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Les modèles fondateurs de la compréhension de textes comme construction du sens

La compréhension de textes est un objet de recherche émergent, nous l'avons maintes fois répété. Les premiers travaux centrés sur cet objet unique remontent, en effet, aux années soixante-dix. Ce n'est qu'à partir de cette décennie que la compréhension de textes a

commencé à se démarquer des travaux sur la mémoire, en définissant ses contours propres, ou en d’autres termes qu'elle a moins été considérée comme l'étude de la représentation en mémoire du texte que comme l'étude de l'élaboration d'une représentation mentale de la situation dépeinte par le texte.

Le modèle princeps proposé par Van Dijk et Kintsch (1978) a posé les fondations d'une génération de travaux et de modélisations dans lesquels la compréhension de textes est appréhendée comme une activité de construction du sens (Blanc & Brouillet, 2003 ; Fayol & Gaonac'h, 2003). Ce modèle a permis de repenser la compréhension de textes. Avant ce modèle fondateur, la lecture-compréhension était surtout envisagée du point de vue de la mémoire de surface des textes. En introduisant, à côté de la notion de “surface de texte” ( analyse lexicale et syntaxique des énoncés) et de celle de “base de texte” (ensemble des propositions sémantiques lues ou inférées lors de la lecture), la notion de “modèle de situation” (représentation de l'essentiel du texte, appelée aussi macrostructure, comprenant également l'ensemble des personnages, événements et états psychologiques; le tout étant remodelé par les connaissances antérieures du lecteur), van Dijk et Kintsch défendent l'idée que le lecteur, en cours de lecture, se construit une représentation du texte personnelle qui devient sa propre représentation du texte. En d'autres termes, il reconstruit le récit.

Il est intéressant de noter que c'est de l'association d'un psychologue et d'un linguiste qu'a abouti la formalisation de ce modèle fondateur. Les travaux sur la mémoire et la représentation ont, en effet, été une préoccupation partagée des cognitivistes et des linguistes.

Si le modèle de van Dijk et Kintsch est très novateur, on peut cependant mentionner quelques précurseurs des méthodes « modernes » pour étudier la compréhension de textes. Une première approche de ces questions a été envisagée sous l'angle des distorsions de la mémoire observées lors de la mémorisation des textes. Alfred Binet et son collaborateur Victor Henri publient en 1895 un article que l'on peut qualifier d'avant-gardiste. L'expérimentation visait à étudier la mémoire des idées contenues dans un texte. Elle a concerné 510 élèves de 9 à 12 ans issus de quatre écoles élémentaires parisiennes. La passation était collective et durait une demi-heure : les élèves écoutaient un texte en prose d'une longueur variable (de 20 à 86 mots mais somme toute de longueur assez modeste) et étaient prévenus en amont qu'ils devraient ensuite écrire le texte entendu de mémoire. Les

conclusions de Binet ressemblent étonnamment à celles de publications récentes : a) la mémoire des textes est plus efficace que la mémoire de listes de mots ; b) la forme des mots est plus rapidement oubliée que leur signification (Binet parle de substitutions synonymiques dans les productions de rappel) ; c) les élèves ne retiennent que les éléments importants du texte lu (le rappel est donc l'objet d'un processus d'abstraction) ; d) Binet parle de connaissances du monde, de reconstruction et de cohérence pour décrire les processus impliqués dans le rappel. Cette étude peut être considérée comme la première expérimentation portant sur la mémoire des textes et ses résultats empiriques aussi bien que l'interprétation théorique qu'elle propose sont très proches d'études récentes. Cependant, nous percevons bien que le focus de l’expérimentation n’est pas le traitement de l’information ni les processus de reconstruction du récit qu’effectue le compreneur (nous appelons le sujet « compreneur » et non « lecteur » puisqu’il s’agit d’un texte entendu). Ce qui intéresse Binet, c’est avant tout la nature des informations qui ont été retenues.

Bien plus tard, certains travaux sur la mémoire notent de même que la forme littérale d'un message fait l'objet d'un oubli rapide et que seul le sens du message est stocké et conservé en mémoire (Sachs, 1967). Bransford, Barclay et Franks (1972) ont, de même, proposé des éléments empiriques qui vont dans le sens développé ensuite par van Dijk et Kintsch. Par exemple, dans une de leurs expérimentations, des phrases orales étaient présentées aux participants. Dans un deuxième temps, ceux-ci étaient soumis à une épreuve de reconnaissance. Pour plus de clarté du propos, nous reprenons, dans l'encart 1, un exemple de leur matériel, repris de Blanc et Brouillet (2003). Cet exemple de protocole illustre le changement radical qui s'opère dans la conception de l'objectif des études sur la compréhension. Elles sont moins focalisées sur les processus cognitifs mis en jeu dans la compréhension, i.e., comment les sujets comprennent des phrases, que sur la façon dont les sujets parviennent à se construire une représentation mentale cohérente de ces phrases. Dans les premiers modèles, cette construction de la représentation est souvent présentée comme une activité stratégique de résolution de problèmes (Black & Bower,1980).

Première phase du protocole :

a. Trois tortues se reposaient sur un rondin flottant et un poisson nageait au-dessous d'elles.

b. Trois tortues se reposaient à côté d'un rondin flottant et un poisson nageait au-dessous d'elles.

Deuxième phase du protocole :

c. Trois tortues se reposaient sur un rondin flottant et un poisson nageait au-dessous de lui.

ou

d. Trois tortues se reposaient à côté d'un rondin flottant et un poisson nageait au-dessous de lui.

Les auteurs ont noté un fort taux d'erreurs chez les participants qui, très souvent, reconnaissaient à tort avoir entendu c. après avoir entendu a., lors de la première phase, alors que très peu d'erreurs étaient commises chez les participants qui avaient entendu d. après b. Les auteurs remarquent ainsi que le changement de surface pourtant fort (elle/lui) ne saute pas aux oreilles des participants de la première configuration. Ils en concluent que les participants se sont mentalement représentés la scène pour émettre leur jugement. Effectivement, dans a.et c., les tortues sont sur le rondin donc le poisson est également sous les tortues et sous le rondin, ce qui ne vaut pas pour b. et d., qui ne présentent pas la même scène : dans b., le poisson nage sous les tortues, dans d., le poisson nage sous le rondin.

Partant de ces divers travaux sur des phrases, van Dijk et Kintsch élaborent une théorie de la compréhension pour des textes. Nous présentons successivement les modèles fondateurs pour la compréhension de textes suivant en cela le séquençage temporel proposé par van den Broek et Gustafson (1999) et van den Broek, Youg, Tseng et Linderholm (1998) repris par Nathalie Blanc et Denis Brouillet (2005). Selon ces auteurs, trois générations de théories et recherches distinctes peuvent être établies. Le rapport processus/produit borne le passage de l'une à l'autre. Ici encore, nous observons un cheminement dialectique de la réflexion. En effet, la première génération est centrée autour des problématiques du produit de la compréhension, là où la seconde déplace ses centres d'intérêt vers les processus. Enfin, la troisième génération défend une approche intégrative du produit et des processus.

La première génération ou les modèles stratégiques : van Dijk et

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