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Chapitre 4 : Pudeur

3 La pudeur sous toutes ses formes

3.3 Pudeur et motivations psychologiques

Flügel énonce une troisième variable relative à la pudeur : il affirme que les « motivations psychologiques »28 qui engendrent la pudeur peuvent provenir de soi ou des autres :

26 Pride and Prejudice, dir. Simon Langton.

27 Susie Birtwistle et Susie Conklin, The Making of Pride and Prejudice (Londres : Penguin Books BBC Books, 1995), 53.

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dans le premier cas ce sera la personne elle-même qui estimera qu’un type de vêtement (ou son absence) est en soi impudique. Ses propres sentiments constitueront à ses yeux un guide suffisant en la matière, indépendamment de ce que les autres peuvent en penser […]. Il y a, à l’opposé, […] l’individu qui n’est pas personnellement convaincu de l’impudicité de son habillement ou de son exhibition mais qui désirera avant tout éviter d’éveiller certains sentiments chez les autres.29

Un troisième cas peut être ajouté aux deux possibilités décrites par Flügel, à savoir, une personne qui se baserait tant sur ses convictions que sur celles des autres. L’héroïne de Mansfield Park, Fanny Price incarne ce dernier cas de figure. Ses motivations psychologiques à l’égard de la pudeur se fondent à la fois sur sa rigueur morale et sur l’appréhension qu’elle a du regard des autres. En particulier, Fanny a peur de déplaire à son oncle qui a accepté de la prendre en charge depuis ses dix ans. De plus, la droiture morale de Fanny se retrouve dans ses vêtements : la jeune fille ne porte aucune tenue inappropriée, ni en société, ni même dans l’intimité du cercle familial.

Dans le passage suivant, Fanny a revêtu sa plus belle robe pour le bal donné en son honneur et son oncle et ses tantes commentent son apparence :

Her uncle and both her aunts were in the drawing-room when Fanny went down. To the former she was an interesting object, and he saw with pleasure the general elegance of her appearance, and her being in remarkably good looks. The neatness and propriety of her dress was all that he would allow himself to commend in her presence, but upon her leaving the room again soon afterwards, he spoke of her beauty with very decided praise.

“Yes,” said Lady Bertram, “she looks very well. I sent Chapman to her.”

“Look well! Oh, yes!” cried Mrs. Norris, “she has good reason to look well with all her advantages: brought up in this family as she has been, with all the benefit of her cousins' manners before her. Only think, my dear Sir Thomas, what extraordinary advantages you and I have been the means of giving her. The very gown you have been taking notice of is your own generous present to her when dear Mrs. Rushworth married. What would she have been if we had not taken her by the hand?” (MP 213)

L’oncle de Fanny remarque pour la première fois que sa protégée a grandi, qu’elle est non seulement élégante, mais aussi jolie. Sa robe est décrite comme soignée. Le terme « propriety » renvoie à une notion d’adéquation entre la robe et l’évènement pour lequel Fanny la porte, mais aussi, une notion de bienséance et de correction. De toute évidence, la robe qu’Austen a imaginée pour Fanny n’est pas indécente. Fanny est une héroïne qui fait montre de pudeur. Rappelons que les cousines de Fanny portent des robes en tulle dont certaines pièces, comme les manches, venaient à même la peau et laissaient donc voir les bras. Austen n’avait sûrement pas imaginé Fanny portant des robes en tulle du fait de la transparence du tissu, mais aussi étant

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donné son prix, car Fanny n’a pas la prétention de porter les mêmes tenues que ses cousines.

Par ailleurs, lorsque Sir Thomas veut parler de la beauté de sa nièce, il attend qu’elle ait quitté la pièce afin de ne pas la mettre mal à l’aise. Il tient compte de la disposition de Fanny et du fait qu’elle soit réticente à être au centre de l’attention des personnes présentes. Devant elle, il n’évoque que son enveloppe, c’est-à-dire, sa robe. Mais dès qu’elle est sortie, il parle de sa beauté, de ce qu’il y a sous cette enveloppe textile, autrement dit, de son corps, mais aussi des traits de son visage. Lorsque Sir Thomas complimente la beauté de sa nièce, son épouse répond que c’est en quelque sorte grâce à elle si Fanny est en beauté puisqu’elle a lui envoyé sa propre femme de chambre pour l’aider à se préparer. Et Mrs Norris d’ajouter que tout le crédit de la beauté de Fanny revient à Sir Thomas lui-même puisque c’est lui qui a offert la robe à Fanny. On peut avancer ici que Sir Thomas voit en Fanny une femme, alors que les deux tantes de la jeune fille la réduisent à sa robe.

Fanny est très attentive quant à l’opinion des autres à son sujet. Quand son cousin Edmund la voit portant cette même robe, il dit « Now I must look at you, Fanny, […] and tell you how I like you; and as well as I can judge by this light, you look very nicely indeed » (MP 174). Fanny semble être quelque peu gênée face à la remarque de son cousin car elle répond qu’elle espère ne pas être trop élégante (MP 174). Edmund va devoir la rassurer à propos de son apparence car Fanny ne souhaite pas attirer les regards. Elle est mal à l’aise en société, comme le montre l’auteur : « [Fanny was] shoked to find herself at that moment the only speaker in the room, and to feel that almost every eye was upon her » (MP 115) ; et le meilleur moyen de se faire discrète est de ne pas se distinguer par sa tenue. Le personnage de Fanny Price trouve donc deux bonnes raisons de ne pas se découvrir : ses convictions et le besoin de s’effacer en société. Dans le deuxième cas, elle régit de la sorte pour ne pas rivaliser avec les dames de son entourage puisqu’elle n’a pas le même statut social qu’elles, ainsi que pour éviter d’éveiller le désir chez les hommes étant donné qu’elle n’en aimera qu’un seul, son cousin.

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