• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 : Parure

1 Caractéristiques de la parure

1.1 La Parure, définition

Pour König, la parure correspond à un « désir primitif de se parer pour se distinguer des autres »1. Il fait ici référence aux trophées2 que l’homme porte autour de son cou après avoir tué un animal ou un ennemi (os, dents, …) et aux ornementations corporelles (peintures) qui distinguent le chef d’une tribu des autres membres. Ainsi, par le truchement de la parure, « l’individu se transforme et s’élève à ses propres yeux, et se « distingue » aux yeux des autres »3. Ces caractéristiques sont valables dans notre société, et König continue : « [p]our être remarqué, il faut […] accepter l’ensemble des valeurs traditionnellement reconnues par son milieu. Et cela nous conduit à un […] paradoxe : se distinguer et s’intégrer dans un groupe social ne s’excluent pas. Tout homme qui veut être distingué doit faire quelque chose que les autres apprécient »4. Ainsi, König évoque à la fois la volonté de distinction et l’imitation. De cette façon, « les classes inférieures imitent les classes supérieures ; ces dernières sont alors obligées, pour continuer à se distinguer des précédentes, de changer de mode, jusqu’au moment où elles sont « rattrapées » par les autres, et ainsi de suite »5. Toutefois, cette théorie de l’imitation des classes supérieures par les classes inférieures a ses limites, l’influence pouvant parfois être mutuelle entre les classes sociales. C’est le cas avec le style Empire : la simplicité des robes a été empruntée au peuple par les classes sociales supérieures. Dans ce cas, la différence de statut entre les classes se retrouvera alors dans la qualité des tissus, mais aussi dans celle des coupes, les riches pouvant s’offrir les services de tailleurs de renom.

König déduit de ses constatations que « [l]e vêtement, la parure et le comportement en général ont donc, entre autres fonctions, celle de permettre aux membres d’un groupe de se reconnaître »6

. Pour lui,

[p]our que l’on se reconnaisse, il faut absolument la présence de certains traits permanents. Dans le cas qui nous intéresse, le trait permanent consisterait en ceci que certaines classes de la société peuvent s’offrir un certain luxe, que les autres, soit refusent par principe, soit […] doivent s’interdire, pour des raisons économiques.7

1 König, 60. 2 König, 61. 3 König, 60. 4 König, 85. 5 König, 72. 6 König, 69. 7 König, 70.

101

Austen fait toutefois remarquer, dans Mansfield Park, qu’il devient possible pour des personnes de classe inférieure de s’approprier les tenues vestimentaires de la bourgeoisie. Le prix du coton étant abordable, les basses classes peuvent s’offrir des robes identiques à celles de leurs maitresses, du moins en ce qui concerne la coupe et la couleur. Dans ce roman, Mrs Norris rapporte les paroles de Mrs Whitaker qui a renvoyé deux servantes pour avoir porté une robe blanche (MP 84). Le blanc était en effet réservé à leurs maîtresses. En imitant la « gentry », les servantes effacent un marqueur de la différenciation des classes sociales, ce qui est perçu comme une agression par la « gentry ». Cet essai pour réduire à néant les signes extérieurs qui séparent la bourgeoisie du petit peuple est d’ailleurs considéré comme un acte répréhensible puisqu’il justifie, selon Mrs Norris, le renvoi des servantes.

La réaction de Mrs Norris peut sembler radicale. Cependant, comme l’explique Terry dans son article « Seen But Not Heard: Servants in Jane Austen’s England », les femmes de chambre sont critiquées lorsqu’elles tentent d’imiter leur maitresse du point de vue vestimentaire. En fait, il arrive que certaines femmes laissent à leurs servantes les robes dont elles ne font plus rien, permettant ainsi aux servantes de leur ressembler. Cette pratique est condamnée par les livres de conduite8, et Mrs Norris adhère visiblement aux idées qu’ils promeuvent : la distinction entre les classes sociales doit continuer de s’effectuer par le port de vêtements différents.

Dans Emma, l’héroïne exprime clairement sa volonté de ne pas se mêler aux classes inférieures. Elle dit à propos de Mr Martin, un jeune fermier qui épousera à la fin du roman sa protégée Harriet Smith :

[…] I may have seen him fifty times, but without having any idea of his name. A young farmer, whether on horseback or on foot, is the very last sort of person to raise my curiosity. The yeomanry are precisely the order of people with whom I feel I can have nothing to do. A degree or two lower, and a creditable appearance might interest me; I might hope to be useful to their families in some way or other. But a farmer can need none of my help, and is therefore in one sense as much above my notice as in every other he is below it. (E 23)

Toutefois, sans savoir que son amie épousera à la fin du roman le jeune homme dont il est question dans ce passage, Emma va faire l’éducation mondaine d’Harriet et lui expliquer les rouages de la société dans laquelle elle évolue. Elle va aussi lui

8 Judith Terry, « Seen But Not Heard: Servants in Jane Austen’s England », Persuasions 10 (décembre 1988). Disponible sur <http://www.jasna.org/persuasions/printed/number10/terry.htm> (3 décembre 2012) : par 35.

102

inculquer les codes de la bienséance. Et, sans le vouloir, Emma va contribuer à faire gravir les échelons de l’échelle sociale à une jeune fille qui deviendra la femme d’un fermier. Lorsque, sur les conseils de son amie, Harriet refuse l’offre de mariage de Robert Martin, Emma, soulagée, fait remarquer à Harriet que si elle avait accepté l’offre, elle aurait dû mettre un terme à leur amitié, cette union entrainant l’exclusion d’Harriet de la bonne société (E 42). Condescendante et snob, Emma ne souhaite pas voir les statuts sociaux évoluer. Elle fait partie de la bourgeoisie rurale et elle aime l’influence qu’elle exerce dans le village de Hartfield.

Afin de ne pas être amalgamée avec le peuple, la bourgeoisie doit réagir. Pour cela, elle a recours à de subtiles modifications de son code vestimentaire qui permettent de différencier une servante d’un membre de la « gentry ». C’est ainsi que se mettent en place les codifications de ce qui s’appelle la distinction. Perrot parle non seulement, et à juste titre, de « pouvoir d’achat », mais aussi de « savoir d’achat »9

. A cela vient s’ajouter le savoir porter. Une seule faute de goût, aussi bien dans le choix du vêtement que dans la façon de le porter, peut porter préjudice à celui ou celle qui l’a commise, les « lois » de la bienséance vestimentaire permettant, « avant même la parole ou le geste, de repérer aussitôt le contrevenant plus ou moins ignorant, et de le remettre à sa juste place »10.

Comme le note Perrot « [p]our être distingué, il ne suffit plus d’être bien né, il ne suffit plus d’être riche, il faut surtout savoir vivre, connaître les bons usages, les arcanes de la bienséance vestimentaire et l’univers inépuisable de ses nuances »11. Ensuite, le rapport au vêtement est crucial : « toute l’éloquence de la simplicité aristocratique se trouve dans cette distance à l’acquis, dans cette désinvolture envers la possession […] qui s’oppose radicalement aux parvenus dont le triomphe de posséder compense en les trahissant, les privations passées »12.

9

Philippe Perrot, Les Dessus et les Dessous de la bourgeoisie : une histoire du vêtement au XIXe

siècle (Paris : Fayard, 1981), 39.

10 Perrot, 169.

11 Perrot, 158.

12

103