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Chapitre 3 : Du roman à l’écran : les enjeux d’une transposition réussie

2 Les costumes donnent du fil à retordre

Ces deux auteurs en viennent donc à penser qu’ « on est alors tenté de parler de recomposition, de recréation, de transformation, et non d’adaptation. Les cinéastes créent quelque chose de nouveau, qui acquiert une autonomie par rapport au texte »13. Cette dernière n’est acquise que grâce à l’ensemble des corps de métiers qui vient donner vie au roman, qu’il s’agisse des comédiens, en passant par les compositeurs, les éclairagistes, ou des costumiers, par exemple.

Repérer ce que le cinéaste a coupé, ce qu’il a décidé de garder, mais aussi l’évolution des personnages, et donc des acteurs, dans l’espace, la façon dont les plans sont filmés, la musique d’une scène, et les costumes sont autant de points fondamentaux à analyser pour comprendre les choix du cinéaste. Notre étude ne peut toutefois analyser tous ces points. Elle se restreindra à élucider les choix faits par les directeurs et des costumiers en ce qui concerne les tenues de certains personnages.

2 Les costumes donnent du fil à retordre

Il est important de savoir que les films étudiés peuvent être très différents les uns des autres. Certains sont destinés au grand écran, d’autres sont réalisés uniquement pour le petit écran. Certains durent une heure trente, d’autres sont

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Sense and Sensibility, dir. Ang Lee, avec Emma Thompson, Alan Rickman, Kate Winslet et Hugh Grant, 1995, DVD, Columbia Pictures, 1998.

11 Dixsaut et Domenach, 47.

12 Dixsaut et Domenach, 47.

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composés de plusieurs épisodes, la durée totale pouvant excéder cinq heures. Il est alors évident que dans ce dernier cas, le script sera beaucoup plus détaillé et proche du roman, du moins en terme d’évènements. La notion de fidélité entre le roman et l’adaptation entre alors en jeu. Martin explique : « L’idée de fidélité laisse entendre que le roman contient, réparti sous les mots, un noyau dur de significations ou d’évènements qui peuvent être livrés par une adaptation. Il n’en est rien : un roman est constitué d’une série de signes verbaux capables de susciter une surabondance de lectures possibles »14. Nous ne nous pourrons donc pas nous permettre de juger la qualité de telle ou telle adaptation. En revanche, nous pourrons nous atteler à comprendre les choix faits par les costumiers pour donner vie aux personnages et les ancrer dans la fin du XVIIIe siècle ou le début du XIXe siècle, voire même après pour certaines adaptations. Pour Martin, « une adaptation est réussie lorsqu’elle parvient à transmettre un sentiment d’harmonie par rapport à l’original »15

. Notons que Jane Austen ne donne que très peu de descriptions précises des tenues de ses personnages, ce qui permet aux costumiers d’avoir toute latitude dans la création des toilettes. Toutefois, il convient d’y ajouter un bémol. Comme Rosalind Ebbutt, costumière de la version d’Emma de 200916, le fait remarquer, elle s’attarde davantage sur le script que sur le roman, même si elle a pris soin de le lire avant de commencer à dessiner les costumes des personnages principaux17. Le costumier travaille donc sur l’interprétation qu’un directeur a fait d’un roman. Par ailleurs, le costumier est soumis à des contraintes temps et budget non négligeables. Il a en effet en moyenne six semaines pour créer ou rassembler un stock de costumes, tout en respectant le budget qui lui est alloué, et en restant fidèle à l’esprit du script.

Les costumiers puisent leur inspiration dans des expositions, des musées, des peintures de l’époque Régence, ou encore dans les toutes premières gravures de mode18. A titre d’information, il a été demandé à Andrea Galer, costumière de la version 2007 de Persuasion, de préparer plus de 700 costumes19. Il est donc évident qu’il n’est pas possible de créer autant de costumes en si peu de temps. Le

14 Martin, Les Adaptations à l’écran des romans de Jane Austen, esthétique et idéologie, 81.

15 Martin, Les Adaptations à l’écran des romans de Jane Austen, esthétique et idéologie, 101.

16 Emma, dir. Jim O’Hanlon, avec Romola Garai, Jonny Lee Miller, Michael Gambon et Tamsin Greig, 2009, DVD, BBC Worldwide Ltd, 2009.

17 “Dressing Emma”, HerStoria 3 (automne 2009): 13-14.

18 Sue Birtwistle et Susie Conklin, The Making of Pride and Prejudice (Londres : Penguin Books, BBC Books, 1995), 53-57.

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département des costumes fait donc souvent appel au stock de costumes existant, qui a déjà servi pour d’autres adaptations filmiques. En parallèle aux desiderata du directeur, le costumier doit aussi adapter les tissus, coupes et couleurs choisis à la physionomie des acteurs. Rosalind Ebbutt essaie toujours des costumes déjà existants sur les acteurs principaux, afin de déterminer quelles coupes et quelles teintes se marient le mieux avec leur teint et leur carrure20. En règle générale, les acteurs principaux ont une garde-robe créée pour le rôle qui leur est attribué. Les rôles secondaires et les figurants sont souvent ceux qui portent les tenues venant du stock préexistant. Mais il arrive parfois que même les rôles principaux doivent aussi réutiliser une robe. C’est le cas pour Charity Wakefiled, qui joue le rôle de Marianne Dashwood dans l’adaptation de 2008 de Sense and Sensibility21

, qui s’est vue porter la robe cousue pour Keira Knightley, alias Elizabeth Bennet dans Pride and

Prejudice version 200522. Les raisons qui poussent le costumier à utiliser des costumes déjà existants peuvent aussi être des raisons financières.

Il est évident que les costumes aident le spectateur à établir les relations qui existent entre les différents personnages présentés, mais aussi à deviner leur psyché. A titre d’exemple, Simon Langton, qui a dirigé la mini-série Pride and Prejudice de 1995 a très clairement exprimé ce qu’il voulait : des couleurs pâles qui reflètent l’innocence des sœurs Bennet, et des couleurs vives et des tissus chatoyants pour les sœurs Bingley23

qui dépensent souvent plus qu’elles ne le devraient (PP 14). Dans son ouvrage Les Couleurs de notre temps, Pastoureau consacre plusieurs pages aux vêtements. Il explique que

[d]ans le vêtement des époques anciennes, tout est signifiant : les tissus (matière, texture, provenance, décor), les pièces et les formes, le travail de coupe et d’assemblage, les accessoires, la façon de porter le vêtement et bien sûr, les couleurs. Il s’agit d’exprimer par des signes conventionnels, plus ou moins réglementés selon les époques, les régions et les milieux sociaux, un certain nombre de valeurs et d’en assurer les contrôles correspondants. […] Le vêtement sert à classer, et c’est d’abord par la couleur qu’il le fait.24

Les couleurs sont donc primordiales dans le domaine de la mode. Il convient tout de même de préciser que c’est seulement au milieu du XIXe siècle que des

20 Rosalind Ebbutt, costumière, email personnel, 2 novembre 2009.

21 Sense and Sensibility, dir. John Alexander, avec David Morrissey, Janet Mc Teer, Hattie Morahan, Charity Wakefield, Dan Stevens, Dominic Cooper, Mark Williams, Claire Skinner, Anna Madeley et Daisy Haggard, DVD, BBC DVD, 2008.

22 Pride and Prejudice, dir. Joe Wright, avec Keira Knightley, Matthew MacFayden, Brenda Blethyn, Donald Sutherland et Judi Dench, 2005, DVD, StudioCanal, 2006.

23 Birtwistle et Conklin, 47.

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progrès remarquables ont été accomplis au niveau des couleurs, avec l’invention du premier colorant synthétique, l’aniline, en 185625

. La palette de couleurs disponible avant cette date était donc nécessairement moins étendue, et les teintes moins vives. En visionnant certaines adaptations filmiques, le choix des couleurs pour les costumes peut sembler restreint. Certaines robes sont fades, mais elles reflètent certainement les teintes disponibles à l’époque de Jane Austen.

Parfois, certains changements peuvent paraître étranges au spectateur. Ainsi, dans la version 2005 de Pride and Prejudice, les officiers de la milice portent des uniformes bleus alors qu’Austen utilise de façon récurrente les termes « red coats » (PP 25 ; 72) pour les désigner. On voit ici que l’harmonie dont parlait Martin prime sur l’authenticité et la fidélité des remarques faites par l’auteur et des planches de mode dessinées à l’époque Regency.