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L ’ héritage du dispositif ancien : un aperçu diachronique Dans le dispositif ancien

Comme le montre très bien Jean-Maurice Rosier dans « La didactique du français » (2002), le français est, dans le dispositif ancien, une matière d'école primaire : il s'agit d'apprendre à lire et à écrire. Mais qu’entendent les instructions officielles (1923-1972) par « apprendre à lire » ? Il est clair qu’il s’agit essentiellement de lecture-déchiffrage. Elles ne posent pas le texte narratif et la compréhension de textes comme objets d’enseignement-apprentissage. Les textes narratifs et la littérature sont certes présents dans les classes mais plutôt utilisés comme des supports ou comme des référents patrimoniaux à acquérir : quelques poèmes (dont les Fables de La Fontaine, Hugo, Lamartine, etc.) font l’objet d’un apprentissage par cœur ; quelques lectures d’ouvrages entiers sont couramment effectuées dans les classes (« Le Tour de la France par deux enfants » de Bruno, publié en 1877, par exemple). Mais il est clair que l'enseignement de la littérature à proprement parler relève du seul secondaire.

L’école primaire du dispositif ancien a pour objectif essentiel, nous l’avons dit, la lecture et l’écriture. C’est le modèle grammaire/orthographe qui constitue alors le socle des connaissances à acquérir en français. L’enseignement de l’orthographe est tout orienté vers la vie quotidienne. Il s’agit de savoir écrire correctement pour la vie quotidienne ; on peut d’ailleurs y lire une première forme de littératie avant l’heure et, dans ce sens, il n’est pas anodin que l’engouement récent autour de la notion de littératie coïncide, dans la société en général, avec un regard nostalgique sur des pratiques fantasmées de l’école de la IIIème République qui correspond surtout à une certaine mode de l’évaluation par compétences.

La grammaire est conçue, quant à elle, comme une initiation au latin. L'apprentissage consiste essentiellement en la mémorisation d'un catalogue de natures et de fonctions ainsi que des parties du discours, lointain héritage de la rhétorique antique. Cette conception des apprentissages du français donne lieu à un cloisonnement des activités dont la dictée est l'exercice emblématique. L'orthographe, dans ce modèle, est effectivement un élément survalorisé de l'acculturation à l'écrit dont l’enseignement attache davantage d’importance à la surnorme (François, 1983) qu’à la compréhension des problèmes orthographiques lexicaux et grammaticaux (comme l’asymétrie phonie/graphie, par exemple). En ce qui concerne l’écriture, son enseignement se résume le plus souvent à la correction de la rédaction de fin de semaine dans laquelle les élèves sont invités, par

un effet de contrat didactique implicite, à mettre en œuvre ce qui a été travaillé durant la semaine, laissant toutefois dans l’ombre l’épineux problème du transfert des connaissances : en effet, ce n’est pas parce qu’on a travaillé sur l’accord dans le groupe nominal, par exemple, que les élèves vont spontanément effectuer les accords lorsqu’ils sont dans une activité d’écriture. La démarche et la posture sont d’une autre nature. En outre, de nombreuses représentations erronées font jour autour de « l’expression écrite » : elle est souvent considérée comme une affaire de style, de don, de talent. Certains élèves sont doués pour écrire, d’autres moins. Il y a des profils littéraires vs des profils scientifiques, etc. Ainsi, l’écriture semble être, dans cette conception, très peu « enseignable ».

L’enseignement à proprement parler de la littérature débute, dans le dispositif ancien, au secondaire. Cependant, il s’agit avant tout d’un enseignement patrimonial, c’est-à-dire visant à établir une culture de base constituant un patrimoine culturel commun aux élites intellectuelles de la nation. Il s’agit donc de construire pour ces élites une certaine connivence entre lettrés qui situe immédiatement l’individu socialement. Le modèle de dispositif pédagogique le plus répandu est fortement transmissif et tient surtout à la vertu charismatique du professeur de lettres. Accompagnant ce dispositif pédagogique, un manuel pour le lycée69 a exercé, pendant des

décennies, un monopole officiel : l’emblématique « Lagarde et Michard ». Hérité d’une conception lansoniste70, toute empreinte de sacralisation de la littérature nationale, le manuel a rapidement

été érigé en norme de référence du modèle traditionnel de l’enseignement de la littérature. Il s’agit d’une anthologie siècle par siècle (un tome par siècle) conçu comme un panthéon d’auteurs présentant successivement, pour chacun, des éléments autobiographiques et des extraits de leurs œuvres majeures. Les principaux reproches, adressés par l’analyse littéraire issue du structuralisme d’après guerre à cette conception de la littérature, portent sur le découpage selon une périodisation calquée sur l’histoire événementielle et politique, et non selon une périodisation basée sur une histoire des genres et styles littéraires. En outre, l’insistance sur la biographie de l’auteur convoque immanquablement une lecture psychologisante des œuvres à travers le prisme de sa vie qui a été remise en cause ultérieurement par la critique littéraire.

69 Regroupant sous ce nom dans le dispositif ancien les actuels collège et lycée

70 Gustave Lanson (1857-1934) fut un historien de la littérature et un critique littéraire français qui encouragea

L’autre pan de l’enseignement littéraire au secondaire, dans le dispositif ancien, est l’enseignement de l’écriture. Dans les premières années du lycée (actuel collège), la rédaction consiste essentiellement en imitation de modèles canoniques (ex : les portraits de La Bruyère). L’apprenant lit des textes narratifs et apprend à écrire des textes narratifs « à la manière de ». En revanche, dans les classes de lycée (au sens actuel), l’apprenant doit lire des œuvres issues du patrimoine littéraire français mais doit produire une autre forme d’écrit : non plus du narratif mais de l’argumentatif. C’est notamment le cas de l’épreuve reine : la dissertation. Dans la continuité de l’école primaire, l’écriture semble surtout être affaire de don. La méthodologie de la dissertation est très implicite et s’en tient à un héritage de l’enseignement de la rhétorique : la dispositio. Genette parle même à ce propos de « mystique du plan » (1966).

Pour résumer, l’enseignement du français dans le dispositif ancien était très étagé ou étapiste visant (i) à l’école primaire une certaine littératie, un viatique pour la vie quotidienne autonome de l’adulte ; (ii) au lycée, un enseignement de la littérature consistant essentiellement en la connaissance d’œuvres et d’auteurs patrimoniaux ; cette connaissance assurant une culture générale très clivante sur le plan social. Hors l’école, la littérature jeunesse assure surtout, à l’époque, une fonction édifiante et s’établit comme un lointain héritier laïque des pratiques de lectures religieuses. Elle est, elle aussi, très clivante socialement.

Dans toute l’institution scolaire, l’écriture semblait être plus une affaire de don et faisait surtout l’objet d’une évaluation sommative se focalisant sur la correction de la langue, au détriment des aspects pragmatiques et d’organisation textuelle. La compréhension de textes, quant à elle, n’apparaissait nulle part comme un objet d’enseignement-apprentissage.

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