnes inférences explicatives et prédictives qui témoignent que le lecteur sait se situer dans la fabula17 et convoquer les inférences d'association qui renvoient, dans ce

modèle, à un imaginaire collectif du contexte narratif. En somme, comprendre un texte, c'est maîtriser la structure narrative et les codes de l'imaginaire collectif littéraire.

En catégorisant diversement les types d'inférences, ces taxonomies sont révélatrices de conceptions différentes de la compréhension de textes qui sous-tendent le découpage des catégories.

Les travaux les plus récents prennent résolument le texte dans sa logique de fonctionnement interne comme objet. Par exemple, Cain (2010) établit clairement la différence entre ce qui dépend de la cohérence locale et ce qui dépend de la cohérence globale du texte. Même si l'établissement des deux niveaux de cohérence mettent en jeu des productions d'inférences, ces dernières ne sont probablement pas de même nature. Nous suivrons ici l’organisation de cette dernière catégorisation.

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