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Chapitre 5 : Parure

1 Caractéristiques de la parure

1.2 Les Différents types de parure

La parure externe consiste à « adjoindre au corps des vêtements »13. Elle englobe la parure « dimensionnelle », « directionnelle », « locale » et « vestimentaire » et « corporelle »14 que nous détaillerons tour à tour dans ce paragraphe.

Dans le cas du style « Regency », la parure « dimensionnelle » et la parure « directionnelle » peuvent être assimilées à une recherche de verticalité, le but de celles-ci étant en effet d’allonger la silhouette. La parure dimensionnelle a pour objectif d’« accroître les mensurations apparentes du corps humain »15

. La robe Empire, longiligne, descendant jusqu’aux chevilles, avec la taille remontée sous la poitrine, est le meilleur exemple de parure dimensionnelle. Quoi qu’impitoyable pour les femmes n’étant pas sveltes, la coupe de la robe Empire donne l’illusion d’accroître la stature du fait de sa verticalité, due notamment au volume minimal de la robe. D’autres subterfuges relatifs cette fois à la parure directionnelle, comme les plumes, certains chapeaux, les coiffures qui dégagent la nuque et pour lesquelles les cheveux sont relevés en un chignon haut, ou encore les traines qui ornent les robes entre 1800 et 181016 ont la même fonction : tous permettent de paraître plus grand.

Flügel distingue ensuite la parure locale, représentée notamment par les médailles. Ce type de parure « attire l’attention sur une partie précise du corps ou met en valeur un ornement en raison de ses seuls mérites, comme un objet beau en soi, attractif en vertu de ses qualités intrinsèques (forme, couleur, éclat), de son sens ou des associations qu’il peut receler »17

. Les médailles donnent une indication sur le grade de celui qui la porte. Austen n’indique pas si les personnages qui sont membres de l’Armée ou de la Marine portent des médailles. En revanche, elle revient fréquemment sur le chic et l’élégance des uniformes dont les décorations traduisent elles aussi le rang de celui qui les arbore.

Dans Mansfield Park, l’uniforme de William Price est cité cinq fois (MP 288, 289, 299, 300, 301-302), ce qui témoigne de l’importance que la tenue des marins

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Flügel, 35.

14 Flügel, 36.

15 Flügel, 44.

16 Miki Iwagami, « XIXe siècle », in Tamami Suoh, ed, 48-52.

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peut avoir pour l’auteur et pour les civils en général. Dans le dernier extrait (MP 302), Austen révèle clairement à ses lecteurs son nationalisme et son patriotisme. Fanny se console du départ imminent de son frère en le voyant parader, fier et élégant, dans son uniforme : « Anxious not to appear unhappy, [Fanny] soon recovered herself: and wiping away her tears, was able to notice and admire all the striking parts of his dress […] » (MP 302). Southam, dans son ouvrage Jane Austen

and the Navy, vient éclairer le lecteur quant aux différents éléments du costume de

marin ; il cite un article paru dans la Gazette le 28 mars 1812 :

Lieutenants were now given a single epaulette, worn on the right shoulder, and a distinctive Navy button, newly-introduced, with a crown above an anchor. The other ‘striking parts’ of William’s dress would include his ‘new’ cocked hat and ‘uniform waistcoat’; his sword-belt worn across the chest; his buttoned cuffs; his cotton-net pantaloons; and his high Hessian boots, fashionable with tassels and gold-twist edging […].18

Le costume dans son ensemble et les éléments susmentionnés permettent de situer les marins dans la société et au sein de la Navy. Les boutons, le nombre de galons aux poignets, le nombre d’épaulettes et le nombre d’étoiles sur les épaulettes sont autant de signes qui reflètent le rang de celui qui les portent19. Sans donner trop de détails, Austen vient effleurer le sujet des distinctions locales, et fait preuve de nationalisme à travers l’engouement de ses personnages pour la Navy et les marins, en ce qui concerne Mansfield Park20.

Cette ferveur se retrouve de façon plus affirmée dans ses lettres : Austen s’intéresse en effet vivement à la carrière de ses deux frères engagés dans la Marine et au conflit opposant la France à la Grande-Bretagne. Elle fait montre de nationalisme en portant un bonnet « à la mamelouk », cette mode qui rend hommage à la victoire de Nelson lors de la bataille du Nil. Austen écrit à sa sœur les 8 et 9 janvier 1799 : « I am not to wear my white sattin [sic] cap tonight after all; I am to wear a Mamalouc cap instead, which Charles Fowles sent to Mary, & which she

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Brian Southam, Jane Austen and the Navy (Bath : National Maritime Museum Publishing, 2005), 206.

19 National Maritime Museum, Greenwich, Londres, “Royal Naval Uniform: pattern 1795-1812”.

http://collections.rmg.co.uk/ Disponible sur

<http://collections.rmg.co.uk/collections/objects/71257.html>,

<http://collections.rmg.co.uk/collections/objects/71248.html> et <

http://collections.rmg.co.uk/collections.html#!csearch;authority=subject-90245;collectionReference=subject-90245> (11 juin 2012).

20 Notons dès à présent que le goût des jeunes filles pour l’uniforme dans Pride and Prejudice, n’a, lui, rien de nationaliste. Nous y reviendrons ultérieurement.

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lends me. —It is all the fashion now, worn at the Opera, & by Lady Mildmays at Hackwood Balls »21.

Enfin, Flügel évoque brièvement la parure vestimentaire qui « consiste à embellir des vêtements déjà existants »22. Ce type de parure trouve une illustration dans les chapeaux que les jeunes filles retravaillent afin de les mettre au goût du jour, ou encore dans les robes rebrodées. Dans le passage suivant, Kitty et Lydia partent à la rencontre de Lizzy, Jane et Maria Lucas. Lydia vient d’acheter un chapeau pour le plaisir de dépenser. Celui-là ne lui plaît même pas : elle envisage de le modifier de façon assez radicale :

It was the second week in May, in which the three young ladies set out together from Gracechurch Street for the town of ——, in Hertfordshire; and, as they drew near the appointed inn where Mr. Bennet's carriage was to meet them, they quickly perceived, in token of the coachman's punctuality, both Kitty and Lydia looking out of a dining-room upstairs. These two girls had been above an hour in the place, happily employed in visiting an opposite milliner, watching the sentinel on guard, and dressing a salad and cucumber.

After welcoming their sisters, they triumphantly displayed a table set out with such cold meat as an inn larder usually affords, exclaiming, “Is not this nice? Is not this an agreeable surprise?”

“And we mean to treat you all,” added Lydia, “but you must lend us the money, for we have just spent ours at the shop out there.” Then, showing her purchases—“Look here, I have bought this bonnet. I do not think it is very pretty; but I thought I might as well buy it as not. I shall pull it to pieces as soon as I get home, and see if I can make it up any better.”

And when her sisters abused it as ugly, she added, with perfect unconcern, “Oh! but there were two or three much uglier in the shop; and when I have bought some prettier-coloured satin to trim it with fresh, I think it will be very tolerable. Besides, it will not much signify what one wears this summer, after the ——shire have left Meryton, and they are going in a fortnight.” (PP 169-170)

Ornementer un chapeau ou en changer la décoration est un passe-temps courant pour les jeunes filles. Cette occupation, comme le montre l’extrait, est liée à la parure. Kitty et Lydia n’ont effectivement que deux idées en tête : la mode et les hommes et pour elles, se parer signifie plaire aux hommes, et notamment aux militaires. En attendant l’arrivée de leurs sœurs et amie, elles vont rendre visite à la modiste à qui elles achètent différents articles, dont un chapeau fort laid. Elles guettent aussi les officiers de la milice qui sont présents dans la rue, espérant sans doute qu’ils les regardent en retour. Enfin, Lydia clame le peu d’importance du résultat de la redécoration du chapeau. Les membres de l’Army que les jeunes filles avaient pris l’habitude de côtoyer à Meryton vont changer leur camp d’emplacement. Ils ne

21 Jane Austen, Jane Austen’s Letters, ed. Deirde Le Faye (Oxford : Oxford UP, 1997), 33.

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seront donc plus là pour juger de ses talents. Ainsi, retravailler une coiffure ne présente plus d’intérêt pour la jeune fille : elle n’a plus personne à qui plaire.

Austen insiste ici sur la stupidité des jeunes sœurs Bennet. Elle souligne leur intérêt pour des futilités ainsi que leur tendance dépensière. Lydia achète un chapeau qu’elle ne portera probablement jamais, et auquel elle n’apportera peut-être pas de modifications, malgré son intention de le faire. On imagine aussi aisément la gêne des ainées devant le manque de discrétion de leurs cadettes. Commander une collation sans pouvoir régler la note ou minauder devant les soldats témoigne de leur manque d’éducation. D’ailleurs, plus loin dans l’intrigue, Elizabeth dira de sa plus jeune sœur : « she has never been taught to think on serious subjects; […] she has been given up to amusement and vanity. She has been allowed to dispose of her time in the most idle and frivolous manner » (PP 216-217). Selon Austen, parure et manque d’éducation conjugués ne peuvent mener à la distinction.

Rebroder les robes permettait non seulement de les embellir, mais aussi de les personnaliser. La Figure 6 montre un exemple des broderies que l’on pouvait réaliser. Le motif, très élaboré, n’apparaît pas tout autour de l’ourlet. Il n’est représenté qu’une fois, afin de donner une note de couleur et d’originalité à cette robe en tulle blanc, sans toutefois l’alourdir par une décoration trop imposante.

Figure 6 : Détail d’une robe du soir en tulle rebrodée à la main, vers 1815. D’après Johnston, Nineteenth Century Fashion in Detail 190.

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Comme l’explique Johnston, la robe, du fait de sa magnifique broderie, était réservée pour le soir ou portée à l’occasion de bals23. La broderie, comme le veut la mode, est faite de motifs floraux qui témoignent du retour à la nature et du rousseauisme en vogue à la fin du XVIIIe siècle. Si cette robe a été réalisée vers 1815, les décorations florales situées juste au dessus de l’ourlet, se rencontrent déjà vers 180524. Nous l’avons vu, Austen évoque ces broderies dans Mansfield Park, lorsque Fanny brode des robes en tulle (MP 120). Austen elle-même aimait retravailler ses effets, comme ce châle en mousseline sur lequel elle a brodé un motif au point de plumetis25.

Austen évoque très brièvement la parure corporelle, ou plutôt l’absence de parure corporelle, dans Persuasion lorsque Sir Walter affirme que Lady Russell ne sort pas de son lieu de résidence à Bath parce qu’elle n’est pas fardée : « If she would only wear rouge she swould not be afraid of being seen » (P 215). Bien qu’un retour à la nature soit de mise pour le style « Regency », certaines femmes portaient tout de même un peu de rouge sur leurs joues. Le rouge à lèvres était plutôt réservé aux femmes de mauvaise réputation26. Le lecteur ignore pour quelle raison Lady Russell ne se farde pas. Peut-être suit-elle de façon tout à fait stricte les manuels de bienséance et de bonne conduite ? Peut-être suit-elle le retour à la nature ? Peut-être essaie-t-elle de ne pas attirer l’attention sur elle. Dans tous les cas, Austen présente ici quelqu’un de raisonnable, de relativement en retrait, n’amant pas se faire remaquer. Et c’est sans doute cela qui plaît à Anne chez Lady Russell.

La fin du XVIIIe et le début du XIXe correspondent à une période qui, malgré l’abandon du faste et des costumes luxueux de l’ancien régime, reste marquée par l’importance de l’apparence et de la parure. Les différents types de parure sont présents aussi bien dans la propre vie d’Austen que dans la vie qu’elle imagine et qu’elle décrit. Il est indéniable que la façon dont son entourage se vêt a une importance considérable pour l’auteur : les réflexions qu’elle fait à sa sœur par lettres interposées en témoignent. De même, dans ses fictions, le choix de la parure reflète une dimension sociale, psychologique ou idéologique de chaque personnage, comme le paragraphe suivant va le montrer.

23 Lucy Johnston, Nineteenth Century Fashion in Detail (Londres : V&A Publishing, 2009), 190.

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Johnston, 190.

25 Sarah Jane Downing, Fashion in the Time of Jane Austen (Oxford : Shire Library, 2010), 53.

26 Melissa Stevens, « Regency Cosmetics and Makeup », Jane Austen Festival Australia 2011. Disponible sur <http://janeaustenfestival.blogspot.fr/2012/01/regency-cosmetics-makeup.html> (29 juin 2017).

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